Depuis
quelques années, le fondamentalisme religieux a radicalisé
le conflit au Moyen-Orient. Ce qu'on sait moins, par contre,
c'est que de plus en plus de chrétiens fondamentalistes
contribuent à leur façon aussi à radicaliser
le conflit. Aux États-Unis, les églises protestantes
qui appartiennent au mouvement évangélique comptent
plus de 50 millions de fidèles. L'interprétation
de la Bible qui a cours dans un grand nombre de ces églises
conduit leurs adeptes à vénérer le peuple
juif et l'État d'Israël, et à refuser toute
concession territoriale aux Palestiniens.
Kevin
Gyllenberg, de Chicago, et sa femme Sheila, de Toronto, sont des
chrétiens évangéliques. Ce sont aussi des Israéliens.
Même s'ils ne sont pas juifs, ils ont choisi Israël pour
fonder leur famille de rêve. Ils se sont établis à
Ariel, une colonie juive en Territoires occupés de Cisjordanie.
Depuis son balcon, Kevin aperçoit des villages palestiniens,
qu'il est incapable de nommer, et où il n'a jamais été.
Kevin : « La Bible dit que cette terre
a été promise par Dieu au peuple juif. Elle fait référence
à toute la terre, alors je ne fais pas de distinction entre
ce que certains appellent la Cisjordanie, ce que nous appelons Judée
et Samarie, ou les "territoires libérés".
Je ne fais pas de distinction. Pour Dieu, cette région fait
partie d'Israël autant que Tel Aviv ou Haïfa. »
Comme
beaucoup de chrétiens évangéliques, qui prennent
la Bible au pied de la lettre, les Gyllenberg croient que la fin
du monde est proche. Et c'est d'ailleurs ce qui les a amenés
en Israël. Les
Juifs croient à la venue du Messie sur Terre à la
fin des temps. Pour les chrétiens, c'est le Christ qui reviendra.
Certains prophètes de la Bible ont décrit les conditions
qui devaient précéder ces événements.
En
1948, les fondamentalistes évangéliques du monde entier
ont été galvanisés: la création de l'État
d'Israël semblait réaliser une prophétie d'Ezeckiel,
qui avait annoncé dans l'Ancien Testament le retour des Juifs
après un exode de 2000 ans. La prise de la ville sainte de
Jérusalem par les Israéliens, lors de la Guerre des
Six Jours de 1967, remplissait une autre condition.
Mais
plusieurs autres événements doivent encore se réaliser.
Un des endroits les plus mythiques lié aux prophéties
de la fin du monde, c'est la vallée d'Armageddon, à
environ 200 km au nord de Jérusalem. C'est là qu'aura
lieu la bataille finale entre les forces du Bien et celles de l'Antéchrist.
Et la victoire du bien permettra enfin le retour du Christ sur Terre.
Des
évangélistes à Jérusalem
Comme
chaque automne, les chambres d'hôtel de Jérusalem sont
prises d'assaut par des évangélistes venus de partout
dans le monde. C'est au Mont du Temple que tout doit arriver: le
lieu où, croit-on, Abraham voulut sacrifier son fils à
Dieu. C'est l'endroit même où, jusqu'à l'exode
des Juifs, s'élevait le Temple du roi Salomon, détruit
en l'an 70 par les Romains. Il ne reste plus qu'un ancien mur de
fondation, le Mur des Lamentations. Les Juifs fondamentalistes,
comme les chrétiens évangéliques, croient que
sa reconstruction est la dernière condition à la venue
d'un Sauveur. Le problème, ce sont les mosquées construites
par les Arabes sur l'emplacement du Temple. Pendant que les Juifs
prient en bas devant le Mur, les musulmans vont à la prière
juste de l'autre côté, sous la protection et la surveillance
de la police israélienne. Nous sommes au cur du litige.
À
l'occasion de la fête juive des Tabernacles, la fête
de Sukkot, des chrétiens fondamentalistes se joignent à
la foule venue prier. C'est aussi l'occasion de la Marche de Jérusalem,
une fête patriotique pour les Israéliens. Plusieurs
milliers de chrétiens évangéliques en costume
national, viennent exprimer leur solidarité. Les chrétiens
qui organisent ces rassemblements ont obtenu un statut diplomatique
du gouvernement israélien et ils ont même ouvert une
ambassade à Jérusalem.
Ces
chrétiens manifestent avec les Juifs dans les rues de Jérusalem
pour rappeler à quel point leur soutien à l'État
d'Israël est inconditionnel. Le fondement de leur engagement
est religieux. Mais il s'exprime aussi par une solidarité
politique. Le premier ministre israélien Ariel Sharon et
les dirigeants de son parti, le Likoud, ont forgé une véritable
alliance avec ces chrétiens. À la fois victimes et
bourreaux d'une guerre sauvage avec les Palestiniens, les Israéliens
sont de plus en plus isolés sur le plan international. Cette
alliance leur est providentielle.
Les
évangélistes ne font pas que soutenir Israël
moralement. Leur argent sert à lutter contre la pauvreté,
à acheter des autobus scolaires blindés, - contre
les terroristes - ou encore à aider des Juifs de Russie ou
d'Ukraine à immigrer en Israël. Le rabbin Yechiel Eckstein
dirige une des principales agences de collecte de fonds pour Israël
auprès des évangélistes américains.
Le rabbin explique que son groupe a recueilli, en l'espace de sept
ou huit ans, près de 100 millions de dollars américains
pour aider des Juifs du monde entier.
Un
puissant mouvement évangéliste aux États-Unis
Les
évangélistes sont présents sur tous les continents.
Mais c'est aux États-Unis que leur mouvement est le plus
puissant et qu'il a le plus d'influence. Le rabbin Eckstein : « Lorsque
d'une part, on a, comme aux États-Unis, un "Born Again
Christian" (un chrétien reconverti) à la Maison-Blanche
et des dirigeants chrétiens dans toute l'administration,
et d'autre part, un parti républicain comprenant de nombreux
chrétiens favorables à Israël, mais peu de Juifs,
ces derniers appuyant surtout le parti démocrate, les chrétiens
qui appuient Israël ne sont pas simplement des alliés
importants, mais ils représentent un atout stratégique
majeur pour Israël et le peuple juif, peut-être encore
plus que la communauté juive elle-même. »
Le
journaliste israélien Gershom Gorenberg : « Une
des grandes questions est de savoir dans quelle mesure la résistance
du président Bush à s'engager en faveur de la diplomatie
pour la paix au Moyen-Orient, s'explique par les pressions de la
droite chrétienne du parti républicain aux États-Unis.
Cette droite tente clairement d'empêcher le président
de faire pression sur Israël et aussi de l'empêcher de
participer à un processus de paix qui s'accompagne de concessions
territoriales. Essentiellement, ces chrétiens veulent que
Bush soutienne les tenants de la ligne la plus dure en Israël. »
La religion est au cur de la vie américaine et le christianisme
évangélique est le courant qui croît le plus
rapidement. Près de 50 millions d'Américains en font
partie. Le mouvement compte des milliers de sectes et de confessions,
parmi lesquelles les baptistes et les pentecôtistes sont les
plus importantes. Ces églises interprètent la Bible
littéralement et mettent l'accent sur les sources judaïques
du christianisme.
Pat
Robertson
La
télévision religieuse américaine est une grosse
machine. Pat Robertson est l'un des télévangélistes
les plus influents. C'est aussi un leader des « chrétiens
sionistes ». Pat Robertson : « Dans
l'Ancien Testament, le prophète Zacharie nous dit qu'aux
jours derniers, Israël sera encerclé par ses ennemis.
Que les nations de la terre s'uniront contre lui. On dirait que
cette prophétie est sur le point de se réaliser. »
C'est
un autre prélude à l'Apocalypse: toutes les nations
de la Terre doivent se liguer contre Israël sous la gouverne
de l'Antéchrist. Et pour les fondamentalistes, le siège
de l'Antéchrist pourrait bien être les Nations unies.
Pat Robertson : « Les Nations unies sont
violemment opposées à Israël. Et elles sont sensées
représenter les nations du monde. »
Jusqu'à
la fin des années 70, les évangélistes étaient
trop éparpillés pour avoir une véritable cohésion
politique. Ensuite, la droite chrétienne américaine
a commencé à s'organiser. Ed McAteer, un directeur
du marketing chez Colgate Palmolive et un baptiste ultra-conservateur,
a créé la Table ronde religieuse, une coalition qui
devait jouer un grand rôle dans l'élection de Ronald
Reagan. Ed McAteer a été aussi un des principaux artisans
de la réunion de la droite américaine et de la droite
israélienne. Aujourd'hui retraité à Memphis,
il poursuit inlassablement son travail d'entremetteur entre Juifs
et chrétiens.
Les
élus républicains comptent un grand nombre d'évangélistes,
à commencer par le président Bush et le leader de
la majorité au Congrès, Tom DeLay. Les Juifs américains
sont traditionnellement méfiants envers la droite chrétienne
et votent davantage pour les démocrates. Mais au moment où
Israël est isolé sur la scène internationale,
on ne choisit pas ses amis.
Un
amour aveugle
Uri
Avnery
Le
pacifiste Uri Avnery, est un des rares Israéliens à
croire qu'on puisse faire la paix avec Yasser Arafat. Il s'inquiète
de la montée de cette alliance et de ses conséquences
pour la paix. M. Avnery : « En ce moment,
sous l'administration Bush, ils sont plus puissants encore que le
lobby juif. Ensemble, ils ont un pouvoir immense. M. Sharon contrôle
le Congrès, bien plus que M. Bush. [ ] M. Sharon et
le lobby juif, appuyé par le lobby des fondamentalistes chrétiens,
peuvent empêcher la réélection de n'importe
quel sénateur ou congressman aux États-Unis. »
Environ
40 % du vote pour George Bush aux dernières présidentielles
américaines venait de la droite religieuse. Et sa Feuille
de route pour une solution pacifique au conflit israélo-palestinien
a été très mal accueillie chez cet électorat.
Ed McAteer : « Chaque grain de sable
sur ce petit bout de territoire entre la mer Méditerranée,
la Mer morte et le Jourdain, appartient aux Juifs. Dieu le leur
a donné. Il n'appartient pas aux États-Unis, ni aux
Palestiniens. Il n'appartient à personne, sauf au peule juif.
M. Bush commet une erreur fatale, en essayant de diviser ce territoire. »
Pat
Robertson : « Si George Bush devait insister
pour demander la partition de Jérusalem, et céder
Jérusalem Est à Arafat, je pense que les évangélistes
le désavoueraient en grand nombre. Ils ne voteraient pas
nécessairement pour un démocrate, mais ils ne voteraient
pas pour lui. »
Pourtant,
un fort pourcentage d'Israéliens acceptent aujourd'hui l'idée
que des concessions territoriales et la création d'un État
palestinien sont inévitables. Les fondamentalistes chrétiens
sont donc plus intraitables que la plupart des Israéliens.
Uri Avnery : « Les chrétiens évangéliques
sont les pires ennemis d'Israël. Comme le dit le vieux proverbe
: avec des amis comme eux, on n'a pas besoin d'ennemis. [ ]
Ils vont provoquer un désastre, mais pas celui qu'ils pensent.
Si Israël brûle les derniers ponts avec le monde arabe,
par exemple, en tuant Yasser Arafat, ce qu'ils cherchent à
faire tous les jours maintenant, ou bien s'ils font sauter la mosquée
à Jérusalem, ou s'ils commettent tout autre acte apocalyptique
de ce genre, Israël ne pourra plus jamais espérer vivre
en paix. »
Mais tant que les évangélistes seront convaincus que
leur vision d'Israël est partagée par Dieu lui-même,
ils continueront de se mêler de sa politique et de son destin.
Leur amour d'Israël est aveugle.
L'émission
Zone Libre est diffusée sur les ondes
de Radio-Canada le vendredi à 21 h.
Elle
sera présentée en rediffusion dans le cadre
de l'émission Place publique, le jeudi
à 12 h 30, et sera alors enrichie par des
commentaires et des discussions en direct. En outre, on répondra
à des questions des téléspectateurs soulevées
par l'émission.
L'émission
est aussi rediffusée intégralement sur les ondes
de RDI le dimanche à 20 h et le lundi à
1 h.
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