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Campement propalestinien à McGill : « Ça dérange qui au juste? »

Les examens sont terminés. Les étudiants étrangers sont partis. Le campement de manifestants propalestiniens ne dérange pas grand monde sur le campus, mais beaucoup à l’extérieur du terrain.

Une personne regarde les tentes sur le campus d'un point de vue surélevé.

Le campement propalestinien de McGill est en place depuis le 27 avril dernier.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Des employés d’entretien de l’Université McGill s’affairent à nettoyer la fontaine de l'amitié, une œuvre de Gertrude Vanderbilt Whitney installée sur le campus depuis le début des années 1930. Les trois hommes nus en marbre qui tiennent la Terre sur leurs épaules ont bien besoin d’un petit coup de propre avant l’été. Un peu plus haut, une équipe de ménage pénètre dans l'édifice James, celui de l’administration, pour laver, savonner et faire maison nette.

Plus près de la rue Sherbrooke, tout à côté du campement propalestinien, un silence quasi parfait règne au premier étage de la bibliothèque McLennan. On voit un étudiant ici et là, la tête penchée, le nez plongé dans un livre ou un ordinateur portable.

Il n’y a presque plus personne sur le campus, me murmure Abel Breton-Choinière, 22 ans, étudiant en sciences politiques.

Les cours sont terminés, les examens sont finis. Les étudiants étrangers sont rentrés chez eux. On est le 1er mai. Il y a plus de personnel d’entretien ménager sur le campus que d’étudiants ou de professeurs avant que la session de cours d’été commence.

Une citation de Abel Breton-Choinière, étudiant en sciences politiques

À sa sortie de la bibliothèque, Abel contemple l’ensemble coloré que forment les dizaines de tentes des manifestants, qui semblent égarées dans l’immensité du site de la prestigieuse université anglophone de Montréal. Pour l’instant, le campement aussi est silencieux.

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Abel n’est pas allé au campement, mais il trouve important que ceux qui sont engagés dans la cause puissent s’exprimer sur le terrain d’une université. C’est un peu comique quand on entend des gens se plaindre que cela perturbe les étudiants. Non. Non. On n’est pas très stressés, dit-il avec un sourire calme. Je me demande ça dérange qui au juste?

Des ouvriers entretiennent la fontaine et la sculpture qui la constitue.

La fontaine de l'amitié subit son ménage du printemps sur le campus de l'Université McGill.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Je me pose sur un banc en face de la fontaine de l’amitié pour parler à Maryse Bertrand. Au téléphone, la voix est tendue, fatiguée peut-être. Elle est passablement plus dérangée par la situation. C’est certainement une crise difficile. On fait face pratiquement à une invasion du campus. L’ampleur des conséquences potentielles est très grande, me dit la présidente du conseil des gouverneurs de McGill. Le président de l’Université et moi, on est en contact constant depuis la création du camp, samedi dernier.

Maryse Bertrand a reçu son diplôme de la Faculté de droit de McGill en 1980. Depuis, elle a fait une carrière remarquable. Elle est membre du conseil d'administration de la Banque Nationale du Canada, administratrice de Metro Inc. et cofondatrice de la Chaire Maryse et William Brock en recherche appliquée en transplantation de cellules souches à l'Université de Montréal. Auparavant, elle a été présidente du conseil d'administration de la chaîne spécialisée de Radio-Canada, ARTV, nous apprend sa biographie publiée sur le site web de l’Université.

Depuis samedi, des gens nous envoient des courriers électroniques exprimant leur opinion de tous les côtés de cette question-là. J’ai reçu des courriels d’étudiants, de professeurs, de membres de la communauté juive de McGill, dit-elle.

J’ai exprimé mon opinion aussi. Nous avons eu, lundi dernier, une réunion du conseil exécutif. Je me suis positionnée en faveur du fait qu’il faut maintenir le contrôle sur notre campus. Cela veut dire que, si les négociations n’aboutissent pas, on va devoir passer à la prochaine étape.

Une citation de Maryse Bertrand, présidente du conseil des gouverneurs de McGill
Une personne dont le visage est caché par un porte-voix fait un geste de la main.

La Cour supérieure a rejeté une demande d'injonction qui visait le démantèlement du campement propalestinien de McGill.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Peu de temps après avoir raccroché au téléphone avec la présidente du conseil des gouverneurs, j'ai entendu la nouvelle. Autour de midi, les manifestants ont appris avec joie le rejet de la demande d'injonction déposée mardi et plaidée le même jour par l’avocat Neil G. Oberman, qui demandait à la cour, au nom de deux étudiants, de démanteler le camp.

Or, la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure, a rejeté cette demande. L’intervention des tribunaux est parfois susceptible d’être un remède pire que le mal auquel on cherche à remédier, écrit-elle en guise d’introduction à son jugement. La juge dit, essentiellement, qu’il n’y pas urgence d’agir.

L’autre injonction

Au téléphone, Me Oberman se montre bon joueur et me dit que tout le monde est gagnant quand on a accès à la justice. Admis au Barreau en 1985, l’avocat a développé une pratique en droit de la construction et en litiges commerciaux. Il me raconte que, pour payer ses études, il était ambulancier. Fait atypique pour un juif anglophone de Montréal, il a fait son parcours universitaire en français. À l’Université Laval d’abord, puis à l’Université de Montréal.

Depuis ce printemps, Me Oberman a ajouté une corde à son champ d'action juridique.

L’histoire va comme suit. L’hiver dernier, le groupe Startup Nation, qui fait la promotion d'Israël sur le campus de l’Université Concordia, invitait des militaires israéliens à donner une conférence sur la lutte contre la délégitimation d’Israël sur les campus universitaires. Dans une vidéo qui circulait sur les réseaux sociaux, on pouvait voir un des conférenciers prétendre que les enfants palestiniens sont des terroristes. Des étudiants palestiniens ont alors réclamé qu’on annule la conférence.

Le groupe a donc décidé de tenir son événement, le 4 mars, dans les locaux de la Fédération CJA, qui se définit elle-même comme l'organisme central juif pour la philanthropie et la défense des droits de la communauté juive de Montréal.

Des manifestants propalestiniens se sont rendus dans le quartier Côte-des-Neiges pour faire du bruit au cours de la conférence des militaires israéliens. Dans la soirée, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), qui agit comme une agence de représentation des fédérations juives au Canada, publiait ceci sur le réseau X : Une foule agressive et physiquement intimidante encercle le bâtiment central de la communauté juive à Côte-des-Neiges. Les manifestants tentent de bloquer l'accès à l'édifice et harcèlent les personnes qui tentent d'y entrer.

Il fallait faire quelque chose, me raconte la vice-présidente de la section québécoise du CIJA, Eta Yudin, dont les bureaux sont dans le même édifice que ceux de la fédération, visiblement encore ébranlée par l'incident. Les organismes juifs ont décidé de saisir les tribunaux de leurs inquiétudes et ont engagé Me Oberman et son associé, Spiegel Sohmer. L’avocat a demandé à la Cour supérieure une injonction exigeant que les manifestants restent à bonne distance de 27 bâtiments communautaires ou religieux. Une vingtaine de groupes propalestiniens sont visés par cette injonction toujours en vigueur.

Voix juives indépendantes est un des groupes visés par l’injonction accordée par la cour.

Niall Clapham-Ricardo devant une flaque de boue tandis qu'on voit des banderoles propalestiniennes sur une clôture à l'arrière.

Niall Clapham-Ricardo est membre de Voix juives indépendantes.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Nous retrouvons l’un de ses membres sur le campus de l’Université McGill. Niall Clapham-Ricardo, 31 ans, allie les deux grandes branches identitaires juives. Sépharade par son père, ashkénaze par sa mère. C’est dire qu’il porte en lui les histoires d’horreur et de persécutions vécues pendant l’inquisition espagnole au 12e siècle, les pogroms en Europe de l’Est ou l’Holocauste perpétré par les nazis.

L’étudiant à l’École du Barreau s’est engagé dans ce groupe juif qui existe depuis 2008 et milite pour la paix dans les territoires palestiniens. Il dénonce le fait qu’il est mal vu de critiquer les actions d’Israël tout en étant fier de son identité juive.

L’amalgame entre identité juive et sionisme est très nocif et ce qui est dommage avec l'injonction du mois de mars, c’est qu’elle dit en gros : on ne veut pas que les institutions juives soient le théâtre de débats politiques, mais nous, on est allés manifester pour dénoncer le fait qu’ils utilisent nos institutions communautaires pour faire de la politique et appuyer l’effort génocidaire à Gaza, dit Niall.

Jamais, au Québec, on n’accepterait de se faire taxer d’antiquébécois parce qu’on critique François Legault. Bien c’est pareil, tu comprends?

Une citation de Niall Clapham-Ricardo, membre de Voix juives indépendantes
Une personne tient une pancarte en anglais.

Sur cette pancarte que tient une personne près du campement, on peut lire : « Hé McGill! Vous pouvez cacher la statue de votre fondateur violent, raciste et colonialiste. Vous ne pouvez pas cacher votre soutien continu au génocide. »

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Dans les campements propalestiniens de McGill comme dans d’autres manifestations propalestiniennes, beaucoup de juifs sont présents, fait remarquer Niall. Ce que je m’explique mal, c’est qu'on veuille faire taire des voix au nom de la sécurité de la communauté juive quand c’est des juifs qui contestent des décisions d’autres juifs.

À la fin de notre conversation, Me Oberman a refusé de me parler de ses opinions sur le conflit israélo-palestinien, mais il m’a dit qu’on le reverrait bientôt dans l’espace public. Il songe à se présenter en politique fédérale. Pour quel parti? Disons que je ne suis pas un libéral, affirme l’avocat.

Eta Yudin, vice-présidente du CIJA, m’a confirmé au téléphone que son organisme avait fait part de ses inquiétudes aux hautes instances de McGill. Quand j’entends qu'on scande, dans le campement pro-Gaza, "Intifada pour toujours", je me dis que les étudiants ont droit à un campus dénué de haine. Il y a un niveau d’antisémitisme hallucinant sur nos campus depuis le 7 octobre. Je comprends qu’il faille préserver la liberté d’expression, on ne peut rester indifférent à ce qui se passe au Moyen-Orient, mais de là à donner sur un plateau la place à l’expression de l’antisémitisme, il y a une marge. Il y a beaucoup de peur dans nos communautés, dit-elle.

En fin de journée mercredi, le vice-chancelier de McGill a publié un long communiqué où il écrit que personne n’a le droit d’installer un campement sur la propriété de l’université.

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