Le 21 janvier 2001

L'intelligence artificielle au service de la DPJ

La loi québécoise sur la protection de la jeunesse est extrêmement avant-gardiste, car elle encadre clairement la façon d'intervenir auprès des jeunes dont la sécurité est menacée. Pourtant, les bavures de la Direction de la protection de la jeunesse font régulièrement les manchettes. Le problème, c'est d'interpréter la loi. Il n'existe pas de consensus à l'échelle du Québec sur l'interprétation de la loi, ni même sur la définition de termes comme «vulnérabilité de l'enfant» ou «compétence parentale». Chaque travailleur social, qu'il travaille sur le terrain ou qu'il supervise le travail des autres, a ses propres définitions et évalue les cas de façon intuitive.

Le psychologue Marcel Frenette, du Centre jeunesse de Lanaudière, veut mettre de la rigueur dans ce flou. Il travaille avec Patrick Abriat, un spécialiste de l'intelligence artificielle, à mettre au point un système informatisé qui guide les travailleurs sociaux, sans toutefois remplacer la personne humaine.

Pour expliquer le système, prenons le cas de Mélanie, une petite fille de 9 ans qui ne veut pas retourner chez elle après un jour d'école. Gervais Guérin, travailleur social du Centre jeunesse de Québec, prend l'enfant en charge. Il se rend d'abord à l'école pour vérifier si la sécurité ou le développement de Mélanie sont vraiment compromis. La petite fille a témoigné des problèmes de toxicomanie de sa mère, qui consommerait beaucoup. L'enfant serait aussi victime de violence verbale, l'enfant qui serait injuriée, insultée.

Le travail que fait Gervais depuis 20 ans exige à la fois de grandes qualités humaines et beaucoup de rigueur, car les décisions doivent s'appuyer sur des faits. Il doit s'assurer de la véracité des faits rapportés au moment du signalement. Il doit aussi évaluer leur impact sur l'enfant. Heureusement pour Gervais, la situation de Mélanie est claire puisque la mère confirme les propos de sa fille. Si cela n'avait pas été le cas, il aurait fallu placer l'enfant temporairement et demander au tribunal de trancher.

Au bout de quelques jours, Gervais a terminé son enquête. A-t-il en main tous les éléments qui vont lui permettre de prendre sa décision? C'est ici que le Système de soutien à la pratique (SSP) peut lui venir en aide. Le système va lui poser une centaine de question. «À partir des questions que le système va me poser, donc des réponses que je vais lui donner, le système va me proposer ce qu'on appelle une hypothèse diagnostique sur la sécurité et le développement de l'enfant», expose l'intervenant.

À la fin des années 80, une première version du SSP avait vu le jour. On avait alors choisi l'approche classique en intelligence artificielle. Une longue énumération de règles qui reprennent tous les critères menant à une décision sur la situation d'un enfant. C'est le système à base de règles. Des milliers de combinaisons possibles, des milliers de règles qui résonnent comme des litanies : «si, si, si, si, alors». Une règle toute simple mais le défi, c'est de s'assurer que les milliers de règles ne se contredisent pas entre elles.

La nouvelle version du SSP cherche à reproduire le raisonnement humain. Dans le cerveau de Gervais, des milliards de neurones sont à son service. Lorsqu'un neurone reçoit une information, il la propage vers ses voisins sous forme d'impulsions électriques, c'est l'influx nerveux. Si le signal électrique reçu par un neurone est suffisamment fort, ce neurone propagera à son tour l'information vers des neurones voisins. Mais si l'impulsion électrique est trop faible, le signal cesse de se propager. Le SSP est un réseau de 1000 neurones informatiques et les réponses de Gervais vont alimenter ce réseau.

Comment l'ordinateur traite-t-il les réponses données par Gervais? Les ovales et le carré représentent des neurones informatiques. Ils communiquent entre eux au moyen de valeurs numériques. Au cours de son raisonnement, l'ordinateur doit évaluer le danger que court Mélanie lorsque sa mère la laisse seule toute la nuit. Deux facteurs influencent la réponse: d'abord la durée pendant laquelle Mélanie est laissée seule, et ensuite, sa vulnérabilité comme enfant. Une valeur est accordée aux deux facteurs. Plus le total de ces valeurs est élevé, plus le diagnostique indiquera que l'enfant est en danger.

Gervais a répondu aux questions qui concernent la situation de Mélanie. Sur la toxicomanie de la mère et son impact sur sa fille, mais aussi sur des éléments comme les compétences parentales et la vulnérabilité de l'enfant. Conclusion de l'ordinateur : la sécurité et le développement son compromis. C'est ce que Gervais soupçonnait. Maintenant, l'ordinateur réorganise les informations fournies par Gervais pour rédiger un canevas de rapport.

Avant de signer le rapport, Gervais doit bien sûr le relire et parfois changer certaines lignes mais dans l'ensemble, la conclusion du SSP est cohérente et pertinente. Une fois que le diagnostic est posé sur la sécurité et le développement, la tâche est loin d'être terminée. Il faut ensuite corriger la situation de l'enfant dès qu'un nouvel événement vient s'ajouter.

Du signalement à la fermeture du dossier, le SSP permettra de s'assurer que les mesures nécessaires soient prises pour corriger la situation de l'enfant. L'intelligence artificielle au service de la DPJ? On peut commencer à y croire.

Journaliste : Isabelle Montpetit
Réalisatrice : Francine Charron
Adaptation pour Internet : Caroline Paulhus

Hyperliens pertinents

Système de soutien à la pratique (SSP), par Sogique

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Association des centres jeunesse du Québec