Le secret des hiéroglyphes
Le 21 novembre 1999
Transcription

«Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent.» Cette harangue bien connue de Napoléon illustre sa fascination pour le faste de l'Égypte antique.

Les vestiges de cette civilisation sont d'une richesse prodigieuse. Des temples aux statues colossales, des personnages aux têtes d'animaux, des œuvres d'un grand raffinement. Et partout, sur les murs et sur les monuments, une écriture étrange, dont les caractères sont empruntés aux éléments de la vie quotidienne : parties du corps, animaux, ustensiles. Une écriture indéchiffrable.

 

Cette écriture est restée vivante pendant plus de 3000 ans, sous le règne de près de 200 pharaons, des rois à qui on attribuait des pouvoirs divins.

Mais au 4e siècle après Jésus-Christ, on ferme les temples, on interdit le culte des dieux millénaires, comme Rê, Isis et Osiris. Les chrétiens dominent maintenant l'Égypte. Désormais, plus personne n'écrit en hiéroglyphes. Le secret de cette écriture se perd.

Pendant plus de 1000 ans, le sable du désert ensevelira les restes d'une civilisation somptueuse.

 

1798. Le jeune général Napoléon Bonaparte s'en va coloniser l'Égypte. L'objectif est d'accroître la sphère d'influence de la France, aux dépens de l'Angleterre. À 29 ans, il est à la tête de plus de 50 000 hommes.

 

Au moment du départ, les militaires ont la surprise de voir embarquer de nombreux civils. Précisément 167. Ce sont des scientifiques de compétences diverses : des mathématiciens, des cartographes, des zoologistes, des archéologues.

Napoléon les a recrutés pour le conseiller sur la bonne marche des opérations militaires, mais surtout pour entreprendre l'étude scientifique de l'Égypte ancienne et moderne.

Cette initiative du général va révolutionner l'égyptologie. À l'époque, l'Égypte est à la mode. Des collectionneurs d'antiquités la vident de ses trésors pour en remplir les musées. Mais l'essentiel de la civilisation égyptienne échappe à la compréhension. Car même les grands savants qui accompagnent Napoléon sont analphabètes face à l'écriture égyptienne.

 

Au cœur de la campagne d'Égypte, à l'été 1799, une découverte imprévue va enfin permettre de comprendre cette civilisation oubliée. Dans la petite ville de Rosette, à l'embouchure du Nil, un ingénieur met au jour une stèle en granit. Toute noire, elle n'a pourtant rien de spectaculaire.

Dès le premier coup d'œil, on remarque les caractères de trois écritures différentes : les hiéroglyphes, une écriture indéfinissable, et enfin, l'écriture grecque, qui donnera la clé de l'énigme.

Les savants de l'expédition entreprennent de déchiffrer le texte grec. C'est un décret du jeune pharaon d'origine grecque Ptolémée V, qui veut assurer son pouvoir.

 

Extraits du texte de la pierre :

Il est un dieu fils de dieu et de déesse, quelqu'un dont le cœur est bénéfique envers les dieux, quelqu'un qui a donné toutes sortes de bonnes choses pour faire qu'advînt la paix en Égypte, quelqu'un qui a aussi donné des récompenses à l'armée entière.

Taxes et impôts qui avaient cours en Égypte, il les a éliminés ou supprimés.

Les dieux lui donnèrent en échange de cela force, victoire, vaillance, prospérité, santé et tous les autres bienfaits…

 

La traduction du texte grec révèle que les trois inscriptions correspondent à trois versions du même texte.

"Qu'on inscrive ce décret sur une stèle de pierre dure en écriture sacrée, en écriture documentaire et en écriture grecque et qu'on la fasse dresser dans les temples."

Un texte, trois écritures. Tous les éléments sont en place pour enfin élucider le mystère des hiéroglyphes. On s'empresse de faire des copies de la pierre de Rosette, pour faciliter le travail des scientifiques.

Au musée Redpath, à Montréal, il y a une copie de la stèle. C'est un moulage en plâtre, qui reproduit parfaitement les caractères gravés dans la pierre originale.

 

Jean-François Champollion avait huit ans au moment de la découverte de la pierre de Rosette. Dès son plus jeune âge, il rêve de l'Égypte. Très tôt, il se met à l'étude des langues du Moyen-Orient. À treize ans, il en parle déjà six. À dix-sept ans, il veut être le premier à lire les hiéroglyphes.

 

Vous imaginez peut-être que ce jeune prodige a rapidement déchiffré le texte de la stèle. Détrompez-vous. Il lui a fallu 14 ans pour élucider les principes de cette écriture.

Nous allons tenter de vous en présenter les principaux éléments… en quelques minutes. Allons-y!

 

Le principe est analogue à celui du rébus, ce jeu où on représente un mot par une suite de dessins.

En français, un chat et un grain pourraient représenter le mot chagrin.

En anglais, le mot belief (croyance) , pourrait s'écrire avec une abeille (bee) et une feuille (leaf).

 

Ce court texte en ancien égyptien parle d'une déesse qui est la fille de Rê, le dieu soleil, la divinité suprême des Égyptiens.

Extrait d'entrevue avec Michel Guay:

"C'est une représentation de la déesse Maat, une déesse très importante de la civilisation égyptienne. Ça représente la justice, la vérité, l'ordre social. D'ailleurs, le pharaon était supposé agir en fonction de Maat. On voit la déesse, mais en haut de son visage, à gauche, on voit son nom écrit en hiéroglyphes. Une expression qui la définit bien. Ça se lit Maat sat rê, c'est-à-dire Maat, la fille de Rê."

 

En ancien égyptien, le mot faucille se dit MA, et donc on utilise la faucille pour représenter le son MA. Le mot avant-bras se dit A et la miche de pain se dit T. Avec ces objets, on peut donc écrire le mot MAAT, comme dans un rébus.

En-dessous du mot Maat, il y a un dessin qui représente la déesse. Ce signe ne se prononce pas. Il précise le sens du mot Maat.

L'écriture en hiéroglyphes a aussi ses règles de grammaire, comme le français.

 

Extrait d'entrevue avec Michel Guay:

Alors nous avons d'abord Maat et ensuite, nous avons le soleil, le canard et un autre t. Alors le canard, c'est le son sa, qui représente le mot fils. Or, nous avons le féminin de fils, c'est fille. Le féminin de sa, c'est sat.

Et puis, on a le soleil, qui est juste en haut du canard. Et c'est pas pour rien. C'est pas écrit Maat sat Rê. C'est écrit Maat Rê sat. Pourquoi? Parce qu'on a fait une inversion du signe par respect pour le dieu Rê. On l'a mis avant la déesse, tout simplement.

 

Une fois qu'on a su lire les hiéroglyphes, on a découvert une foule de détails sur la façon de vivre des anciens Égyptiens.

Au musée Redpath, à Montréal, on peut voir ce cercueil vieux de près de 3000 ans. En plus des inscriptions funéraires rituelles, le texte en hiéroglyphes mentionne le métier de celui qui y est embaumé. C'était un serviteur du culte du dieu Amon.

 

Extrait d'entrevue avec Michel Guay:

"L'écriture nous a permis d'entrer en contact dans le fond avec les gens de l'époque, de toutes les périodes.

Par exemple les grandes batailles que les pharaons ont menées, les empires qu'ils ont conquis, les stèles qu'ils ont laissées un peu partout dans le désert, signalant leur passage, par exemple. Ça nous permet par conséquent de rentrer dans la vie politique, dans la vie économique, dans la vie sociale, dans la vie quotidienne des gens."

 

Il y a maintenant 200 ans que la stèle a été découverte dans le village de Rosette. Elle est aujourd'hui une des pièces les plus admirées du British Museum, à Londres.

Deux siècles après la campagne d'Égypte, la civilisation égyptienne est encore loin d'avoir livré tous ses secrets.

 

En s'embarquant pour l'Égypte, Bonaparte partait en conquérant.

D'un point de vue militaire, l'aventure est un demi-échec : la flotte est anéantie, l'armée est décimée par la peste, les populations locales sont en constante rébellion. Un an après le débarquement, Napoléon abandonne ses hommes et retourne en France.

Le véritable butin de la campagne d'Égypte a été scientifique. Par leurs dessins et leurs récits, les savants qui accompagnaient Napoléon ont révélé le nombre et la grandeur des monuments antiques de l'Égypte. Et sans le déchiffrement des hiéroglyphes, grâce à la pierre de Rosette, la civilisation égyptienne n'aurait jamais pu être comprise.

 

Napoléon était un militaire de génie. À son retour d'Égypte, il veut aller encore plus loin. Il dirige un coup d'État qui le propulse à la tête de la France.

Peu à peu, il s'empare de tous les leviers du pouvoir, entreprend de conquérir l'Europe et se sacre lui-même empereur.

Peut-on imaginer que son séjour au pays des pharaons a nourri son insatiable ambition?

 

Pour en savoir plus:

Ancient Egypt
Site du British Museum sur l'Égypte ancienne. En anglais.

The hieroglyph translator
Site du Royal Ontario Museum.
Un amusant traducteur de hiéroglyphes. En anglais.

 

musant traducteur de hiéroglyphes. En anglais.