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Un projet gazier au cœur d’un conflit entre deux nations autochtones en C.-B.

Une maquette de ce à quoi va ressembler le transport du gaz sur l'eau.

Le projet comprendra un pipeline pour acheminer le gaz depuis le Bassin sédimentaire de l’Ouest canadien vers une usine de liquéfaction flottante à l’extrémité nord-est de l’île Pearse pour exporter le gaz naturel vers l’Asie.

Photo : Gracieuseté : Ksi Lisims LNG

Dans l’ouest de la Colombie-Britannique, une nation autochtone se démène pour lancer un projet de gaz naturel liquéfié. Problème : leurs voisins, d’une autre nation, s’y opposent.

Nous ne sommes qu’en avril, mais la sécheresse se fait déjà sentir dans le nord de la Colombie-Britannique. Et malgré les températures fraîches et la fonte des neiges qui se poursuit, le niveau de la rivière Skeena est particulièrement bas.

Les zones où elle dévoile son lit ne sont pas rares aux alentours de Gitanyow, une communauté gitxan de la Colombie-Britannique. Cette rivière est connue pour être la deuxième en importance de la province pour la production de saumons rouges.

Cet environnement déjà fragile est en danger si le projet de gaz naturel liquéfié de la Nation Nisga’a se concrétise, croit la communauté de Gitanyow.

Ce projet baptisé Ksi Lisims LNG prévoit entre autres la construction d’un terminal maritime et d’un gazoduc. Il rassemble trois promoteurs : la Nation Nisga’a, Western LNG, une société énergétique américaine, et Rockies LNG, un groupe de producteurs canadiens de gaz naturel.

Le terminal serait situé près de Ginglox, à 180 km de Gitanyow, sur la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique.

La carte montre une zone à l'est de l'Alaska.

Cette carte représente le territoire touché par le projet.

Photo : Gracieuseté : Ksi Lisims LNG

Le projet n’est pas nouveau et date d’il y a plus de 10 ans, alors selon la directrice du développement durable pour les chefs héréditaires de Gitanyow, Tara Marsden, les données – notamment en ce qui concerne les impacts sur l’environnement – ont largement évolué depuis.

Le projet Ksi Lisims LNG

  • Le projet comprendra un gazoduc pour acheminer le gaz depuis le Bassin sédimentaire de l’Ouest canadien vers une usine de liquéfaction flottante à l’extrémité nord-est de l’île Pearse pour exporter le gaz naturel vers l’Asie.
  • La production est évaluée à 12 millions de tonnes par an de gaz naturel liquéfié.
  • Son coût s’élève à 10 milliards de dollars.
  • Le 8 janvier, Ksi Lisims LNG a signé son premier accord de vente et d’achat avec Shell Eastern Trading Pte Ltd pour une durée de 20 ans.
  • Le projet pourrait traverser plus de 50 kilomètres du Lax'yip, le territoire traditionnel de Gitanyow.

Gitanyow n’est pas la seule communauté à s’y opposer. Lax Kw’alaams, située sur la côte du Pacifique, est aussi contre le projet.

Le coût des risques pour quels bénéfices?

Avant même de penser aux conséquences, les communautés se demandent si le projet est vraiment pertinent.

Maquette de l'installation maritime.

Le coût du projet est estimé à 10 milliards de dollars.

Photo : Gracieuseté : Ksi Lisims LNG

Ce dernier est censé remplacer la combustion du charbon en Asie. Mais [ils n’ont pas] encore prouvé qu'il y aura une réduction nette des émissions de gaz à effet de serre, élabore Mme Marsden, qui évoque aussi de nombreux arbres coupés pour faire place au pipeline et au processus de fracturation.

Nous avons demandé une entrevue à la présidente de la Nation Nisga'a, mais nous n'avons jamais eu de réponse. Ksi Lisims LNG n'a pas non plus voulu nous accorder une entrevue et a préféré répondre à nos questions par courriel.

Rebecca Scott, directrice des communications de Ksi Lisims LNG, écrit donc que le gaz proviendra du Bassin sédimentaire de l’Ouest canadien (qui couvre 1,4 million de km2 et contient l’une des plus grandes réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel) et que, donc, il n'y aura pas de fracturation hydraulique sur le site de Ksi Lisims LNG ou le long du gazoduc.

Tara Marsden.

Tara Marsden croit qu'il est important d'informer correctement la population concernant ce genre de projet. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Cet argument n'a rien pour rassurer Tara Marsden. Au contraire, il s'inscrit parfaitement avec une position qu'elle a soulignée tout au long de l’entrevue avec Espaces autochtones : un tel projet n’a pas que des effets sur son environnement immédiat, et il faut par conséquent considérer ses impacts sur toute la planète.

Nous ne pouvons pas agir en vase clos, sans consulter les autres et sans penser aux conséquences pour toute la population.

Une citation de Tara Marsden, directrice du développement durable pour les chefs héréditaires Gitanyow

Bien au fait du sujet, elle évoque l’énergie qui devra être déployée pour transformer le gaz dans une forme liquide, puis le refroidir. Il faut donc créer plus d'électricité, alors que nous sommes en pleine sécheresse, poursuit-elle.

Une femme regarde des papiers.

La présidente élue de la Nation Nisga'a, Eva Clayton, a qualifié le traité qui permet aujourd'hui à sa nation d'aller de l'avant avec ce projet « d'historique ». (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Emilio Avales

Mme Scott assure que la solution choisie pour remédier à ce problème ne sera pas la construction de nouveaux barrages, mais l'augmentation de la capacité électrique d’un réseau existant.

Impact à long terme

Pour défendre son point, Gitanyow a demandé un rapport complet qui a été réalisé par Swift Creek Consulting, une entreprise basée à Squamish.

Dans sa conclusion, il indique qu'il n'y a pas de base solide pour s'attendre à ce que le projet ait un effet bénéfique sur le climat à l’échelle mondiale.

Il soutient que les preuves de la performance climatique du projet sont faibles.

Le rapport dit aussi que les scientifiques affirment que le cycle de vie complet du GNL ne permet pas d'affirmer que le passage du charbon au gaz présente des avantages significatifs avant de rappeler que le principal composant du gaz naturel est le méthane, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone.

Sans compter que la Colombie-Britannique s'engage à réduire les émissions de GES de 40 % d'ici à 2030. Si Ksi Lisims LNG reçoit le feu vert, tout ce que la province accomplit pour réduire la pollution par le carbone sera réduit à néant – en termes climatiques mondiaux – par ce seul projet, indique le rapport de Gitanyow.

Le chef de la communauté Gitanyow en tenue traditionnelle au sommet d'une montagne.

Gitanyow souhaite préserver son territoire. (Photo d'archives)

Photo : VoVo Productions

Des arguments que réfute Rebecca Scott. Par courriel, elle écrit que ce projet sera l'installation de GNL produisant le moins d'émissions de gaz à effet de serre au monde et que l’équipe s'est engagée à ne produire aucune émission. Le site du projet évoque la replantation d’arbre et d’enfouissement de carbone.

Interrogée sur cette dernière suggestion – dont l’efficacité et la faisabilité sont régulièrement remises en question par des experts –, Mme Scott répond : Je crois qu’on n'y fait référence qu’à titre d’exemple d’option de réduction.

De manière générale, Mme Scott assure que la demande environnementale fait l'objet d'un examen rigoureux de la part des agences gouvernementales et des nations autochtones participantes.

Dans un document de présentation, les promoteurs ne nient pas les impacts du projet : perte directe d'habitat pour la faune, effets résiduels négatifs associés aux poissons et à leur habitat, perte d’espèces… Pour chacun des effets, ils suggèrent une liste de mesures d’atténuation.

Informer les gens

Nouvelles sources de revenus, redevances, possibilités de formation, d’études et d’emplois sont mises de l'avant pour appuyer le gazoduc. Dans un rapport qui détaille le projet, il est même indiqué que c’est la pierre angulaire du plan de prospérité économique de la nation.

Tara Marsden croit qu’il y a un vrai travail de sensibilisation et d’information à faire auprès des Nisga’a.

Un pipeline de transport d'hydrocarbures.

Plusieurs projets de gaz naturel liquéfié voient le jour au Canada. (Photo d'archives)

Photo : Reuters

Elle estime notamment que de fausses informations circulent sur les avantages du gaz liquéfié. Il existe une campagne de marketing très forte, affirmant que le gaz naturel liquéfié est vert, qu'il est bon pour le climat, lance-t-elle, sceptique.

Savez-vous à quoi vous vous engagez vraiment? Ça peut sembler beaucoup d'argent. C'est peut-être une bonne affaire, mais si c'était le cas, pourquoi la société essaie-t-elle de vous vendre le gazoduc?, cite-t-elle comme exemple de questions à poser aux Nisga’a.

La Nation Nisga’a a en effet acquis le projet auprès de l’entreprise albertaine TC Energy. Lors de cette annonce, la présidente du gouvernement nisga’a, Eva Clayton, avait dit : C’est un jour historique pour la Nation Nisga'a. Nous marquons le début d'une nouvelle ère pour la participation des autochtones à l'économie canadienne.

Avec plusieurs données, Tara Marsden pense pouvoir convaincre ses voisins.

J'essaie de partager l'information d'une manière qui ne consiste pas à blâmer les gens. Car l'industrie est très puissante. Elle est très persuasive. Et elle dispose de ressources illimitées. Nous devons aborder cette question avec compassion et respect, mais aussi avec des preuves, dit-elle.

Des membres de la nation Nisga’a chantent et dansent.

La nation Nisga’a a été la première en Colombie-Britannique à conclure un traité moderne avec la province. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / Quinn Bender

Difficile aussi de se poser si ouvertement dans ce dossier qui met en avant les dissensions qui peuvent exister entre les Autochtones.

Pourquoi on devrait tous être d’accord, entre Autochtones?, dit Mme Marsden avant d’ajouter : Les gens ont peur de s'engager dans un conflit entre deux nations. Ils ne veulent pas paraître irrespectueux envers les Nisga'a.

Un conflit territorial en toile de fond

Derrière ce désaccord se cache un désaccord bien plus profond qui, lui, est judiciarisé. Il oppose Gitanyow et les Nisga’a concernant un traité que ces derniers ont signé avec les gouvernements pour obtenir leur autonomie gouvernementale.

Ce traité, signé en 1998, ouvre la voie à des initiatives économiques, y compris le développement des ressources naturelles de la Nation Nisg̱a'a. Mais Gitanyow revendique 6200 kilomètres carrés de terres connues sous le nom de Gitanyow Lax'yip, situées dans les bassins versants des fleuves Nass et Skeena, qui englobent eux-mêmes les rivières Kitwanga et Kispiox.

L’affaire est présentement devant les tribunaux et la plainte sera entendue à partir d’octobre 2024.

De précédents projets maintiennent une forme de méfiance à l’égard des promoteurs. Tara Marsden évoque par exemple le cas du gazoduc Coastal GasLink.

Toutes les promesses faites en matière d'environnement n'ont pas été tenues. Ils ont également dépassé leur budget de deux fois et demie à trois fois. Lorsque des projets dépassent ainsi leur budget, elle [l’entreprise] commence à réduire les coûts sur des éléments qui sont généralement liés à l'environnement ou à toutes les mesures d'atténuation, indique-t-elle.

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