•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

Le salon de Plaquie : libérer les cheveux naturels et la parole

Le salon de Plaquie : libérer les cheveux naturels et la parole

Texte : Eugénie Emond | Photos : Olivia Laperrière-Roy

Publié le 25 mai 2021

Autour du salon de coiffure de l'artiste Plaquie Zion, dans Saint-Roch, gravite une communauté de femmes noires qui se réunissent pour échanger. Leur objectif commun : s’entraider – et survivre – à Québec.


[NDLR : Ce récit a obtenu la médaille d'or des Prix d'excellence en publication numérique 2022 dans la catégorie Reportage arts et culture.]

 T’es à l’heure pour une Afro! , la taquine Plaquie.

Arrivée en haut de l’étroit escalier qui mène au local de coiffure, Vanina Rome, cheveux en auréole, lâche un soupir de soulagement. Aujourd’hui, elle se gâte. Rien d’autre à l’horaire que ce rendez-vous où Plaquie Zion prendra soin de ses cheveux et de son âme. Il est presque 10 h et, à voir la coiffure tressée que Vanina a choisie, elle en a pour la journée.

Plaquie réchauffe ses huiles au micro-ondes, puis en enduit la tête de sa cliente avec un pinceau. Vanina peut enfin se détendre.

Vanina Rome, 36 ans, en est à son troisième rendez-vous avec Plaquie. C’est une bénédiction d’avoir enfin trouvé des mains agiles pour soigner et coiffer sa chevelure après une série de déboires capillaires. Arrivée de la Martinique il y a 13 ans, elle a atterri directement à La Pocatière pour poursuivre des études en agroalimentaire. Ne trouvant personne pour s’occuper de sa tignasse crépue, elle a fini par la couper très court.

« Ça faisait partie de ma quête pour me retrouver moi-même, parce qu’il n’y a qu’ici, au Québec, que j’ai vraiment vécu un conflit identitaire. »

— Une citation de   Vanina Rome

Chaque semaine, elle doit répondre à la sempiternelle question Tu viens d’où?, posée par des inconnus et provoquée par la couleur de sa peau. Une question qu’elle juge bien intentionnée, mais totalement déplacée. Est-ce que les Blancs viennent du Québec?, philosophe Vanina. Il n’y a pas de couleur qui définit qui on est, on doit casser ça, soutient-elle.

Vanina est sur la chaise de coiffure tandis que Plaquie la coiffe.
Vanina Rome en est à son troisième rendez-vous avec Plaquie. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

L’an dernier, lors d’un événement organisé à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, Vanina a rencontré Plaquie. Elle s’est trouvé une coiffeuse, mais surtout, une communauté. Créé par Plaquie il y a deux ans, le groupe Sisterhood Qc est un espace sécuritaire, un « safe space  », où une cinquantaine de femmes afros et afro-descendantes de Québec – elles préfèrent ces termes à noires – se retrouvent, échangent, s’entraident.

Environ une fois par mois, elles se réunissent chez l’une d’entre elles pour échanger sur des sujets qui les touchent. J’ai grandi à Québec et je ne pensais pas que la communauté était forte comme ça!, s’extasie Plaquie. Il y a des femmes de tous les âges et de tous les horizons. C'est l'appartenance qu'on n’a jamais eue, qu'on ne nous a pas accordée. Depuis quelques années, c'est assez flagrant qu'on ne s'en sortira pas toutes seules, résume-t-elle.

Vanina est couchée, les yeux fermés, lors de son shampooing au-dessus de l'évier.
Le traitement aux huiles chaudes terminé, Plaquie nettoie les cheveux de sa cliente. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Pour appuyer les dires de Plaquie, Vanina raconte le désenchantement qui s’est opéré depuis qu’elle est ici. « Quand je suis arrivée, au début de la vingtaine, j’étais toute fière, avec mon grand sourire et mes deux petites valises. Après, j'ai dit : "Je pars en guerre." » Des gens qui, de leur voiture, lui lançaient le mot en n, puis lui criaient Retourne chez toi!, elle en a rencontré. Depuis, elle a choisi de riposter et de s'allier avec des femmes qui, comme elle, disent ne pas se sentir incluses dans la ville de Québec, essuyer régulièrement des commentaires parfois ignorants, parfois carrément racistes. Comme Plaquie et plusieurs membres du groupe, Vanina s’est tournée vers l'entrepreneuriat, à défaut, selon elle, d’avoir les mêmes chances que les autres d’accéder à un emploi stimulant. Elle a choisi une autre voie, à la hauteur de ses ambitions.

Illustration au trait du visage de Plaquie, les yeux fermés, sur fond texturé de couleur mauve. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Toc toc toc Québec
... il fait froid dehors, m’ou-vri-rais-tu ta porte?

Chère terre d’accueil, j’ai longtemps rêvé de notre rencontre
Derrière mes paupières baissées, je nous ai construit un nouveau monde
C’est vrai, j’ai tout perdu, mais je ne viens rien te prendre
J’ai beaucoup à t’apporter, et encore plus à apprendre
N’aie pas peur de moi, Québec

- Extrait d’un texte poétique écrit par Plaquie Zion

Plaquie habite et travaille dans le quartier Saint-Roch. Elle aurait bien aimé avoir pignon sur rue, mais elle affirme qu’on n’a jamais voulu lui louer un local pour son salon de coiffure. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Les visages de l’exclusion
Les visages de l’exclusion

Le soleil se faufile entre les immeubles de la rue Saint-François, en plein cœur du quartier Saint-Roch. La neige qui fond laisse dans son sillage des tas de déchets et du gravier. La grisaille contraste avec l’exubérance des cinq membres de Sisterhood Qc réunies ce matin pour la photo. À part dans les réunions Zoom qui se tiennent une fois par mois en raison de la pandémie, voilà près d’un an qu’elles ne se sont pas vues. Elles rient et parlent fort, jasent des événements passés et à venir, se complimentent, prennent des nouvelles des projets, des enfants.

Ce n’est pas un endroit pour se réunir!, les engueule un passant bougon.

À l’intersection des rues du Pont et du Roi, Plaquie pointe l’immeuble où se trouve son salon. Une bâtisse terne qui loge une coop d’artistes dont elle fait partie. Elle aurait bien aimé avoir pignon sur rue, mais elle affirme qu’on n’a jamais voulu lui louer un local. « Au téléphone, tout va bien, ma voix est québécoise, mais en personne, j’ai eu droit à des réponses du genre : "Ce n'est pas une place pour faire le party" », raconte Plaquie. Tu penses vraiment que je vais payer 1000 piasses par mois pour faire la fête?, s’exclame-t-elle, ahurie.

S’il est hasardeux d’affirmer que la discrimination et le racisme sont plus présents à Québec qu’ailleurs dans la province, on peut dire que les témoignages abondent dans la capitale. Nous n’avons pas de données pour soutenir le fait que c'est pire à Québec, mais chose certaine, on peut affirmer que ça existe beaucoup. Les gens sont tellement nombreux à témoigner de ces difficultés-là à obtenir un logement ou un emploi, avance Stéphanie Arsenault, professeure titulaire à l'École de travail social et de criminologie de l’Université Laval et responsable de l'Équipe en partenariat sur la diversité culturelle et l'immigration dans la région de Québec, l'EDIQ.

Comparativement à l’agglomération de Montréal, qui compte plus du tiers de personnes immigrantes dans sa population, Québec n’en dénombrait que 5,6 % au recensement de 2016. Un chiffre qui gonfle lorsqu’on y ajoute les enfants des immigrants nés à Québec, les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers. Mais cette diversité est très récente. L’arrivée des immigrants s’est accentuée depuis le début des années 90 avec l’accueil de nombreux réfugiés. Les populations noires proviennent surtout de pays comme le Burundi, le Rwanda, la République démocratique du Congo ou le Cameroun.

« C'est une belle hypothèse d’affirmer qu’il y a une proportion de gens qui n'a pas encore été suffisamment exposée à la diversité [pour expliquer la discrimination]. »

— Une citation de   Stéphanie Arsenault

Une des rares études sur le sujet indique que des personnes noires vivent plusieurs formes de discrimination dans la capitale. Catherine Beaulieu est aujourd’hui agente de planification, de programmation et de recherche pour le Service équité en santé de la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale. Son mémoire de maîtrise en santé communautaire à l’Université Laval a été évalué par la professeure Stéphanie Arsenault. Elle a détaillé, dans un mémoire paru en 2019, l’exclusion sociale vécue par des réfugiés de l’Afrique subsaharienne à Québec. Dix participantes et participants âgés de 20 à 50 ans, réfugiés et pris en charge par l’État, ont participé à sa recherche. Ils ont témoigné notamment de l’exclusion sociale vécue dans différents milieux à Québec, comme le marché du travail, les lieux publics et l’accès aux services de santé, pour ne nommer que ceux-là.

Les deux mains de la mère de Plaquie sont posées sur ses cuisses.
Les témoignages sur le racisme et la discrimination abondent dans la capitale. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

La plupart ont témoigné avoir vécu au travail du dénigrement, des moqueries, de la dévalorisation, des critiques négatives, des insultes et des traitements différents en raison de leur statut d’immigrant et du fait qu’ils ont la peau noire.

Les témoignages ne sont guère plus reluisants au sujet de leur présence dans des lieux publics où cette discrimination se traduit notamment par des insultes . Ainsi, « dans la rue, les réfugiés peuvent se faire dire, s’il y a des déchets par terre : "Ramasse tes saletés", ou encore : "Tasse-toi de mon chemin" ». Des propos qui, selon les participantes et participants « n’étaient pas en lien avec leur statut de réfugiés, mais avec le fait qu’ils ont la peau noire ou un accent différent ».

Catherine Beaulieu hésite à affirmer qu’elle aurait recueilli le même genre de témoignages à Montréal ou à Toronto, mais elle note que le dialogue et l’écoute sont à prioriser dans les grandes villes comme dans les plus petites. « Il est primordial que nous continuions d'avoir des espaces pour que les personnes puissent s'exprimer sur les injustices et les situations d'exclusion sociale possiblement vécues. Ces espaces doivent aussi favoriser un dialogue qui ne renforcera pas davantage les clivages sociaux », avance-t-elle.

Plaquie est fière de la sororité et de la bienveillance qui émane de Sisterhood Qc. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Une sororité à Québec
Une sororité à Québec

Les propos rapportés dans ce mémoire font toutefois écho aux dires de certaines des membres de Sisterhood Qc, qui n’ont nul besoin d’experts pour leur expliquer ce qu’elles endurent au quotidien. La création du groupe a agi comme un baume sur une série de microagressions et de commentaires inappropriés – T’es belle pour une Noire! en tête du palmarès. Pour eux, c’est le plus beau compliment qu’ils puissent te faire! Mais tu pars du principe que les Noirs sont laids et que, selon tes critères, moi, je suis belle..., décortique Emmanuelle Belrose, membre du groupe depuis un an.

À Québec, c’est pire, parce que les gens ne comprennent pas à quel point ces remarques peuvent nous affecter. On peut difficilement respirer parfois, c’est dur , souligne Michelle Osbourne, également membre du groupe.

Cette anglophone originaire de Toronto établie à Québec depuis six ans et membre de la communauté LGBTQ est catégorique : Je ne pense pas que j’aurais pu anticiper la quantité de préjugés auxquels j’ai dû faire face depuis que j’habite ici. Elle constate que la barrière linguistique en a rajouté une couche à celle générée par la couleur de sa peau.  Personne ne voulait me parler ou essayer de me parler à mon arrivée , se souvient-elle.

Pour pallier le manque de diversité et d’inclusion qu’elle constate toutefois à Québec, elle a mis sur pied Femmes noires, une proposition artistique où des photographies mettent en lumière les femmes racisées de la région, à laquelle des membres du groupe Sisterhood Qc ont participé.

Michelle Osbourne sourie pour la caméra. Elle est vêtue de noir et porte un chapeau noir.
Michelle Osbourne a 46 ans. Originaire de Toronto, elle est arrivée à Québec il y a six ans. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Meika Palmer a rencontré Plaquie à la compagnie d’assurance où elles travaillaient toutes les deux avant que cette dernière ne parte pour ouvrir son salon. Comme dans la plupart des endroits où elle a travaillé, l’absence d’empathie de ses collègues qui, n’étant pas touchés directement par le racisme, pensent que c’est inexistant, et les commentaires déplacés qu’il lui arrive d’entendre sur l’heure du midi au sujet des Autochtones et des immigrants lui scient les jambes chaque fois. Je ne dis pas que tout le monde est ignorant, mais c’est le sentiment global qu’on ressent , nuance-t-elle.

Également originaire de Toronto, Meika Palmer se souvient des cauchemars qu’elle faisait à son arrivée à Québec, déstabilisée par cette ville plus petite, avec moins de diversité culturelle. Toujours le même rêve : elle, seule dans une rue déserte, et personne pour lui venir en aide. Québec est une ville sécuritaire, mais si t’es une fille et une minorité visible, tu as un sentiment d’insécurité : est-ce qu’on va voler à mon secours?, illustre-t-elle.

Meika pose pour la caméra, devant un mur en pierre. Elle porte un bandeau bleu sur les cheveux et du rouge à lèvres mauve.
Meika Palmer réside à Sainte-Foy, un quartier multiculturel, « où l’on ne passe pas pour des nouveaux arrivants », mais elle ressent toujours un manque d'inclusion dans les milieux de travail qu’elle a connus. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Il ne faut pas oublier qu’il y a des groupes d’extrême droite qui sont à Québec et qu’on a eu deux grosses attaques, ajoute Cam Esther Garon, en référence à la tuerie de la mosquée qui a fait six morts en janvier 2017, puis à l'attaque au sabre de l'Halloween dernier, où deux personnes ont été tuées. C’est important de le prendre en considération, même si Québec est plus sécuritaire que d’autres endroits.

À 25 ans, elle a fait de l’inclusion son cheval de bataille. Elle aimerait que la Ville de Québec tienne une consultation publique sur le racisme systémique et le profilage ethnique. On pense que le racisme et l’inclusion, ce sont des choix individuels, mais ce sont des choix de société, précise-t-elle.

Cam Esther pose, l'épaule sur une sculpture en métal rouillée. Elle porte des tresses et des boucles d'oreilles roses.
Cam Esther, 25 ans, a rencontré Plaquie alors qu’elle cherchait à offrir aux enfants issus comme elle de l’adoption des outils pour mieux se coiffer. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Emmanuelle Belrose est arrivée au Québec à l’âge de 19 ans pour étudier en arts à Chicoutimi.

Elle déplore le manque de diversité et d’inclusion dans le milieu du théâtre, encore presque exclusivement blanc, dans lequel elle évolue. La controverse autour du spectacle SLĀV, de Robert Lepage, et le mouvement Black Lives Matter n’ont pas eu d’effet dans la capitale, selon elle. Les auditions pour des rôles où la couleur de la peau n’est pas spécifiée lui sont toujours aussi inaccessibles. La femme blanche a toujours autant la cote.

Emmanuelle sourit pour la caméra. Elle porte des dreads.
À 34 ans, Emmanuelle Belrose Martiniquaise d’origine porte fièrement ses dreadlocks, que Plaquie entretient. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Anastasia n’est pas membre du groupe Sisterhood Qc. Entre ses deux emplois, dont l’entretien ménager à l’Université Laval, elle manque de temps. Sa fille, Plaquie, s’est toutefois inspirée de la communauté burundaise à laquelle elle appartient pour créer le groupe Sisterhood Qc. La communauté burundaise est forte et agit comme un filet social pour ses membres disséminés à travers le pays.

Depuis 27 ans qu’elle est ici, Anastasia dit avoir expérimenté la discrimination au travail – pas toujours, mais la majorité du temps. En raison de son accent et de la couleur de sa peau, elle estime qu’on la prend constamment pour une nouvelle arrivante, à qui l’on donne plus de tâches. On abuse parce qu’on croit qu’elle ne connaît pas les règles, résume Plaquie.

Anastasia, femme âgée dans la cinquantaine, regarde à côté de la caméra, en souriant. Elle a les cheveux attachés.
Anastasia Nteqobagira, 56 ans, est la mère de Plaquie. Elle est arrivée à Québec à l'âge de 29 ans avec son mari et ses 5 enfants. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Même si la diversité est plus présente à Montréal, ces femmes construisent leur vie à Québec malgré tout, par choix ou en raison des circonstances de la vie, comme une séparation et la garde partagée d’un enfant. Certaines préfèrent vivre dans une plus petite ville. C'est peut-être Québec qui nous a choisies, suggère Vanina, qui s’est retrouvée mère monoparentale au début de la trentaine.

Et tant qu’à vivre ici, certaines ont décidé de voir le bon côté des choses. Le terrain est vierge à Québec, comparativement à Montréal, et c’est un avantage. Oui, c’est conservateur, oui il y a du racisme, mais il y a aussi des communautés noires qui se mobilisent. Au lieu de me plaindre, j’ai décidé de créer des actions concrètes, explique Cam Esther Garon.

Le salon de Plaquie, Ebène Qc, s’inscrit dans le mouvement nappy, contraction de « natural » et « happy », qui a fait son apparition aux États-Unis au début des années 2000 Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Se réapproprier sa chevelure
Se réapproprier sa chevelure

Le peigne accroché au séchoir passe aisément à travers les cheveux aériens de Vanina. Après un traitement aux huiles chaudes qui a duré plus d’une heure, les cheveux de Vanina sont fins prêts à être coiffés. Plaquie affirme être la seule à offrir de tels soins dans la région, et elle peine à fournir. Un salon qui va traiter ton cheveu naturel sans vouloir le cacher en dessous d’une tresse ou d'une perruque, je n'en connais pas, dit-elle.

Le salon de Plaquie, Ebène Qc, s’inscrit dans le mouvement nappy, contraction de « natural » et « happy », qui a fait son apparition aux États-Unis au début des années 2000. Les femmes afros s’y réapproprient leurs cheveux crépus et leur identité, qu’elles cachent depuis l’enfance à grandes beurrées de défrisants toxiques. « Je ne suis pas juste une coiffeuse, affirme-t-elle. J'ai une responsabilité sociale et communautaire envers les femmes qui viennent me voir. Avant de jouer dans leurs cheveux, je joue dans leur tête. Je les force à se regarder dans le miroir, à aimer leurs cheveux et à en prendre soin. »

Vanina montre une de ses précédentes coiffures sur son téléphone cellulaire.
Vanina adore changer de coiffure. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Son rêve serait d'ouvrir une école de coiffure spécialisée dans les cheveux afros à Québec, mais elle a l’impression de perdre son temps dans un domaine où son expérience et son savoir ne sont pas reconnus. Aucune formation du genre n’est donnée ni à Québec ni à Montréal dans le DEP en coiffure qu’elle doit suivre pour pouvoir enseigner.

Vanina pose pour la caméra, le visage dans les mains. Sa coiffure est terminée : elle a des tresse du côté gauche du visage, puis des cheveux frisés à droite.
« Lorsque tu as une belle coiffure, pas besoin de maquillage - ou presque », dit Vanina. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Sur un présentoir en bois, Plaquie sépare les cheveux synthétiques qu’elle viendra ajouter plus tard aux tresses de Vanina. Par expérience, Plaquie donne quatre ans à sa cliente pour assumer pour de bon ses cheveux et se tourner vers les dreadlocks, plus faciles d’entretien. Quatre ans, c’est le temps que ça prend pour se rendre compte à quel point les produits coûtent cher pour entretenir les cheveux naturels, explique Plaquie. Car les cheveux crépus exigent des soins constants qui, que ce soit la confection de coiffures protectrices comme des tresses ou l’hydratation quotidienne, se révèlent onéreux.

Plaquie, elle, affiche fièrement ses dreadlocks, le symbole même d’un retour à ses racines, elle qui dit en avoir bavé depuis son arrivée à Québec, en 1992.

Plaquie se regarde dans le miroir du salon, en se caressant les cheveux.
D’origine burundaise, Placida Birimba alias Plaquie Zion est née dans un camp de réfugiés au Rwanda avant de s’établir à Québec avec sa famille à l’âge de 4 ans. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

D’origine burundaise, Placida Birimba alias Plaquie Zion est née dans un camp de réfugiés au Rwanda avant de s’établir à Québec avec sa famille à l’âge de 4 ans. Alors que le quartier Saint-Roch s’est diversifié aujourd’hui, elle se rappelle qu’au primaire, les seuls Noirs de l’école, c’était son frère et ses trois sœurs. Mes parents qui avaient fui la guerre avaient bien d’autres choses à gérer que mes pleurs de petite fille qui se faisait traiter de "chocolat", se souvient-elle.

Avec un père pasteur dont il fallait écouter les sermons, bien mise, tous les samedis à l’église adventiste de Beauport, le besoin de coiffer devient impératif. Plaquie a le parfait terrain de jeu à la maison.

Plaquie a 32 ans, et ses doigts aux ongles orange fluo sont crochus d’avoir trop tressé. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Le salon, un espace libre
Le salon, un espace libre

Plaquie a 32 ans, et ses doigts aux ongles orange fluo sont crochus d’avoir trop tressé. Malgré tout, elle ne changerait pas ce métier pour un autre. Mes clientes, ce sont elles qui m’ont tout appris dans la vie! Par le partage d’expériences, j'arrive à vivre des choses sans vraiment les avoir vécues, affirme-t-elle.

D’ailleurs, ici, tous les sujets sont permis, de la décolonisation des esprits à l’état de ses ovaires, en passant par les relations toxiques et le profilage ethnique. Ce matin, l’éducation de leurs garçons est au cœur de la discussion. Comment trouver les bons mots pour parler de profilage ethnique à son fils de 4 ou 8 ans?

« On ne devrait pas avoir à se poser ce genre de question là, déplore Plaquie. Ça fait partie de l’éducation black. Le garçon doit apprendre à respecter l’autorité, c’est une question de vie ou de mort.

— Parce que s’il se fait arrêter et qu’il n’a rien à faire avec la situation... soupire Vanina. On n’est pas censées préparer un jeune à de fortes discriminations.

— Et il ne faut surtout pas que la colère soit son premier réflexe, renchérit Plaquie, parce qu’il n’a pas le droit d’être en colère, surtout pas à l’école! »

« La société reconnaît la diversité, mais qu’est-ce qu’on fait de l’inclusion? », questionne Plaquie. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Du racisme à l’inclusion
Du racisme à l’inclusion

Exaspérées et fatiguées par le manque d’inclusion qu’elles constatent à Québec, Plaquie et Vanina songent parfois à quitter la province, malgré la communauté bienfaitrice à laquelle elles appartiennent.

Quand il y a enfin des espaces où les personnes peuvent se parler entre elles, sans avoir de filtre ou sans devoir toujours expliquer à l’autre qui ne vit pas une expérience similaire, c'est sûr que c'est associé à des effets positifs, mais c'est une stratégie de survie, ce n'est pas suffisant, explique Régine Debrosse, professeure adjointe à l'École de service social de l'Université McGill.

Michelle est vue de dos. Le focus est fait sur son chapeau noir. En arrière-plan, on distingue la 3e avenue, à Québec.
Exaspérées et fatiguées par le manque d’inclusion qu’elles constatent à Québec, Plaquie et Vanina songent parfois à quitter la province. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

La société reconnaît la diversité, mais qu’est-ce qu’on fait de l’inclusion?, demande Plaquie. Le choix de nous inclure, ça appartient au système et au gouvernement. Quand c’est le système au complet qui fait en sorte qu’à citoyenneté égale, tu n’as pas les mêmes droits – au logement et à l’emploi pour ne nommer que ceux-là –, c’est là que certaines personnes en viennent à [partir]. C’est plate, parce que c’est de belles ressources humaines que le Québec arrive à perdre, ajoute-t-elle.

Tu ne peux pas rester dans un endroit où tout est hostile et stérile, renchérit Vanina. On se bat avec des mots. Si le gouvernement ne comprend pas et rejette le racisme systémique, on ne va nulle part.

Plaquie acquiesce. Elle écoute Vanina, sa sœur, concentrée sur son ouvrage. Le peigne hérissé bien droit dans ses locks, comme une guerrière. Elle en est à séparer finement les brins de cheveux dans une savante géométrie capillaire dont elle a le secret.

Illustration au trait du visage de Plaquie, les yeux ouverts, regardant au loin, sur fond texturé de couleur mauve. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

N’ayant rien à me mettre, ni sous la dent ni sur le dos
J’ai appris à me débrouiller, oui bien des fois j’ai dû retourner ma veste.
Je-viens-de-par-le-monde, ancrer ma vie à ton port
Sans certitude, sans voile ni amarre
À tes yeux, je viens capter la beauté du monde
Et m’en imprégner avant que ta neige fonde.

Toc toc toc Québec
... il fait froid dehors
m’ou-vri-rais-tu ta porte?

- Extrait d’un texte poétique écrit par Plaquie Zion

Déjà, les membres du groupe constatent les répercussions de leur communauté. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Unies dans la diversité
Unies dans la diversité

L’été dernier, Plaquie a été invitée à livrer un discours lors d’une manifestation contre le racisme à Québec. Elle a eu peur de ne pas trouver les bons mots, elle qui a pourtant étudié en création littéraire. Le rejet, tout le monde le vit. Des agressions, tout le monde en vit. Comment amener ça pour qu'un Blanc comprenne que ton isolement est aussi le sien?, s’est-elle demandé.

Son discours a soulevé la foule. En tant que fille de pasteur, elle a réalisé qu’elle avait hérité d’un don et constaté la fascination que peut exercer une oratrice. Elle se promet de remettre ça.

En attendant, elle continue, au sein du groupe Sisterhood Qc, de faire briller ses sœurs. « Sisterhood, c’est mon processus de guérison. C’est comme si la femme que je suis devenue prenait la main de la petite fille de 7  ans que j’étais et lui disait : "Ça va bien aller, regarde où tu es maintenant!" »

Plaquie espère désormais que son parcours en éclairera d’autres.

Déjà, les membres du groupe constatent les répercussions de leur communauté. Plusieurs femmes embrassent aujourd’hui leurs racines. Elles n’ont plus peur de se montrer à Québec comme avant , souligne fièrement Michelle.

Meika souhaite quant à elle qu’il y ait encore plus d’occasions à Québec de célébrer les autres cultures pour pouvoir mieux se comprendre et vivre ensemble. Reconnaître surtout une fois pour toutes le racisme systémique pour pouvoir aller de l’avant. Il faut le souligner pour ne pas rester coincées dans une idée de persécution , résume-t-elle.

Cam Esther souhaite qu’il y ait un jour à Québec des personnes racisées en position de pouvoir. Un jour, elle y songe, elle se présentera comme conseillère municipale.

Plaquie est souriante, au soleil, devant un mur de pierre.
« Je sais que dans cinq ans, Québec aura changé », affirme Plaquie. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Plaquie s’en réjouit. Et elle se réjouit de la bienveillance et de la sororité qui émanent du groupe, surtout. « Je sais que dans cinq ans, Québec aura changé. Pas juste à cause de moi, mais à cause de toutes les femmes qui en auront fait rayonner d’autres. C'est ce qui se passe avec Kamala Harris depuis qu'elle a [été élue vice-présidente des] États-Unis. Ça permet à d'autres filles de rêver », illustre-t-elle.

Et c’est là toute la force de sa communauté.

Collage de deux illustrations au trait du visage de Plaquie sur fond texturé de couleur mauve. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Découvrez le texte poétique écrit par Plaquie Zion
Découvrez le texte poétique écrit par Plaquie Zion

Partager la page

À propos d'EmpreintesÀ propos d'Empreintes

Empreintes est une plateforme de récits numériques où se côtoient la beauté du territoire et la diversité des gens qui l’habitent. Découvrez les portraits de ceux et celles qui définissent la poésie d’un endroit, qui le portent et le font vivre. Les empreintes que l’on voit et celles laissées dans le cœur des gens.