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Adaptation pour Internet : DANIELLE BEAUDOIN

Émission du 21 novembre 2003

RETOUR D'UN EXILÉ EN AFGHANISTAN

Après 14 ans, un Québécois d'origine afghane retourne dans son pays natal. Il y découvre une dévastation pire qu'il ne pouvait imaginer. Une équipe de Zone libre l'a accompagné dans ce pèlerinage, qui le mène de Kaboul jusqu'à son village, où il est reçu comme un roi. Un regard exceptionnel sur l'Afghanistan d'aujourd'hui.

Journaliste : Anne Panasuk
Réalisatrice : 
Kristina von Hlatky




Shah Ismatullah est né dans un petit village, en plein cœur des montagnes de l'Afghanistan. Il a quitté son pays avec femme et enfants pour fuir la guerre. Là-bas, il est fils de leader religieux. Ici, il est un réfugié qui a refait sa vie à Sherbrooke depuis dix ans. Shah Ismatullah n'a pas oublié son pays natal, même s'il a eu très peu de nouvelles de sa famille restée là-bas. Il décide d'aller y passer quelques jours. Une équipe de Zone libre l'accompagne, pour connaître son Afghanistan.

Kaboul ou le chaos

On arrive à Kaboul. Shah Ismatullah n'a averti personne de son retour. Il a toujours craint que des seigneurs de la guerre ne kidnappent ses proches. Sur la route qui mène au centre-ville, tout n'est que destruction. Les épaves militaires rappellent les 23 ans de guerres : contre les Soviétiques, entre groupes islamiques, pour renverser les talibans. Les souvenirs submergent Shah Ismatullah. Simple fonctionnaire, il a réussi à mettre sa femme et leurs trois enfants à l'abri, en Inde. Il est resté trois longues années seul en Afghanistan, le temps de pouvoir sortir muni d'un faux passeport.

C'est la chaos à Kaboul. Il y a bien sûr ces odeurs; on ne fait pas la collecte des ordures en Afghanistan. Dans la plupart des quartiers, il n'y a pas d'eau courante, pas de feux de circulation et pas d'électricité.

Le lendemain de son arrivée, Shah Ismatullah essaie de repérer la maison où il a habité avec sa femme, lorsqu'ils vivaient à Kaboul. Elle n'y est plus. Cette maison et d'autres ont été rasées. Shah Ismatullah retrouvera peu d'amis à Kaboul. Ils ont tous quitté le pays. En s'aventurant dans les décombres, on découvre un campement de fortune. Une vingtaine de personnes y vivent. Ce sont des réfugiés. L'un d'entre eux explique qu'il a vécu 22 ans en Iran et qu'il est revenu parce qu'on leur a promis des terres ici : « Cela fait deux mois que nous sommes revenus. Mais on a même pas reçu un morceau de pain. […] Nos enfants sont malades et ils ont faim. Il n'y a rien à manger et je n'ai aucun moyen de gagner ma vie. » Les enfants ne vont pas à l'école. La famille est coincée à Kaboul. Retourner au village natal est encore trop dangereux. Une toile de plastique leur sert de toit. Shah Ismatullah est ému par ce qu'il vient de voir. Et triste aussi : « Je ne trouve pas de mots pour décrire ça. »

Depuis la chute des talibans, en 2001, 3 millions d'exilés sont de retour, encouragés par les appels du gouvernement de Karzai. C'est trois fois plus que prévu, dans un pays encore dans le chaos. Un enfant sur deux en Afghanistan souffre de malnutrition. L'espérance de vie dans ce pays est de 40 ans. En deux ans, la population de Kaboul a doublé.

Les clans guerriers font encore la loi

L'expédition se rend dans la vallée du Panchir à une fête organisée en l'honneur d'Ahmed Shah Massoud, un chef de guérilla qui a fait plier l'armée rouge et ensuite les talibans. Le paysage est marqué par la guerre. Des milliers d'hommes rendent hommage à Massoud, surnommé le lion du Panchir, le martyr de la résistance. Massoud a été tué il y a deux ans à la veille des attentats du 11 septembre. Aujourd'hui, les maîtres du pays sont les hommes de Massoud, des Tadjiks - une ethnie minoritaire dont vient aussi Shah Ismatullah.

Shah Ismatullah constate que rien n'a changé. Les rivalités entre ethnies et clans guerriers menacent encore le pays. Il y aurait des centaines de milliers d'armes encore en circulation. Un jeune Afghan qui travaille aujourd'hui pour la police militaire du gouvernement, affirme qu'il n'a pas été payé depuis neuf mois et qu'il attend un ordre de Kaboul pour désarmer la population. Mais le gouvernement est lui-même tellement démuni, si l'on en croit le ministre des Finances, Ashraf Ghani. Cet homme, qui est revenu des États-Unis d'un exil de 24 ans, raconte comment il a été terrassé en constatant dans quel état était son pays… et son ministère : l'édifice ressemblait à une étable, il n'y avait qu'une seule toilette pour toute la bâtisse, pas un seul ordinateur, pas d'éclairage et une institution terriblement corrompue.

Un pèlerinage vers le village natal

Prochaine destination : le Badakshan, une province dans le nord de l'Afghanistan, au pied de hautes montagnes. L'équipe se rend d'abord chez le gouverneur pour obtenir un sauf-conduit. Ce gouverneur est ici depuis deux mois. Son prédécesseur a été limogé pour avoir collaboré au commerce d'opium. Certains gouverneurs et même des ministres sont d'anciens seigneurs de guerre. Ils sont armés et gardent pour eux les taxes destinées au gouvernement qu'ils prélèvent sur leur territoire.
La route vers Eshkashem est dangereuse. Il y a eu onze hold-up la semaine précédente. Il faut aussi faire attention aux mines. L'Afghanistan est le pays le plus miné au monde.

L'équipe rencontre des paysans, dans ce décor magnifique où l'on vit encore comme au Moyen-Âge. L'un d'eux raconte que Karzai est venu il y a trois mois en promettant qu'il ferait tout pour reconstruire : « Mais il nous a oubliés. » Sur la route, Shah Ismatullah confie qu'il aurait envie de revenir au pays pour aider les gens. Mais travailler en Afghanistan voudrait dire laisser ses enfants au Québec ou alors leur imposer un décalage culturel.

L'équipée croise sur son chemin plusieurs champs de pavot, cette plante que l'on transforme en opium ou héroïne. Au Badakshan, le pavot pousse dans un champ sur trois . Un paysan explique qu'il en cultive depuis trois ans et que personne ne l'en empêche. Le pavot lui rapporte 30 fois plus que le blé. Le pavot est le principal revenu du pays; soit 2 milliards de dollars par année. Davantage que toute l'aide internationale. Ce paysan : « Si le gouvernement nous aidait, je ne me forcerais pas à cultiver le pavot. Cela me cause quand même beaucoup d'ennuis. »

Eshkashem, un village d'une autre époque

Shah Ismatullah, Québécois d'adoption et citoyen de Sherbrooke, est vénéré dans son village natal. Le village a préparé un accueil princier à Shah, leur chef religieux. Un titre qu'il a hérité de son père à son décès. Shah pleure devant la misère de son peuple. Pour cet homme, c'est un voyage dans le passé, un retour à la maison de son enfance et aux traditions ancestrales. Pour les villageois, ce retour ravive l'espoir d'obtenir de l'aide. Mais Shah Ismatullah se sent troublé et impuissant. Pendant deux jours, des centaines de personnes viennent le saluer. Shah, habillé à l'occidentale, est incapable de modérer les marques de vénération de ces gens désespérés, qui l'embrasse sur les mains.

La seule façon d'aider son peuple serait de travailler pour une ONG, comme la Fondation Aga Khan, l'une des rares à travailler dans cette région. Le Canada collabore avec cette fondation, qui vient de construire un pont à quelques kilomètres du village. Un pont qui ne mène nulle part…il n'y a pas encore de route de l'autre côté. Les villages sont isolés, coupés des services les plus élémentaires. Ici, le taux de mortalité maternelle est le plus élevé au monde, faute d'accès aux soins.

La Fondation construit plusieurs écoles dans la région. L'École où Shah a étudié a été rénovée grâce à l'aide internationale. Quant à l'école des filles, elle a survécu au joug des talibans. Les villageois ont résisté aux talibans, ils leur ont dit qu'ils se battraient pour défendre les droits des filles afghanes. Shah n'a pas connu cette période. Il est bouleversé par ce qu'il entend. Encore aujourd'hui, l'éducation des filles est menacée. Deux écoles de filles ont été brûlées dans la région où il n'y a pourtant plus de talibans. Une étudiante : « Les gens viennent prendre notre photo mais rien ne change. »

La veille de son départ, les villageois expriment tous le désir de revoir Shah Ismatullah bientôt. Son frère dit : « Puisqu'il est né ici, il devrait revenir ici et servir son peuple. »

En conclusion

Shah Ismatullah est trop occidentalisé pour revenir vivre ici. Finalement, ce retour aux sources ne l'aura pas apaisé, bien au contraire. C'est avec un lourd sentiment de culpabilité que Shah Ismatullah quitte les siens.


POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

Première partie
Deuxième partie
Troisième partie
Quatrième partie


POUR EN SAVOIR PLUS

« Afghanistan : 2 ans après »
Radio-Canada.ca présente un document multmédia sur ce pays dévasté par des années de conflits armés. Vous y trouverez des cartes animées, des photomontages et des reportages réalisés par des journalistes de la CBC et de Radio-Canada.

Fondation Aga Khan / Aga Khan Development Network
La Fondation Aga Khan est l'ONG la plus présente dans le Badakshan. Le réseau Aga Khan Development Network regroupe des agences travaillant dans les domaines de la santé, l'éducation, la culture et le développement rural et économique surtout en Asie et en Afrique.

« Les accords de Bonn »
Dossier de Radio-Canada.ca sur l'après talibans.

« Return to Afghanistan »
Site du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés donnant de l'information à propos du retour des réfugiés en Afghanistan (en anglais).

Afghanistan
Informations sur les projets de l'ONG Care Canada en Afghanistan.

« Reconstruire l'Afghanistan »
Informations sur le rôle du Canada en Afghanistan.

Les Nations unies et l'Afghanistan
Informations sur le rôle de l'ONU en Afghanistan.

Force internationale d'assistance et de sécurité (ISAF)
Site de la force internationale de maintien de la paix en Afghanistan (en anglais).

« Maternal Mortality in Afghanistan:
Magnitude, Causes, Risk Factors and Preventability »

Un rapport de l'Unicef et des US Centers for Disease Control and Prevention

« Where opium is half of GDP »
Analyse parue dans The Economist et présentée dans le Portail Afghania - 27 septembre 2003 

Afgan News Network
Actualités sur l'Afghanistan.



L'émission Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada le vendredi à 21 h.

Elle sera présentée en rediffusion dans le cadre de l'émission Place publique, le jeudi à 12 h 30, et sera alors enrichie par des commentaires et des discussions en direct. En outre, on répondra à des questions des téléspectateurs soulevées par l'émission.

L'émission est aussi rediffusée intégralement sur les ondes de RDI le dimanche à 20 h et le lundi à 1 h.

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