Peu après la guerre du Golfe, l'armée américaine
a quitté les installations militaires qu'elle occupait
depuis 1947 aux Philippines. Elle a abandonné sur place
des tonnes de substances polluantes. Aujourd'hui, la population
locale souffre de diverses maladies directement reliées
à la contamination de l'environnement.
Production
: System TV
En
raison des droits d'auteur, ce reportage ne sera pas
disponible sur Internet.
Ce
reportage débute avec l'image de Caroline de Hanovre, princesse
de Monaco et aussi présidente de l'Association mondiale des
amis de l'enfance. En avril dernier, à l'occasion du quarantième
anniversaire de cette association, la princesse est interrogée
par les participants, sur les suites qu'elle compte donner à
une certaine lettre, adressée à George W. Bush.
Extrait
de cette lettre au président américain :
«Il
a été porté récemment à mon attention
que des milliers de familles, plus particulièrement des enfants,
ont été et continuent d'être contaminés
par des déchets toxiques près des anciennes bases
militaires américaines aux Philippines.»
La
princesse Caroline de Monaco
Il
faudra attendre quelques mois avant d'avoir une réponse de
la Maison-Blanche : «Les États-Unis utilisaient
ces bases selon un accord datant de 1947 et rien dans cet accord
ne nous obligeait à procéder au nettoyage de l'environnement.
»
Les déchets empoisonnés des Américains
En
1992, à la suite d'un vote du Sénat philippin, l'armée
américaine plie bagage. Elle quitte la base navale de Subic
et la base aérienne de Clark, au nord des Philippines. Des
bases que les États-Unis occupaient depuis plus de 50 ans
et qui jouèrent un rôle déterminant durant la
guerre du Vietnam. Ces bases auront servi de garages pour la réparation
et l'entretien des navires et des avions.
Tonette Orejas est journaliste au Philippine Daily Inquirer. Elle
fut la première à enquêter autour des anciennes
bases. Tonette : «J'ai
entendu parler d'histoires de femmes qui ont perdu des enfants,
j'ai vu des personnes malades avec des irritations sur la peau,
on m'a montré des sources d'eau potable jaunie par des traces
d'huile. Maintenant je travaille avec ces gens. Chaque fois que
j'entends parler de leur histoire, je partage leur douleur. »
Des
parents présentent leurs enfants. Une fillette est atteinte
de paralysie cérébrale. Elle ne peut pas rester debout.
Une autre petite fille a été opérée
trois fois au cur. Elle a une maladie congénitale due
à l'absorption d'eau polluée. Une grand-mère
présente son petit-fils, né avec une déformation
au visage. Elle explique que c'est dû au fait que la mère
de l'enfant consommait de l'eau contaminée pendant la grossesse.
La
racine du mal : du mercure, du plomb, des substances chimiques abandonnées
par l'armée américaine, polluant les rivières
et l'environnement. La nature est devenue poison pour les riverains
des bases. Subic Bay est devenue Toxic Bay. Difficile d'obtenir
des statistiques, mais on estime que plusieurs milliers de personnes
sont contaminées. Cette pollution, un rapport officiel du
gouvernement américain l'avait pourtant envisagée,
au moment de la fermeture des bases. On dit notamment dans ce rapport
que des déchets ont été jetés dans des
zones inondables et qu'ils pourraient un jour, s'il y a des inondations,
contaminer Subic Bay. Comment expliquer que ce rapport, transmis
au Département américain de la défense, soit
resté lettre morte? Peut-être faut-il chercher l'explication
dans cette simple phrase de conclusion : le coût d'un nettoyage
de l'environnement pourrait atteindre des sommes astronomiques.
Voici
le mea culpa d'un ancien commandant des Forces américaines
dans la région, Eugene Caroll : «Nous étions
obligés de purger, vidanger, nettoyer, décaper, et
repeindre les avions et les bateaux avec tous les résidus
que ça génère. En fait, nous étions
en permanence en train de produire des déchets d'origine
industrielle hautement toxiques, sans aucune considération
pour les problèmes de pollution. Il faut reconnaître
que nous laissons derrière nous des traces de substances
toxiques qui vont durer des décennies.»
Dix ans plus tard
Depuis
le départ des soldats américains, on essaie tant bien
que mal de tourner la page. Subic se prépare à devenir
un lieu de tourisme, mais aussi une vaste zone économique
où les États-Unis resteront présents à
travers des sociétés influentes. Mais on y croise
aussi des habitants qui se demandent si on ne leur cache pas encore
quelque chose. L'un d'eux : «Aujourd'hui, les plages
sont des lieux de loisirs où l'on vient pour se baigner ou
pique-niquer. [ ] Pour moi, il y a toujours des restes toxiques
ici, et les générations futures pourraient en souffrir
sans qu'elles le sachent, car il n'y a pas de signes, de panneaux
d'avertissement, et surtout pas de traitement de l'eau.»
Jade
Russel Timbas est la fille d'un docker qui travaillait à
Subic. Elle est bénévole à l'Association des
victimes. Entre deux visites à des enfants malades, elle
reçoit les anciens employés de la base, victimes de
leur exposition aux déchets toxiques. Beaucoup sont découragés
et croient que le combat est perdu d'avance. Mais pour Jade, pas
question de céder au fatalisme. Jade: «Il s'agit
de leur faire comprendre que les déchets n'affectent pas
seulement les humains mais la nature autour, et que le plomb et
le mercure ont un effet beaucoup plus large qu'ils ne le croient.»
En
1992, lors de l'éruption du volcan Pinatubo, 5000 familles
ont été relogées dans l'ancienne base aérienne
de Clark. Dina Miras a vécu à Clark : «L'eau
sentait mauvais, donnait des maux de ventre, des vomissements, des
diarrhées, des démangeaisons. Le gros problème,
c'était l'eau. Avec le recul, je me dis que c'était
encore pire que ce qu'on avait voulu éviter avec le volcan.
Car la lave, au moins, on la voit, on peut l'éviter sur la
route, alors que cette eau, on ne pouvait pas s'en passer, on n'avait
pas le choix, on ne savait pas que cette eau nous tuait à
petit feu. [ ] Je sentais que ça nous rendait malade,
mais ne savais pas que c'était aussi dangereux, et surtout
que mon fils allait en mourir.»
Dina vit aujourd'hui à Angeles City , à quelques kilomètres
de l'ancienne base, où elle tient une épicerie. Son
fils Crizel est la première victime recensée parmi
les enfants. Dina a fait de sa maison un refuge, un lieu d'entraide
pour les familles désemparées. Au siège de
la société de reconversion de la base, on ne songe
qu'à l'avenir. Des bureaux flambant neufs, une équipe
de marketing à pied d'uvre, et ce projet de technopole
avec des infrastructures ultramodernes. Ethel Miranda est directrice
du marketing à Clark Developpement. Lorsqu'on lui parle de
la délicate question des déchets toxiques sur la base,
elle répond : «Nous n'avons pas vraiment de preuves
scientifiques pour conclure à des maladies causées
par des déchets toxiques sur la base de Clark. Encore faudrait-il
le démontrer par des faits.»
Les
preuves scientifiques
Toby
Dayrit, chercheur en toxicologie à l'Université de
Manille, ne partage pas cet avis. Des preuves, il en a accumulées
un grand nombre depuis dix ans : «Nous
avons un taux élevé de maladies, un taux élevé
de cancer dans les populations vivant autour de ces bases. [ ]
Nous avons fait des rapports qui montrent bien que la pollution
est là. On prélève régulièrement
des échantillons sur la base de Clark, où des populations
vivent toujours, en raison des traces de polluants. On a encore
trouvé des traces de plomb, des pesticides. Tout ceci nous
indique bien qu'il y a contamination.»
Guy
Huel est épidémiologiste à l'INSERM : «Les
métaux lourds sont stockés dans l'organisme et n'en
sortent pas. Ils peuvent provoquer chez les populations, selon le
degré d'exposition, un certain nombre de problèmes
de santé. Généralement, ces problèmes
de santé touchent d'abord les enfants, les femmes enceintes,
et leur ftus. Une petite fille qui a été exposée
à Manille, 20 ans après, va exposer son propre ftus,
même si à cette époque elle n'est plus exposée
aux métaux lourds. Il y a principalement des effets sur le
système nerveux central, le développement psychomoteur
de l'enfant. [ ] La seule façon de remédier au
problème, c'est d'éliminer la source de pollution
ou de changer les populations de lieux pour éviter ce problème
d'imprégnation. »
La
colère des Philippins
Face
à un gouvernement américain qui fait le dos rond,
les Philippins sont de plus en plus nombreux à exprimer leur
colère. Dans les manifestations, on croise des familles de
victimes, mais on trouve aussi des représentants de l'Église
catholique et des écologistes. À Manille, la People
Task Force for Bases Cleanup demande au gouvernement américain
de venir faire le ménage autour des anciennes bases. L'association
mène une campagne au niveau international, espérant
ainsi sensibiliser les gouvernements étrangers, pour qu'ils
fassent ensuite pression sur les Américains.
Me
Éric Malonga est un avocat très populaire aux Philippines,
car il a envoyé deux sénateurs en prison pour pédophilie.
Aujourd'hui, il mène un combat pour aider les enfants victimes
de la contamination causée par l'armée américaine.
Il réclame notamment aux Nations unies la création
d'une commission d'enquête. Me Malonga : «Ils
(les Américains) doivent faire face à leur responsabilités.
Ils visent l'Irak et Saddam Hussein, ils lui reprochent de posséder
des armes de destruction massive. Et les armes de destruction massive
américaines, laissées en toute légalité
dans les anciennes bases militaires ici? Des gens en meurent et
nous ne sommes même pas des ennemis de l'Amérique.»
La
princesse de Monaco : «On cherche tout le temps à
nous rassurer sur l'innocuité de certains produits ou de
certaines offensives, sur l'absence ou le risque minime pour les
populations. Et on a l'impression qu'on a affaire à des apprentis
sorciers qui ne savent pas exactement où ils vont et ce qu'ils
manipulent.»
Le
message de la princesse Caroline a-t-il des chances d'être
entendu ? Les apprentis sorciers seront-ils plus forts? Ces derniers
sont en tout cas prévenus. Des citoyens, à Manille
comme ailleurs, sont bien décidés à se battre
pour laisser une autre planète à leurs enfants.
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