Le 21 janvier 2001

Le poulet frit et la science

Le poulet frit est l'un des aliments les plus appréciés en Amérique du Nord. Baignant suavement dans son gras et sa friture huileuse, il a fait lécher les doigts de millions de consommateurs gourmands. Mais justement, le prix à payer se mesure en kilos en trop. Pour rectifier le tir, on a donc fait appel, non pas aux nutritionnistes et autres tenants de la diététique, mais plutôt à des ingénieurs chimistes. Cette approche pourrait bien s'avérer, à la fois pauvre en gras, et riche en résultats.

Poulet surgelé, poulet farci, poulet rôti, ailes de poulet, doigts de poulet, cuisse de poulet : les Canadiens mangent en moyenne 35 kilos de poulet, chaque année, soit plus que le bœuf, ou encore le porc. Et on prévoit qu'en 2001, près de 9 milliards de poulets seront élevés pour la table, en Amérique du Nord seulement. Un nombre considérable de ces poulets finiront leurs jours dans les friteuses des spécialistes de l'alimentation rapide.


Et c'est là où les choses se compliquent. De toutes les viandes frites, c'est le poulet qui est le plus gras, surtout quand on mange la peau. Comment contrer cette attaque directe au foie? Pour cela, l'industrie fait appel à des ingénieurs en chimie, comme Michael Ngadi du Collège Mcdonald affilié à l'Université McGill.

«Nous voulons réduire la quantité de gras pour que les gens puissent continuer à savourer des aliments frits. nous dit Michael Ngadi.»

Pour comprendre pourquoi le poulet frit peut être si gras, Michael Ngadi et son équipe se sont littéralement branchés sur des cuisses de poulet pour en suivre la cuisson sur ordinateur en temps réel. Cette recherche toute simple n'a jamais été faite auparavant. Elle a permis d'apprendre qu'une petite différence de quelques degrés dans la température de l'huile peut affecter grandement les pourcentages de gras dans le poulet. Cependant, l'huile ne représente que la première partie de l'équation.

«Nous voulons savoir à quelle vitesse les os et les muscles absorbent la chaleur et puis, précise M. Ngadi, nous voulons aussi savoir comment ces propriétés affectent les transferts de chaleur

Pendant la friture, quelque chose d'étonnant se produit. L'humidité contenue dans le poulet est expulsée très rapidement. En s'évaporant , l'humidité se fraie un chemin à travers la chair comme autant de petits tunnels, que l'on appelle pores. À mesure que l'humidité se dissipe, elle est remplacée dans les pores par l'huile de friture. Voilà comment le poulet frit devient si gras. Mais on se sait toujours pas exactement quand ces pores apparaissent.

«Si nous comprenons quand les pores se développent, ajoute Michael Ngadi, on peut espérer trouver une façon pour en empêcher la formation et ainsi limiter l'absorption de gras. Peut-être alors pourrons-nous produire des aliments frits qui seront faibles en gras

Pour cela, Michael Ngadi et son groupe essaie présentement de déterminer la largeur des pores et la température à partir de laquelle ils se manifestent. Mais le grand défi, c'est de trouver une façon de bloquer les pores du poulet avant qu'ils ne se remplissent du gras de l'huile. La solution de l'avenir : un liquide à base de cellulose dans lequel on trempe le poulet.

«Ce qu'on espère faire avec cette cellulose, poursuit M. Ngadi, c'est de réduire la perte d'humidité et bien sûr de diminuer la pénétration du gras à l'intérieur du poulet. Dans les faits, on ajoute une barrière active entre l'huile et la nourriture

On a observé, après cuisson, une diminution du gras variant entre 30 et 50% chez le poulet enduit de cellulose. Les premiers résultats semblent donc très prometteurs. Peut-on alors parler d'un révolution dans le domaine de la friture? Tout procédé qui pourra réduire le contenu en gras d'un aliment sera, du point de vue de la santé, d'un grand intérêt pour le public. Les consommateurs pourront alors savourer des aliments frits sans se préoccuper du gras.


Néanmoins, une question importante demeure : ce liquide à base de cellulose, pose-t-il un danger pour le consommateur?

«Il n'y a pas de problème en terme de nutrition ni de risque de cancer. Pas du tout, pas selon ce que nous avons vu...», conclut Michael Ngadi.

Pour en avoir le cœur net, il reste encore bien des tourments à infliger à d'innocentes cuisses de poulet. Ne vaudrait-il pas mieux penser à changer nos habitudes alimentaires?

Journaliste : Mario Masson
Réalisateur : Jeannita Richard