Le 5 novembre 2000

L'échec des vitamines antioxydantes : une mise au point

Même si les trois vitamines antioxydantes avaient suscité de grands espoirs pour prévenir les cancers et les maladies cardiaques, les recherches les plus récentes concluent au contraire que tous ces comprimés en gélules de vitamine E, de vitamine C et de Beta-carotène sont complètement inutiles. Les croyances populaires qui nous ont fait croire que les vitamines en pilules peuvent prévenir la maladie s'avèrent fausses. Et pourtant c'est la science qui est à l'origine de ces croyances!

Dans les années 1970, il y a eu d'abord l'influence du chercheur Linus Pauling, qui avait gagné deux prix Nobel. Il soutenait que l'on peut prévenir le rhume avec des comprimés de vitamine C : « Les rhumes sont 15 % plus rares. Plusieurs études montrent que 200 milligrammes de vitamine par jour réduit le rhume de 15 %. » Quelques années plus tard, Linus Pauling publie un nouvel ouvrage. Cette fois, la vitamine C pouvait même guérir le cancer! Depuis lors, la vitamine C fait partie de notre imaginaire collectif.

Puis au cours des années 1980, un autre facteur rend les vitamines populaires : le monde scientifique s'intéressé au rôle des aliments dans la prévention des maladies. Pour y voir clair, des chercheurs de Harvard avaient suivi pendant huit ans l'alimentation de 87 000 infirmières. D'autres ont fait de même avec 40 000 médecins, pendant treize ans. Le résultat est surprenant : on retrouvait de 30 à 45 % moins de décès et de crises cardiaques chez les personnes qui consommaient beaucoup d'aliments riches en vitamine E. Moins de cancers aussi chez ceux qui consommaient beaucoup de fruits et légumes, riches en Beta-carotène. Et cette protection contre les cancers et crises cardiaques était plus marquée chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.

Malgré ces résultats spectaculaires, le corps médical est demeuré prudent, comme le Dr Gilles Dagenais : « Est-ce qu'il s'agissait d'infirmières qui faisaient plus attention à leur santé? Qui faisaient plus d'exercice? Qui faisaient attention à leur diète? Or, comme vous pouvez voir, il y a plusieurs variables de la sorte qui font qu'on ne peut pas comparer. Ce sont des études d'observation. Donc, il y a des limites. »

Le rôle protecteur des vitamines n'était pas démontré mais l'hypothèse restait attrayante : on savait que les fruits et légumes contiennent beaucoup de Beta-carotène, de vitamine E et de vitamine C. Or, ce sont trois vitamines antioxydantes qui protègent nos cellules contre les dommages de l'oxygène et des radicaux libres. Et comme ces dommages sont une cause des cancers et des maladies cardiaques, cela pouvait expliquer l'effet préventif. Et si c'est vrai, pourquoi ne pas prendre aussi des suppléments? Il y aurait peut-être encore plus d'effets bénéfiques? Dès lors, la vitamine E et le Beta-carotène rejoignaient la vitamine C dans l'imaginaire collectif!

Le vent a commence à tourner dès 1994. Des chercheurs finlandais qui avaient suivi 29 000 fumeurs pendant huit ans découvrent que les suppléments de vitamines antioxydantes ne protègent pas contre le cancer. C'est plutôt le contraire. Ceux qui recevaient du Beta-carotène ont eu plus de cancers du poumon : 18 % de plus et 8 % plus de décès! Le plus embêtant, c'est que ce n'était pas une étude comme les autres. C'est la première fois que l'on avait choisi au hasard ceux qui recevaient un supplément de vitamines et ceux qui recevaient un placebo, un produit inactif. La seule différence, pour expliquer les résultats : la vitamine.

Coup de tonnerre en 1996 : Une autre étude américaine effectuée auprès de 14 000 fumeurs confirme qu'il y a 17 % plus de décès chez ceux qui reçoivent du Beta-carotène ou un placebo. L'espoir de contrer le cancer du poumon avec des pilules de vitamines prend fin. Au contraire, le Beta-carotène devient une menace pour les fumeurs.

« On peut affirmer que le Beta-carotène n'offrent plus de protection contre les problèmes cardiovasculaires ou les cancers, nous explique Jean-Claude Tardif, spécialiste des antioxydants à l'Institut de cardiologie de Montréal. Le Beta-carotène n'est pas à prescrire : il est à proscrire. Il peut même être dangereux. Les gens devraient consommer des carottes au lieu de consommer du Beta-carotène. »

Pour les partisans des vitamines, la pilule était très amère. À partir de ce moment, ils ont plutôt reporté leurs espoirs vers les suppléments de vitamine E, pour prévenir les maladies cardiaques. Surtout que l'on venait tout juste de découvrir que la vitamine E bloque l'action nocive du cholestérol! Alors, pourquoi ne pas améliorer cette protection avec des doses massives de vitamine E? On empêcherait peut-être les crises cardiaques?

Pour tester l'hypothèse, des centaines d'hôpitaux ont participé au projet HOPE, partout dans le monde. Le Dr Gilles Dagenais est co-président de ce projet qui a permis de suivre 9000 patients pendant cinq ans. Des hommes et des femmes qui avaient tous le cœur malade, comme Jean-Claude Stillière. Ils recevaient soit un placebo, soit une bonne dose de vitamine E. « Et il n'y a eu, en quatre années et demi , aucune différence entre les deux groupes, nous dit le Dr Gilles Dagenais. Que ce soit pour l'ensemble des objectifs ou pour la mortalité seule, pour l'infarctus du myocarde ou l'accident cérébrovasculaire, aucune différence! »

Encore une déception qui s'ajoute à tellement d'autres! Car les 9000 patients de HOPE viennent après les 29 000 fumeurs de l'étude finlandaise, les 2000 participants de l'étude de Cambridge sur le cœur et les antioxydants et les 11 000 cardiaques de l'étude italienne sur l'infarctus. Et, toujours, la même conclusion. « Ce que l'on sait, c'est que pour des gens à haut risque durant une période de cinq ans, cela n'a aucun effet, ajoute le Dr Dagenais. Environ 52 000 personnes ont participé, ce qui est très représentatif. »

Maintenant, les partisans des vitamines n'ont plus qu'un seul champion : la vitamineC! Au National Institute of Health de Washington, Mark Levine a consacré toute sa vie à l'étude de cette vitamine. Il a publié d'innombrables travaux sur la vitamine C, autant en laboratoire que sur la population. Et encore une fois, une forte dose de vitamine C a exactement le même effet qu'un placebo. « Je pense qu'il n'y a aucun effet de la vitamine C sur le rhume, nous dit le Dr Mark Levine. Ni pour le prévenir, ni pour le traiter. La seule exception, ce sont les gens qui, au départ, manquaient de vitamine C. »

Mark Levine s'est acharné. il a aussi scruté l'effet de la vitamine C sur le cancer, analysant sa transformation dans chaque organe, son effet sur les gènes, sur le système immunitaire. Sa conclusion, pour le moment : « Les fruits et légumes contiennent de la vitamine C et préviennent le cancer. Est-ce à cause de la vitamine C? On ne le sait pas. C'est peut-être la vitamine C avec autre chose. Ou est-ce un autre élément des fruits et légumes qui n'a rien à voir avec la vitamine C. Mais il n'y a aucune preuve, pour l'instant, que la vitamine C prévienne le cancer, les maladies cardiaques ou une autre maladie. »

Donc, l'histoire du rhume et des mégadoses de vitamine C, oubliez ça! La prévention des crises cardiaques et des cancers avec des suppléments de vitamine E? Surtout si vous êtes déjà malade : Aux poubelles! Et en plus, il faut éviter le Beta-carotène, surtout si vous fumez. Si vous ne fumez pas et si vous n'êtes pas malade, est-ce que ces vitamines peuvent être quand même utiles, à doses massives? Malheureusement, la science ne le sait pas!

« Avant de donner à un jeune de 35 ans des comprimés, des suppléments, et lui dire d'aller les acheter dans une pharmacie, on devrait d'abord lui dire : plutôt de prendre un comprimé de vitamines, changez donc votre façon de vous alimenter, perdez donc un peu de poids, faites donc un peu de l'exercice, faites donc de la marche deux fois par semaine, nous explique le Dr. Jean-Claude Tardif. Ça c'est prouvé! »

Selon Mark Levine, il y a aussi autre chose qui est bien prouvé : « Il y a beaucoup d'études qui montrent que plus les gens mangent de fruits et légumes, moins ils ont de cancers, surtout les cancers du système digestif, c'est-à-dire l'estomac et l'intestin, et peut-être aussi le cancer du poumon! Cela veut dire que les gens peuvent déjà manger des fruits et des légumes aussi variés que possible et au moins cinq portions par jour. »

Donc, mangeons des fruits et des légumes! Puis, encore des fruits et des légumes…

Journaliste : Gilles Provost
Réalisatrice : Marièle Choquette
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton et Caroline Paulhus



 

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