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Adaptation pour Internet : Danielle Beaudoin

Émission du 16 janvier 2004

LES ENFANTS DE TOXIC BAY

Peu après la guerre du Golfe, l'armée américaine a quitté les installations militaires qu'elle occupait depuis 1947 aux Philippines. Elle a abandonné sur place des tonnes de substances polluantes. Aujourd'hui, la population locale souffre de diverses maladies directement reliées à la contamination de l'environnement.

Production : System TV

En raison des droits d'auteur, ce reportage ne sera pas disponible sur Internet.

Ce reportage débute avec l'image de Caroline de Hanovre, princesse de Monaco et aussi présidente de l'Association mondiale des amis de l'enfance. En avril dernier, à l'occasion du quarantième anniversaire de cette association, la princesse est interrogée par les participants, sur les suites qu'elle compte donner à une certaine lettre, adressée à George W. Bush.

Extrait de cette lettre au président américain :

«Il a été porté récemment à mon attention que des milliers de familles, plus particulièrement des enfants, ont été et continuent d'être contaminés par des déchets toxiques près des anciennes bases militaires américaines aux Philippines.»

La princesse Caroline de Monaco

Il faudra attendre quelques mois avant d'avoir une réponse de la Maison-Blanche : «Les États-Unis utilisaient ces bases selon un accord datant de 1947 et rien dans cet accord ne nous obligeait à procéder au nettoyage de l'environnement. »

Les déchets empoisonnés des Américains

En 1992, à la suite d'un vote du Sénat philippin, l'armée américaine plie bagage. Elle quitte la base navale de Subic et la base aérienne de Clark, au nord des Philippines. Des bases que les États-Unis occupaient depuis plus de 50 ans et qui jouèrent un rôle déterminant durant la guerre du Vietnam. Ces bases auront servi de garages pour la réparation et l'entretien des navires et des avions.


Tonette Orejas est journaliste au Philippine Daily Inquirer. Elle fut la première à enquêter autour des anciennes bases. Tonette :
«J'ai entendu parler d'histoires de femmes qui ont perdu des enfants, j'ai vu des personnes malades avec des irritations sur la peau, on m'a montré des sources d'eau potable jaunie par des traces d'huile. Maintenant je travaille avec ces gens. Chaque fois que j'entends parler de leur histoire, je partage leur douleur. »

Des parents présentent leurs enfants. Une fillette est atteinte de paralysie cérébrale. Elle ne peut pas rester debout. Une autre petite fille a été opérée trois fois au cœur. Elle a une maladie congénitale due à l'absorption d'eau polluée. Une grand-mère présente son petit-fils, né avec une déformation au visage. Elle explique que c'est dû au fait que la mère de l'enfant consommait de l'eau contaminée pendant la grossesse.

La racine du mal : du mercure, du plomb, des substances chimiques abandonnées par l'armée américaine, polluant les rivières et l'environnement. La nature est devenue poison pour les riverains des bases. Subic Bay est devenue Toxic Bay. Difficile d'obtenir des statistiques, mais on estime que plusieurs milliers de personnes sont contaminées. Cette pollution, un rapport officiel du gouvernement américain l'avait pourtant envisagée, au moment de la fermeture des bases. On dit notamment dans ce rapport que des déchets ont été jetés dans des zones inondables et qu'ils pourraient un jour, s'il y a des inondations, contaminer Subic Bay. Comment expliquer que ce rapport, transmis au Département américain de la défense, soit resté lettre morte? Peut-être faut-il chercher l'explication dans cette simple phrase de conclusion : le coût d'un nettoyage de l'environnement pourrait atteindre des sommes astronomiques.

Voici le mea culpa d'un ancien commandant des Forces américaines dans la région, Eugene Caroll : «Nous étions obligés de purger, vidanger, nettoyer, décaper, et repeindre les avions et les bateaux avec tous les résidus que ça génère. En fait, nous étions en permanence en train de produire des déchets d'origine industrielle hautement toxiques, sans aucune considération pour les problèmes de pollution. Il faut reconnaître que nous laissons derrière nous des traces de substances toxiques qui vont durer des décennies.»

Dix ans plus tard

Depuis le départ des soldats américains, on essaie tant bien que mal de tourner la page. Subic se prépare à devenir un lieu de tourisme, mais aussi une vaste zone économique où les États-Unis resteront présents à travers des sociétés influentes. Mais on y croise aussi des habitants qui se demandent si on ne leur cache pas encore quelque chose. L'un d'eux : «Aujourd'hui, les plages sont des lieux de loisirs où l'on vient pour se baigner ou pique-niquer. […] Pour moi, il y a toujours des restes toxiques ici, et les générations futures pourraient en souffrir sans qu'elles le sachent, car il n'y a pas de signes, de panneaux d'avertissement, et surtout pas de traitement de l'eau.»

Jade Russel Timbas est la fille d'un docker qui travaillait à Subic. Elle est bénévole à l'Association des victimes. Entre deux visites à des enfants malades, elle reçoit les anciens employés de la base, victimes de leur exposition aux déchets toxiques. Beaucoup sont découragés et croient que le combat est perdu d'avance. Mais pour Jade, pas question de céder au fatalisme. Jade: «Il s'agit de leur faire comprendre que les déchets n'affectent pas seulement les humains mais la nature autour, et que le plomb et le mercure ont un effet beaucoup plus large qu'ils ne le croient.»

En 1992, lors de l'éruption du volcan Pinatubo, 5000 familles ont été relogées dans l'ancienne base aérienne de Clark. Dina Miras a vécu à Clark : «L'eau sentait mauvais, donnait des maux de ventre, des vomissements, des diarrhées, des démangeaisons. Le gros problème, c'était l'eau. Avec le recul, je me dis que c'était encore pire que ce qu'on avait voulu éviter avec le volcan. Car la lave, au moins, on la voit, on peut l'éviter sur la route, alors que cette eau, on ne pouvait pas s'en passer, on n'avait pas le choix, on ne savait pas que cette eau nous tuait à petit feu. […] Je sentais que ça nous rendait malade, mais ne savais pas que c'était aussi dangereux, et surtout que mon fils allait en mourir.»

Dina vit aujourd'hui à Angeles City , à quelques kilomètres de l'ancienne base, où elle tient une épicerie. Son fils Crizel est la première victime recensée parmi les enfants. Dina a fait de sa maison un refuge, un lieu d'entraide pour les familles désemparées. Au siège de la société de reconversion de la base, on ne songe qu'à l'avenir. Des bureaux flambant neufs, une équipe de marketing à pied d'œuvre, et ce projet de technopole avec des infrastructures ultramodernes. Ethel Miranda est directrice du marketing à Clark Developpement. Lorsqu'on lui parle de la délicate question des déchets toxiques sur la base, elle répond : «Nous n'avons pas vraiment de preuves scientifiques pour conclure à des maladies causées par des déchets toxiques sur la base de Clark. Encore faudrait-il le démontrer par des faits.»

Les preuves scientifiques

Toby Dayrit, chercheur en toxicologie à l'Université de Manille, ne partage pas cet avis. Des preuves, il en a accumulées un grand nombre depuis dix ans : «Nous avons un taux élevé de maladies, un taux élevé de cancer dans les populations vivant autour de ces bases. […] Nous avons fait des rapports qui montrent bien que la pollution est là. On prélève régulièrement des échantillons sur la base de Clark, où des populations vivent toujours, en raison des traces de polluants. On a encore trouvé des traces de plomb, des pesticides. Tout ceci nous indique bien qu'il y a contamination.»

Guy Huel est épidémiologiste à l'INSERM : «Les métaux lourds sont stockés dans l'organisme et n'en sortent pas. Ils peuvent provoquer chez les populations, selon le degré d'exposition, un certain nombre de problèmes de santé. Généralement, ces problèmes de santé touchent d'abord les enfants, les femmes enceintes, et leur fœtus. Une petite fille qui a été exposée à Manille, 20 ans après, va exposer son propre fœtus, même si à cette époque elle n'est plus exposée aux métaux lourds. Il y a principalement des effets sur le système nerveux central, le développement psychomoteur de l'enfant. […] La seule façon de remédier au problème, c'est d'éliminer la source de pollution ou de changer les populations de lieux pour éviter ce problème d'imprégnation. »

La colère des Philippins

Face à un gouvernement américain qui fait le dos rond, les Philippins sont de plus en plus nombreux à exprimer leur colère. Dans les manifestations, on croise des familles de victimes, mais on trouve aussi des représentants de l'Église catholique et des écologistes. À Manille, la People Task Force for Bases Cleanup demande au gouvernement américain de venir faire le ménage autour des anciennes bases. L'association mène une campagne au niveau international, espérant ainsi sensibiliser les gouvernements étrangers, pour qu'ils fassent ensuite pression sur les Américains.

Me Éric Malonga est un avocat très populaire aux Philippines, car il a envoyé deux sénateurs en prison pour pédophilie. Aujourd'hui, il mène un combat pour aider les enfants victimes de la contamination causée par l'armée américaine. Il réclame notamment aux Nations unies la création d'une commission d'enquête. Me Malonga : «Ils (les Américains) doivent faire face à leur responsabilités. Ils visent l'Irak et Saddam Hussein, ils lui reprochent de posséder des armes de destruction massive. Et les armes de destruction massive américaines, laissées en toute légalité dans les anciennes bases militaires ici? Des gens en meurent et nous ne sommes même pas des ennemis de l'Amérique.»

La princesse de Monaco : «On cherche tout le temps à nous rassurer sur l'innocuité de certains produits ou de certaines offensives, sur l'absence ou le risque minime pour les populations. Et on a l'impression qu'on a affaire à des apprentis sorciers qui ne savent pas exactement où ils vont et ce qu'ils manipulent.»

Le message de la princesse Caroline a-t-il des chances d'être entendu ? Les apprentis sorciers seront-ils plus forts? Ces derniers sont en tout cas prévenus. Des citoyens, à Manille comme ailleurs, sont bien décidés à se battre pour laisser une autre planète à leurs enfants.

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L'émission est aussi rediffusée intégralement sur les ondes de RDI le dimanche à 20 h et le lundi à 1 h.

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