.   Adaptation pour Internet : Danielle Beaudoin

Émission du 23 janvier 2004

LES CHRÉTIENS SIONISTES

Depuis quelques années, le fondamentalisme religieux a radicalisé le conflit au Moyen-Orient. Ce qu'on sait moins, par contre, c'est que de plus en plus de chrétiens fondamentalistes contribuent à leur façon aussi à radicaliser le conflit. Aux États-Unis, les églises protestantes qui appartiennent au mouvement évangélique comptent plus de 50 millions de fidèles. L'interprétation de la Bible qui a cours dans un grand nombre de ces églises conduit leurs adeptes à vénérer le peuple juif et l'État d'Israël, et à refuser toute concession territoriale aux Palestiniens.

Journaliste : Luc Chartrand
Réalisateur : 
Robert G. Hynes


POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

Première partie
Deuxième partie
Troisième partie
Quatrième partie


L'humanité proche de la fin

Kevin Gyllenberg

Kevin Gyllenberg, de Chicago, et sa femme Sheila, de Toronto, sont des chrétiens évangéliques. Ce sont aussi des Israéliens. Même s'ils ne sont pas juifs, ils ont choisi Israël pour fonder leur famille de rêve. Ils se sont établis à Ariel, une colonie juive en Territoires occupés de Cisjordanie. Depuis son balcon, Kevin aperçoit des villages palestiniens, qu'il est incapable de nommer, et où il n'a jamais été. Kevin : « La Bible dit que cette terre a été promise par Dieu au peuple juif. Elle fait référence à toute la terre, alors je ne fais pas de distinction entre ce que certains appellent la Cisjordanie, ce que nous appelons Judée et Samarie, ou les "territoires libérés". Je ne fais pas de distinction. Pour Dieu, cette région fait partie d'Israël autant que Tel Aviv ou Haïfa. »

Comme beaucoup de chrétiens évangéliques, qui prennent la Bible au pied de la lettre, les Gyllenberg croient que la fin du monde est proche. Et c'est d'ailleurs ce qui les a amenés en Israël. Les Juifs croient à la venue du Messie sur Terre à la fin des temps. Pour les chrétiens, c'est le Christ qui reviendra. Certains prophètes de la Bible ont décrit les conditions qui devaient précéder ces événements.

En 1948, les fondamentalistes évangéliques du monde entier ont été galvanisés: la création de l'État d'Israël semblait réaliser une prophétie d'Ezeckiel, qui avait annoncé dans l'Ancien Testament le retour des Juifs après un exode de 2000 ans. La prise de la ville sainte de Jérusalem par les Israéliens, lors de la Guerre des Six Jours de 1967, remplissait une autre condition.

Mais plusieurs autres événements doivent encore se réaliser. Un des endroits les plus mythiques lié aux prophéties de la fin du monde, c'est la vallée d'Armageddon, à environ 200 km au nord de Jérusalem. C'est là qu'aura lieu la bataille finale entre les forces du Bien et celles de l'Antéchrist. Et la victoire du bien permettra enfin le retour du Christ sur Terre.

Des évangélistes à Jérusalem

Comme chaque automne, les chambres d'hôtel de Jérusalem sont prises d'assaut par des évangélistes venus de partout dans le monde. C'est au Mont du Temple que tout doit arriver: le lieu où, croit-on, Abraham voulut sacrifier son fils à Dieu. C'est l'endroit même où, jusqu'à l'exode des Juifs, s'élevait le Temple du roi Salomon, détruit en l'an 70 par les Romains. Il ne reste plus qu'un ancien mur de fondation, le Mur des Lamentations. Les Juifs fondamentalistes, comme les chrétiens évangéliques, croient que sa reconstruction est la dernière condition à la venue d'un Sauveur. Le problème, ce sont les mosquées construites par les Arabes sur l'emplacement du Temple. Pendant que les Juifs prient en bas devant le Mur, les musulmans vont à la prière juste de l'autre côté, sous la protection et la surveillance de la police israélienne. Nous sommes au cœur du litige.

À l'occasion de la fête juive des Tabernacles, la fête de Sukkot, des chrétiens fondamentalistes se joignent à la foule venue prier. C'est aussi l'occasion de la Marche de Jérusalem, une fête patriotique pour les Israéliens. Plusieurs milliers de chrétiens évangéliques en costume national, viennent exprimer leur solidarité. Les chrétiens qui organisent ces rassemblements ont obtenu un statut diplomatique du gouvernement israélien et ils ont même ouvert une ambassade à Jérusalem.

Ces chrétiens manifestent avec les Juifs dans les rues de Jérusalem pour rappeler à quel point leur soutien à l'État d'Israël est inconditionnel. Le fondement de leur engagement est religieux. Mais il s'exprime aussi par une solidarité politique. Le premier ministre israélien Ariel Sharon et les dirigeants de son parti, le Likoud, ont forgé une véritable alliance avec ces chrétiens. À la fois victimes et bourreaux d'une guerre sauvage avec les Palestiniens, les Israéliens sont de plus en plus isolés sur le plan international. Cette alliance leur est providentielle.

Les évangélistes ne font pas que soutenir Israël moralement. Leur argent sert à lutter contre la pauvreté, à acheter des autobus scolaires blindés, - contre les terroristes - ou encore à aider des Juifs de Russie ou d'Ukraine à immigrer en Israël. Le rabbin Yechiel Eckstein dirige une des principales agences de collecte de fonds pour Israël auprès des évangélistes américains. Le rabbin explique que son groupe a recueilli, en l'espace de sept ou huit ans, près de 100 millions de dollars américains pour aider des Juifs du monde entier.

Un puissant mouvement évangéliste aux États-Unis

Les évangélistes sont présents sur tous les continents. Mais c'est aux États-Unis que leur mouvement est le plus puissant et qu'il a le plus d'influence. Le rabbin Eckstein : « Lorsque d'une part, on a, comme aux États-Unis, un "Born Again Christian" (un chrétien reconverti) à la Maison-Blanche et des dirigeants chrétiens dans toute l'administration, et d'autre part, un parti républicain comprenant de nombreux chrétiens favorables à Israël, mais peu de Juifs, ces derniers appuyant surtout le parti démocrate, les chrétiens qui appuient Israël ne sont pas simplement des alliés importants, mais ils représentent un atout stratégique majeur pour Israël et le peuple juif, peut-être encore plus que la communauté juive elle-même. »

Le journaliste israélien Gershom Gorenberg : « Une des grandes questions est de savoir dans quelle mesure la résistance du président Bush à s'engager en faveur de la diplomatie pour la paix au Moyen-Orient, s'explique par les pressions de la droite chrétienne du parti républicain aux États-Unis. Cette droite tente clairement d'empêcher le président de faire pression sur Israël et aussi de l'empêcher de participer à un processus de paix qui s'accompagne de concessions territoriales. Essentiellement, ces chrétiens veulent que Bush soutienne les tenants de la ligne la plus dure en Israël. »

La religion est au cœur de la vie américaine et le christianisme évangélique est le courant qui croît le plus rapidement. Près de 50 millions d'Américains en font partie. Le mouvement compte des milliers de sectes et de confessions, parmi lesquelles les baptistes et les pentecôtistes sont les plus importantes. Ces églises interprètent la Bible littéralement et mettent l'accent sur les sources judaïques du christianisme.

Pat Robertson

La télévision religieuse américaine est une grosse machine. Pat Robertson est l'un des télévangélistes les plus influents. C'est aussi un leader des « chrétiens sionistes ». Pat Robertson : « Dans l'Ancien Testament, le prophète Zacharie nous dit qu'aux jours derniers, Israël sera encerclé par ses ennemis. Que les nations de la terre s'uniront contre lui. On dirait que cette prophétie est sur le point de se réaliser. »

C'est un autre prélude à l'Apocalypse: toutes les nations de la Terre doivent se liguer contre Israël sous la gouverne de l'Antéchrist. Et pour les fondamentalistes, le siège de l'Antéchrist pourrait bien être les Nations unies. Pat Robertson : « Les Nations unies sont violemment opposées à Israël. Et elles sont sensées représenter les nations du monde. »

Jusqu'à la fin des années 70, les évangélistes étaient trop éparpillés pour avoir une véritable cohésion politique. Ensuite, la droite chrétienne américaine a commencé à s'organiser. Ed McAteer, un directeur du marketing chez Colgate Palmolive et un baptiste ultra-conservateur, a créé la Table ronde religieuse, une coalition qui devait jouer un grand rôle dans l'élection de Ronald Reagan. Ed McAteer a été aussi un des principaux artisans de la réunion de la droite américaine et de la droite israélienne. Aujourd'hui retraité à Memphis, il poursuit inlassablement son travail d'entremetteur entre Juifs et chrétiens.

Les élus républicains comptent un grand nombre d'évangélistes, à commencer par le président Bush et le leader de la majorité au Congrès, Tom DeLay. Les Juifs américains sont traditionnellement méfiants envers la droite chrétienne et votent davantage pour les démocrates. Mais au moment où Israël est isolé sur la scène internationale, on ne choisit pas ses amis.

Un amour aveugle

Uri Avnery

Le pacifiste Uri Avnery, est un des rares Israéliens à croire qu'on puisse faire la paix avec Yasser Arafat. Il s'inquiète de la montée de cette alliance et de ses conséquences pour la paix. M. Avnery : « En ce moment, sous l'administration Bush, ils sont plus puissants encore que le lobby juif. Ensemble, ils ont un pouvoir immense. M. Sharon contrôle le Congrès, bien plus que M. Bush. […] M. Sharon et le lobby juif, appuyé par le lobby des fondamentalistes chrétiens, peuvent empêcher la réélection de n'importe quel sénateur ou congressman aux États-Unis. »

Environ 40 % du vote pour George Bush aux dernières présidentielles américaines venait de la droite religieuse. Et sa Feuille de route pour une solution pacifique au conflit israélo-palestinien a été très mal accueillie chez cet électorat. Ed McAteer : « Chaque grain de sable sur ce petit bout de territoire entre la mer Méditerranée, la Mer morte et le Jourdain, appartient aux Juifs. Dieu le leur a donné. Il n'appartient pas aux États-Unis, ni aux Palestiniens. Il n'appartient à personne, sauf au peule juif. M. Bush commet une erreur fatale, en essayant de diviser ce territoire. »

Pat Robertson : « Si George Bush devait insister pour demander la partition de Jérusalem, et céder Jérusalem Est à Arafat, je pense que les évangélistes le désavoueraient en grand nombre. Ils ne voteraient pas nécessairement pour un démocrate, mais ils ne voteraient pas pour lui. »

Pourtant, un fort pourcentage d'Israéliens acceptent aujourd'hui l'idée que des concessions territoriales et la création d'un État palestinien sont inévitables. Les fondamentalistes chrétiens sont donc plus intraitables que la plupart des Israéliens. Uri Avnery : « Les chrétiens évangéliques sont les pires ennemis d'Israël. Comme le dit le vieux proverbe : avec des amis comme eux, on n'a pas besoin d'ennemis. […] Ils vont provoquer un désastre, mais pas celui qu'ils pensent. Si Israël brûle les derniers ponts avec le monde arabe, par exemple, en tuant Yasser Arafat, ce qu'ils cherchent à faire tous les jours maintenant, ou bien s'ils font sauter la mosquée à Jérusalem, ou s'ils commettent tout autre acte apocalyptique de ce genre, Israël ne pourra plus jamais espérer vivre en paix. »

Mais tant que les évangélistes seront convaincus que leur vision d'Israël est partagée par Dieu lui-même, ils continueront de se mêler de sa politique et de son destin. Leur amour d'Israël est aveugle.



L'émission Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada le vendredi à 21 h.

Elle sera présentée en rediffusion dans le cadre de l'émission Place publique, le jeudi à 12 h 30, et sera alors enrichie par des commentaires et des discussions en direct. En outre, on répondra à des questions des téléspectateurs soulevées par l'émission.

L'émission est aussi rediffusée intégralement sur les ondes de RDI le dimanche à 20 h et le lundi à 1 h.

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