Le 3 décembre 2000

Les commotions cérébrales

Les commotions cérébrales sont en hausse non seulement au hockey, mais aussi dans presque tous les autres sports. Ce qui les cause, des coups à la tête ou à la mâchoire. Le résultat : un court-circuit au niveau du cerveau. Depuis cinq ans, la recherche a fait des percées dans le domaine. Et ce ne sont pas que les seuls athlètes professionnels qui vont en bénéficier, mais aussi la population en général.

Les commotions cérébrales dans le sport, on en parle beaucoup, surtout à la suite du célèbre coup de bâton de McSorley et des fameuses commotions cérébrales d'Éric Lindros. Selon Maryse Lassonde, les joueurs de hockey risquent de souffrir de la même démence pugilistique que les boxeurs. Chaque jour, dans le sport professionnel, on rapporte des milliers de blessures, mais ça fait partie de la culture populaire, faite de violence. C'est vrai que les athlètes d'aujourd'hui se sentent parfois comme des gladiateurs modernes, à l'abri dans leur carapace, dans leur équipement, et qu'ils se doivent, à cause des salaires payés, d'en donner pour leur argent aux spectateurs. Mais cette culture encourage aussi les coups à la tête. Chaque année, les coups donnés au crâne ou à la mâchoire dans les divers sports de contact et même les autres engendrent des millions des traumatismes crâniens. Au point où l'on commence à s'inquiéter sérieusement dans le milieu. La science se penche sur le problème. C'est bon pour les athlètes professionnels, mais aussi pour nos jeunes et la population en général.

Au soccer, le choc peut sembler anodin, mais en réalité, il est brutal. Comme le ballon est très rigide, et qu'il voyage facilement à plus de 120 kilomètres à l'heure, imaginez l'impact. On estime maintenant que ces coups de têtes présentent un risque potentiel de commotion cérébrale. Cette donnée surprenante vient confirmer ce que la Dre Suzanne Leclerc a constaté en travaillant avec les athlètes amateurs de l'Université McGill.

« On ne connaissait pas grand-chose initialement sur les commotions cérébrales, nous dit la Dre Suzanne Leclerc. Si on remonte à de nombreuses années en arrière, une commotion cérébrale était égale à un perte de conscience. Il était rare que l'on faisait un diagnostic de commotion cérébrale, si quelqu'un n'avait pas eu une perte de conscience. Et ça, on sait maintenant que c'est totalement faux. »

:Il y a danger de commotion cérébrale dès qu'un coup est porté à la tête ou à la mâchoire. La masse gélatineuse du cerveau se déplace alors d'un bord à l'autre de la boîte crânienne. D'ailleurs, le contrecoup est souvent plus sévère que le coup lui-même. Parfois, il y a court-circuit : le fonctionnement normal du cerveau est interrompu, même s'il n'y a pas toujours perte de conscience. Pour déterminer l'existence d'une commotion cérébrale, les chercheurs se sont donc tournés vers les autres symptômes qui accompagnent souvent les coups à la têtes ou à la mâchoire.

« Des symptômes comme des maux de tête, être confus, avoir de la difficulté à se concentrer, avoir des nausées, des étourdissements, des bourdonnements d'oreilles, suite à un traumatisme crânien, sont des signes de commotion cérébrale, précise la Dre Leclerc. »

Pour tenir compte de tous ces symptômes, la Dre Suzanne Leclerc travaille sur un nouveau test d'évaluation. Les premières questions sont tout à fait banales : Quel est le pointage? Contre qui jouez-vous? Mais ces questions font merveille pour vérifier la mémoire immédiate, la première fonction à disparaître en cas de commotion cérébrale. Ensuite, elle évalue la concentration de l'athlète. Très simples en apparences, ces tests sont pourtant très efficaces pour établir un diagnostic précis sur le terrain.

En cas de commotion cérébrale, un seul traitement : le repos, et ce, jusqu'à la disparition de tous les symptômes. En effet, il est capital que le retour au jeu soit parfaitement contrôlé. Un athlète peut mettre sa vie en danger s'il revient au jeu trop vite. Par contre, même s'il est guéri, il demeure plus fragile. On s'est rendu compte qu'un athlète victime d'une commotion cérébrale est beaucoup plus susceptibles d'en subir d'autres.

Est-ce le cas pour Eric Lindros des Flyers de Philadelphie? Est-il revenu au jeu trop vite? Le coup d'épaule à la mâchoire est terrible. Eric Lindros s'écrase lourdement sur la glace. C'est sa sixième commotion cérébrale en quelques années. Sa carrière est en jeu. Et les millions de dollars investis par l'équipe aussi. Comme ce phénomène est de plus en plus répandu, il n'est pas étonnant que la Ligue nationale de hockey ait décidé de réagir dès 1997.

L'équipe du Canadien s'est alors tournée vers la neuropsychologue Maryse Lassonde de l'Université de Montréal. Depuis toujours, elle s'intéresse à l'effet des dommages au cerveau sur le comportement et sur la cognition. Son mandat consiste à établir le profil neuropsychologique des joueurs, en début de saison lorsqu'ils sont en bonne santé. En cas de commotion cérébrale pendant la saison, on pourra comparer.

« Donc, c'est une forme de protection pour le joueur aussi, parce que ça vous donne vraiment des données objectives, si vraiment la commotion vous a affecté ou non, nous dit Maryse Lassonde. »

Lors du premier jour d'entraînement des Canadiens de Montréal on teste la résistance à l'effort, la force musculaire, la capacité respiratoire. On fait également passer des tests neuropsychologiques. Maryse Lassonde fait d'abord l'histoire de l'athlète.

Dans ce cas-ci, l'ailier Benoît Brunet qui, l'année dernière, avait été durement frappé à la tête par une rondelle. Benoît Brunet est soumis à une évaluation où rien n'est laissé au hasard. Il lui faut relier les chiffres en changeant de couleur à chaque fois sans se tromper. Ou encore, cocher les triangles le plus rapidement possible. Cette batterie de tests a de quoi faire suer les neurones les mieux entraînés.

« On a plusieurs tests qui mesurent vraiment les fonctions qui sont les plus susceptibles d'être affectés par une commotion cérébrale, les tests d'attention visuel, les tests d'attention auditive, les tests de mémoire visuelle, les tests de mémoire auditive, la rapidité de traitement de l'information, tout cela est mesuré dans nos tests, nous dit Maryse Lassonde. Et c'est très sensible à une commotion. »

De nos jours, les joueurs savent bien que les commotions cérébrales doivent être prises au sérieux : « C'est plus dangereux qu'une grosse blessure physique, parce qu'un genou, tu sais ce que c'est, explique Benoît Brunet. Ils vont te le dire : tu as un deuxième, un troisième degré au genou : ça va prendre tant de temps pour guérir. Tu sais que tu es capable d'en revenir. Mais une commotion, tu ne sais jamais ce qui peut arriver. Tu peux revenir trop vite, et te faire frapper à la tête, un peu comme Lindros a fait. Il est revenu deux ou trois fois,et je pense qu'il est revenu trop vite et que ça va jouer contre sa carrière. La prochaine grosse commotion qu'il va avoir, il va peut-être bien obligé de se retirer. Il est préférable de prendre dix jours ou une semaine de plus, mais être de retour sur la glace à 100 %. »

Malgré tous ces tests, une grande question demeure. Qu'arrive-t-il au cerveau lors d'une commotion cérébrale? Pour le savoir, l'équipe de Maryse Lassonde travaille avec un casque muni de 28 électrodes qui enregistrent l'activité électrique du cerveau lorsqu'il est soumis à un stimulus visuel.

L'onde P300 mesure la capacité d'attention du sujet. Chez les gens qui sont en santé cette onde est dominée par le rouge. Mais lorsqu'on la compare avec le P300 d'athlètes victimes d'une commotion cérébrale, le rouge disparaît presque complètement. Maryse Lassonde a alors fait une autre constatation intéressante : « On peut voir aussi que cette onde cérébrale est d'autant plus affectée que la symptômologie est grande : plus l'athlète rapporte des signes de maux de tête, de fatigue, de sensibilité à la lumière, on peut voir que plus ces symptômes-là sont graves, plus l'onde P-300 sera affectée. »

En outre, ce test permet aussi de suivre la guérison d'un cerveau dans le temps, ce que l'on n'avait jamais pu faire jusqu'à maintenant. À la suite d'une commotion cérébrale, l'onde P300, est presque absent, quand on le compare à un sujet normal. Mais un mois plus tard, les deux cerveaux présentent pratiquement le même niveau d'activité.

« On est très heureux de ces résultats, parce que on peut voir non seulement l'effet de la commotion cérébrale, mais on peut voir aussi la récupération dans le temps, nous dit Mme Lassonde. »

Au football, ça cogne dur. En Amérique du Nord, c'est le sport qui engendre le plus de commotions cérébrales. Il y a quelques années, la Dre Karen Johnston a été enrôlée comme ange gardien par les Alouettes de Montréal. Cette neurochirurgienne est aussi la grande patronne du département de neurotraumatologie de l'Hôpital général de Montréal. La recherche effectuée sur le P300 l'intéresse au plus haut point. Car cet outil, véritable fenêtre ouverte sur le cerveau, pourrait l'aider à établir de façon convaincante la présence d'une commotion cérébrale, sans qu'il y ait eu coup direct à la tête.

« On sait bien qu'un coup direct à la tête peut engendrer une commotion cérébrale, mais ce qu'on ne savait pas, c'est que même un coup indirect au corps peut avoir le même résultat, nous dit Karen Johnston. C'est le whiplash : le coup de fouet. Le cerveau est alors fortement secoué à l'intérieur de la boîte crânienne. Donc, il n'est pas nécessaire d'avoir un coup direct à la tête pour avoir une commotion cérébrale. »

Parallèlement, Karen Johnston a découvert, grâce à un autre type d'imagerie médicale, de nombreuses anomalies dans le cerveau de certains des athlètes qu'elle traitait. Ce sont de petits points blancs que l'on retrouve pratiquement toujours aux mêmes endroits. La difficulté est de savoir si ces anomalies correspondent aux fonctions de la mémoire, d'attention et de concentration de ces athlètes typiquement altérées lors des commotions cérébrales. Pour cela, elle s'est rendue à l'Institut de neurologie de Montréal pour travailler avec le psychologue Alain Ptito.

L'instrument de prédilection d'Alain Ptito est le scanner à résonance magnétique fonctionnel. Cet instrument mesure les variations locales d'oxygène dans le cerveau, lorsqu'on le stimule, par une tâche visuelle, par exemple. Quand le sujet est couché à l'intérieur du scanner, on lui présente quatre stimuli visuels en succession. Après un court délai , on fait apparaître une cinquième image. Le sujet doit indiquer si cette image était parmi les quatre précédentes. Cette tâche active certaines régions frontales du cerveau.

« Ces aires sont particulièrement sensibles à des tâches de mémoire verbale et visuelle, nous dit Alain Ptito. C'est la mémoire de travail, c'est-à-dire l'habileté de garder en attente des stimuli pour faire face plus tard à des situations nouvelles. »

Chez les sujets-témoins, qui n'ont jamais eu de commotion cérébrale, on assiste, lors de cet exercice, a une forte activation du cerveau qui se traduit par la couleur bleu. Ce n'est pas le cas pour ceux qui présentent encore des symptômes de commotion cérébrale.

« Si vous regardez cet athlète qui a eu une performance pratiquement au hasard et qui ne montre pas d'activation dans les régions cérébrales que l'on observe chez les témoins, on a recommandé à ce moment-là, en regardant les autres tests qui ont été fait pour lui, de ne pas retourner au jeu, d'attendre et de retarder son retour, nous explique Alain Ptito. »

Avec Karen Johnston, Maryse Lassonde, Alain Ptito, Suzanne Leclerc, la recherche va bon train. Et elle offre déjà des applications, non seulement pour les athlètes professionnels, mais aussi pour la population en général. Par exemple, les accidentés de la route victimes de wiplash, ce violent mouvement de la tête. Ils savent maintenant que ce mouvement peut causer des commotions cérébrales. Cette connaissance pourra-t-elle les aider à réclamer des indemnités aux compagnies d'assurances? Les jeunes qui jouent au soccer : devrait-on les empêcher de donner des coups de tête sur le ballon? Au moins jusqu'à ce que les chercheurs en sachent davantage sur les effets d'un tel impact sur le développement du cerveau.

Journaliste : Mario Masson
Réalisatrice : Jeannita Richard
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton



 

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