•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

La puissance d’un témoignage pour éveiller les consciences

La puissance d’un témoignage pour éveiller les consciences

Texte | Cindy Rousseau - Photos | Yoann Dénécé

Publié le 10 février 2021

Marié à une femme durant 18 ans au prix d’une homosexualité reléguée au placard, puis rejeté par les membres de sa famille, Richard-Alain Senneville possède un bagage lourd d’épreuves. Animé d’une volonté sans relâche, il contribue depuis deux décennies à faire évoluer les mentalités en fait de diversité, à commencer par celles des adultes de demain.

Je réclame l’Oscar du plus grand acteur au monde , lance souvent à la blague Richard-Alain Senneville aux quelque 3000 élèves qu’il rencontre chaque année.

Quand Brad Pitt joue un personnage, c’est Brad Pitt qui va se coucher le soir, et non le personnage, renchérit-il. Moi, j’ai endossé un habit d’homme hétéro de 8 à 40 ans et je m’endormais avec cet habit. L’image étonne autant qu’elle fait sourire le jeune auditoire.

Or, même si la prestigieuse statuette hollywoodienne lui était remise des mains de Brad Pitt lui-même, Richard-Alain Senneville n’en voudrait pas. Car rien ne vaut pour lui la liberté d’être pleinement soi-même, en dépit de tout habit que la société voudrait bien nous voir porter.

Intervenant social bénévole en milieu scolaire au sein du Groupe régional d’intervention sociale (GRIS) Mauricie/Centre-du-Québec, dont il est de surcroît le cofondateur, il effectue depuis 17 ans la tournée des écoles secondaires de son coin de territoire et livre son histoire à cœur ouvert devant des classes d’adolescents et d’adolescentes dont les réactions le surprennent autant qu’elles l’émeuvent. Comme le veut la mission de l’organisme, qu’il approuve avec fierté, ce Drummondvillois éminemment engagé utilise ainsi la force de son témoignage pour tenter de déconstruire un à un les préjugés sur la diversité sexuelle et de genre.

Je souhaite aider les jeunes à mieux vivre et à ne pas passer leur vie à sauver les apparences. Des coming out à 30 ou 40, je n’en veux plus! , soutient-il avec détermination, entrevoyant l’avenir avec espoir.

Richard-Alain Senneville devant l’église de Saint-Félix-de-Kingsey, le village de son enfance.  Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

<strong>Tu te maries, tu te </strong>« <strong>gai-ris</strong> »
Tu te maries, tu te « gai-ris »

Originaire de la petite municipalité de Saint-Félix-de-Kingsey, Richard-Alain Senneville, troisième d’une famille de huit enfants, est âgé de 8 ans lorsqu’il prend conscience de son homosexualité. Nous sommes alors en 1963. Souvenons-nous qu’à l’époque, la religion catholique nous condamnait à l’enfer et la médecine nous envoyait à l’asile. Je ne voulais pas me retrouver là , évoque l’ancien servant de messe contraint à l’omertà.

Dans cette communauté de fidèles croyants entourée d’espaces ruraux à perte de vue et où le sentiment de liberté côtoie de près celui de l’isolement, Richard-Alain Senneville n’a d’autre choix que de se tourner vers le petit écran pour dénicher des modèles de la diversité sexuelle. Il y trouve alors l’extravagant chroniqueur artistique Michel Girouard et le personnage de Christian Lalancette, un coiffeur gai aux habits colorés interprété par le comédien André Montmorency dans l’émission Chez Denise.

Le manque d’images réalistes de l’homosexualité dans les années 60 et 70 était flagrant, soutient-il. Je me disais : "Si eux, ils sont gais, moi je suis quoi?" Je ne me reconnaissais pas dans ce côté efféminé. Mais il a fallu des Michel Girouard et des Christian Lalancette pour faire bouger les choses.

À l’âge de 19 ans, Richard-Alain Senneville quitte le patelin familial pour s’installer à Drummondville et y entamer des études en soins infirmiers. Déjà, un désir d’aider son prochain l’habite, et ne cessera de croître au cours d’une carrière d’infirmier étalée sur 33 ans.

En 1977, sous les regards approbateurs d’un prêtre officiant et des membres de sa famille, il prend pour épouse Ginette Chabot. Il espère alors secrètement que ce « Oui, je le veux » entraînera la rémission définitive de son « péché » .

Un homme est assis dans une église.
Richard-Alain Senneville a grandi dans une communauté très croyante. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Je me suis marié pour faire plaisir à mes parents, à la société et au p’tit Jésus, raconte-t-il avec lucidité. À l’époque, c’était : "T’es un bon chrétien, tu vas à la messe, tu te maries pis tu te ‘gai-ris’!" Ça fait que j’ai refoulé. J’ai mis ça dans le fond de mes souliers et j’ai marché là-dessus pendant des années.

À la souffrance de devoir reléguer aux oubliettes son identité sexuelle s’ajoutera, quelques années plus tard, la perte tragique de deux enfants; d’abord, une fille appelée Eugénie qui décédera à l’âge de 8 ans en raison d’une malformation cardiaque, puis un garçon du nom de Guillaume, mort à la naissance.

Le poids douloureux de ces deuils, s’ajoutant au mal-être de plus en plus insoutenable causé par ce rôle qu’il tient et qui n’est pas le sien, pousse Richard-Alain Senneville à franchir, au tournant de la quarantaine, l’étape ultime du coming out après plus de trois décennies d’identité dissimulée.

Cet événement marque un tournant irrévocable dans la vie du Drummondvillois et, par conséquent, la fin inévitable d’une union maritale officialisée 18 ans plus tôt. Déjà, au bout de cinq ans de mariage, je commençais à vivre en secret des relations extraconjugales avec des hommes.

« Je n’en pouvais tout simplement plus de mentir et d’être quelqu’un d’autre que moi. C’était ça, ou je me suicidais. Ma survie en dépendait. Mais j’aime trop la vie pour me l’enlever. »

— Une citation de   Richard-Alain Senneville

Son ex-conjointe, Ginette Chabot, et lui continueront toutefois d’entretenir une profonde amitié, et ce, jusqu’au décès de celle-ci, en 2020.

Je ne regrette pas ce que j’ai vécu, admet-il sereinement. J’ai été marié et j’ai eu la chance de connaître la paternité. Je n’étais juste pas à la bonne place.

Un homme se tient devant une église.
Richard-Alain Senneville a été rejeté par sa famille après avoir dévoilé son homosexualité. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Choisir sa famille

Au sein du clan Senneville, son homosexualité est accueillie froidement, pour ne pas dire avec aversion. Bien que le désormais mouton noir de la lignée tente à maintes reprises de préserver le contact avec les siens, ses parents ainsi que ses sept frères et sœurs prennent l’unanime et brutale décision de rompre tout lien avec lui.

J’ai visité mes parents, seuls, durant trois ou quatre ans, pour finalement me faire dire : "Si tu continues de venir ici, tes frères et sœurs ne voudront plus nous voir. On aime mieux se priver d’une personne que de sept" , se souvient-il le cœur lourd. En 2008 et en 2016, il apprend le décès de sa mère, puis celui de son père dans les pages du journal local, son nom ne figurant dans aucun des deux avis de décès. Je n’ai pas seulement été mis de côté, j’ai été carrément rejeté.

Et comme si la cruauté de cet abandon familial n’était pas suffisante, il perd en 2009 son conjoint, Réjean Madore, avec qui il a vécu neuf ans, des suites d’une noyade accidentelle.Réjean a été pour moi une révélation, s’éblouit-il encore. Avec lui, je pouvais être enfin pleinement moi-même. Nous projetions de nous marier.

Deux hommes posent en souriant.
Réjean Madore, le conjoint de Richard-Alain Senneville, est décédé d’une noyade accidentelle en 2009.  Photo : Gracieuseté de Richard-Alain Senneville

À travers ce drame qui l’atterre au plus haut point, les liens déjà solides que Richard-Alain Senneville entretenait avec sa belle-famille n’en deviennent que plus forts. Ils m’ont dit : "Viens ici, p’tit frère, on ne te laissera pas tomber", raconte-t-il, ému. J’étais là, seul au monde, à brailler ma vie. Mais j’avais ce baume au cœur. Ils sont devenus ma famille choisie.

Quand j’ai rencontré Richard-Alain pour la première fois, j’avais une impression de déjà-vu , s’étonne encore Adrienne Madore, sœur aînée de feu Réjean Madore. C’était comme si je l’avais toujours connu. On l’a accepté tout de suite.

Une famille élargie.
La famille de son conjoint est devenue la famille choisie de Richard-Alain Senneville.  Photo : Gracieuseté de Richard-Alain Senneville

Ce clan adoptif, qu’il a aussi adopté, composé de deux frères et cinq sœurs, Richard-Alain Senneville en est aujourd’hui le huitième membre à part entière et ne l’échangerait pour rien au monde.

Une dame assise dans sa cuisine.
Andrienne Madore, belle-soeur de Richard-Alain Senneville. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

C’est un homme de famille. Il est toujours là pour les autres. Pour nous, il a remplacé notre grand frère Réjean, qui est parti trop vite , atteste avec bienveillance sa sœur de cœur.

Richard-Alain Senneville. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

<strong>Sortir du placard, puis tendre la main aux autres</strong>
Sortir du placard, puis tendre la main aux autres

Rompre le silence, assumer pleinement son homosexualité et tisser des liens avec d’autres personnes de la diversité sexuelle; tel est l’objectif de Richard-Alain Senneville lorsqu’il joint, en 1998, l’Association des gais et lesbiennes de Drummondville (AGLD), nouvellement fondée. Situé alors dans de modestes locaux du Cégep de Drummondville, l’organisme dont la mission est de briser l’isolement chez l’adulte, tient des groupes de discussion deux mardis par mois où chaque participant et participante y raconte son histoire.

J’étais soulagé de voir que je n’étais pas seul , se souvient celui qui ne ratait pas un rendez-vous. J’ai vécu caché tellement longtemps. De constater que certains avaient fait leur coming out à 20 ans, je me disais : "Bande de chanceux!"

D’une rencontre inspirante à l’autre, Richard-Alain Senneville s’investit davantage au sein de l’organisme et en devient même le président au bout d’une année. Au départ, j’y allais pour sortir de mon isolement, mais par ma profession d’infirmier, je suis vite tombé de l’autre côté de la médaille; celui d’aider les autres à mieux s’accepter , témoigne-t-il.

« J’ai vu des gens s’approcher de nos locaux, mais ne pas sortir de leur auto. J’en ai vu d’autres se présenter devant les marches, puis ne pas les monter et faire demi-tour. Heureusement, plusieurs revenaient et finissaient par entrer  »

— Une citation de   Richard-Alain Senneville
Le logo du GRIS Mauricie/Centre-du-Québec imprimé sur la vitre à l'entrée de leurs locaux.
Les bureaux de l’organisme GRIS Mauricie/Centre-du-Québec sont situés à Trois-Rivières. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

La naissance d’un quatrième GRIS

En 2008, Richard-Alain Senneville délaisse la présidence de l’Association des gais et lesbiennes de Drummondville pour entreprendre avec Alexandre Houle, un complice autrefois impliqué au sein de l’organisme Jeunes adultes gais de Saint-Hyacinthe, l’implantation d’un Groupe régional d’intervention social (GRIS) au Centre-du-Québec. Cet organisme, dont trois divisions existent alors à Montréal, à Québec et dans la région de Chaudière-Appalaches, ambitionne de défaire les préjugés qui entourent la diversité sexuelle et de genre à l’école secondaire par l’entremise de rencontres dans les classes réalisées par des tandems d’intervenants issus de la communauté LGBTQ.

Après avoir aidé des adultes homosexuels à briser leur isolement, je me disais pourquoi ne pas plutôt aider les jeunes à s’accepter dès l’adolescence en leur démontrant une image positive de l’homosexualité et de la bisexualité par des témoignages d’intervenants qui disent : "Moi, j’aime ma vie, j’aime mon chum ou ma blonde, j’aime mon travail, mes loisirs. Je suis un être complet", illustre-t-il avec assurance.

Richard-Alain est quelqu’un de très tenace qui ne lâche pas le morceau , observe Marie Houzeau, directrice générale du GRIS-Montréal depuis 17 ans, qui a collaboré à la mise sur pied de l’organisme centricois. En plaçant le projet entre ses mains, [on savait qu’il] allait se rendre au bout, ça, c’est sûr.

Marie Houzeau voyait juste. Quatre mois plus tard, la quatrième division québécoise du GRIS voit le jour au Centre-du-Québec, et Richard-Alain Senneville en devient à la fois le président et le directeur général. De l’administration à la comptabilité, en passant par le recrutement des intervenants et intervenantes et le contact avec les écoles, il porte l’organisme à bout de bras, avant de s’entourer d’alliés qui viennent l’épauler dans l’aventure.

Une dame dans les locaux du GRIS.
Marie Houzeau est la directrice générale du GRIS-Montréal. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Lorsqu’on est bien ancré dans sa communauté et qu’on a un réseau de gens qui nous connaissent, c’est plus facile d’ouvrir des portes. Richard-Alain avait cet avantage , souligne Marie Houzeau, admirative du travail accompli par son collègue.

Au bout de trois ans de travail sans relâche, l’équipe est en mesure d’élargir son spectre d’intervention et prend sous son aile la région de la Mauricie. Dès lors, de 15 à 20 écoles auront annuellement recours aux services du GRIS, le contact avec celles-ci n’étant toutefois pas toujours gagné d’avance.

Dans les premières années, certaines directions d’établissements nous disaient : "Vous venez recruter. Vous allez mettre des idées dans la tête des jeunes", évoque celui qui parvenait à convaincre plus rapidement les professeurs. Encore aujourd’hui, il arrive d’entendre : "Nous, on n’a personne de la communauté gaie, ici." L’intimidation est pourtant bien présente, et ça devrait être tolérance zéro, insiste-t-il, hélas, en connaissance de cause.

Une femme et un homme tenant un trophée.
Richard-Alain Senneville reçoit, en 2012, le prix Hommage bénévolat-Québec des mains de Julie Boulet, ancienne ministre des Transports, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Photo : Gracieuseté de Richard-Alain Senneville

En 2010, Richard-Alain Senneville cède la direction générale de l’organisation, mais il en demeurera le président jusqu’en 2016 et réalisera, en parallèle, plus d’une centaine de rencontres scolaires par année. Au cours de cette période, on lui décernera le prix Hommage bénévolat-Québec, soit l’une des plus hautes distinctions gouvernementales en matière d’action bénévole.

Devant la classe, Richard-Alain Senneville raconte son témoignage à cœur ouvert. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

<strong>Combattre les préjugés, une classe à la fois</strong>
Combattre les préjugés, une classe à la fois

Lorsque Richard-Alain raconte son histoire aux jeunes, on pourrait entendre une mouche voler , décrit avec fascination Marie Houzeau, maintes fois témoin d’interventions scolaires réalisées par son collègue de longue date. Les jeunes sont sensibles à son ouverture et à sa franchise. 

Éveilleur de consciences et vecteur d’émotions, le témoignage est depuis 27 ans l’instrument clé de démystification des préjugés sur la diversité sexuelle et de genre pour les intervenants en milieu scolaire du GRIS.

Livré jusqu’ici devant près de 2000 classes, celui de Richard-Alain Senneville, éloquente leçon de courage et de résilience, a trouvé écho auprès de plus de 50 000 jeunes, laissant bon nombre d’entre eux à court de mots.

Mais pour pouvoir entendre une mouche voler dans l’assistance, les intervenants et intervenantes doivent d’abord apprendre à se raconter devant celle-ci. En 2004, Richard-Alain Senneville effectuait, non sans fébrilité, sa toute première intervention dans une école secondaire de l’Assomption. Un formateur du GRIS-Montréal m’accompagnait, et j’étais très nerveux. À la fin de la présentation, un élève au fond de la classe a levé sa main et lancé : "Vous, les hommes, vous vous la mettez dans le cul?" J’ai carrément figé! C’est le formateur qui a finalement répondu, se souvient-il, à présent amusé.

Un homme est assis devant une classe d'étudiants du secondaire.
Richard-Alain Senneville réalise une intervention dans une classe de l’école secondaire Jeanne-Mance à Drummondville. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Pour les intervenants qui en sont à leurs premières armes, établir un lien de confiance avec la clientèle adolescente n’est pas chose aisée, c’est même un défi en soi.

Ce qui fonctionne, c’est d’être soi-même, constate avec les années Marie Houzeau. On ne peut pas facilement mentir à des adolescents. Ils vont le sentir et n’embarqueront pas là-dedans. Ils ont, au départ, un respect naturel pour les bénévoles qui prennent de leur temps pour aller les voir et s’ouvrir devant eux. Mais ce respect pourrait vite s’effriter s’ils sentent qu’on est en train de les mener vers quelque chose qui sonne faux.

Capter l’attention du jeune auditoire est une chose. Parvenir à toucher celui-ci en est une autre. Authenticité et générosité doivent teinter les 75 minutes d’exposé dont disposent les bénévoles.

Les meilleurs intervenants sont ceux qui sont capables de parler d’eux de façon vraie et imagée, indique Marie Houzeau. Je leur dis souvent qu’ils doivent faire des Linda Lemay d’eux-mêmes. Lorsqu’elle chante des histoires, on n’a pas le choix de se les imaginer, illustre-t-elle d’un ton rieur.

Des élèves assis à leur pupitre écoutent l'homme qui parle devant la classe.
Les élèves de l’école secondaire Jeanne-Mance écoutent attentivement le récit de Richard-Alain Senneville. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Livré sans détour ni tabou, le récit de Richard-Alain Senneville parvient à susciter la réflexion, mais aussi de vives émotions chez les quelque 30 adultes en devenir qui se trouvent chaque fois devant lui.

Les élèves n’en reviennent pas que des gens comme les membres de sa famille puissent réagir encore comme ça de nos jours. Ils ont l’impression d’être dans un autre monde , a pu observer Nicolas Niquet, ancien intervenant qui a souvent fait la tournée des classes en duo avec Richard-Alain Senneville, avant de fonder l’organisme TRANS-Mauricie/Centre-du-Québec.

Richard-Alain fait prendre conscience aux jeunes que des situations de rejet comme celle qu’il a vécue, ça arrive encore aujourd’hui , ajoute Louise Lacroix, conjointe de Nicolas Niquet, jadis intervenante et directrice générale du GRIS Mauricie/Centre-du-Québec de 2010 à 2016. Ça vient les chercher. J’ai vu des jeunes carrément en larmes après avoir entendu son histoire.

Une homme souriant dans un salon.
Richard-Alain Senneville utilise son témoignage pour combattre les préjugés. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Du tricot au hockey, à bas les préjugés

Dans ma vie, j’ai fait des nappes au crochet comme j’ai construit un chalet, raconte Richard-Alain Senneville aux cohortes d’élèves qui croisent sa route.

Cette parcelle de témoignage peut paraître anodine. Elle dissimule pourtant un objectif distinct; celui de déficeler une à une les mailles des fausses perceptions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Kit de broderie et coffre à outils peuvent-ils appartenir à la même personne? Pourquoi pas!, répond-il sans hésitation, tentant d’en faire la démonstration à travers son exposé.

D’une part, je raconte mon vécu aux jeunes, mais je leur parle aussi de mes loisirs et intérêts personnels , explique celui dont la liste des occupations est aussi longue qu’éclectique. Dans mon cas, ça va du tricot à la scie ronde. J’ai même joué à la balle molle et au hockey pendant des années avec les collègues. On tente de briser les stéréotypes.

Un homme s'adresse à une classe d'élèves du secondaire.
Richard-Alain Senneville parle de ses passe-temps et intérêts aux élèves de l’école secondaire Jeanne-Mance. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Ce volet essentiel des interventions du GRIS permet aux élèves d’avoir accès à une image réaliste et positive de l’homosexualité et de la bisexualité, en plus de remettre en perspective certains concepts préétablis qui peuvent altérer la réalité.

Une des difficultés, c’est l’étiquetage, pointe Marie Houzeau. Quand on est catalogué homosexuel, bisexuel ou trans, la société tire une série de conclusions. Si vous êtes un homme gai, on dira par exemple qu’il est impossible que vous puissiez aimer le hockey parce que vous n’êtes pas un vrai gars.

Mettre en lumière l’ensemble des facettes de la personnalité d’un individu pour que les élèves puissent y déceler davantage de points communs que de différences, tel est aussi l’objectif de cet échange sur la vie en général favorisé par les intervenants.

Des joueurs de hockey gais, on en trouve autant dans les Bruins de Boston que dans les Flyers de Philadelphie ou les Canadiens de Montréal, expose Richard-Alain Senneville. Mais ils vont s’afficher avec leur conjoint à la seule condition que ça ne sorte pas du party d’après-match , se désole-t-il, espérant voir dans l’avenir davantage de modèles de la diversité sexuelle auxquels les jeunes pourront s’identifier, particulièrement dans les milieux hétéronormatifs.

Une fois son témoignage livré, Richard-Alain Senneville répond aux questions des élèves.  Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

La classe, un espace sans tabou
La classe, un espace sans tabou

Questions audacieuses, commentaires francs, remarques vives, déclarations spontanées; lorsque la parole est accordée aux élèves, tout peut arriver… et c’est très bien ainsi. Une fois les témoignages des intervenants livrés, une discussion ouverte est entamée, au cours de laquelle une seule règle est à suivre : s’exprimer sans gêne ni peur du jugement.

En près de deux décennies d’échanges avec la jeune génération, Richard-Alain Senneville a vu évoluer les questions et commentaires. Autrefois, la question la plus souvent posée était : "Qui fait l’homme et qui fait la femme dans votre couple?" Je leur répondais : "On fait ce qu’on aime, il n’y a pas de rôles définis." Aujourd’hui, cette question-là n’est presque plus posée. Et lorsqu’on en fait part aux jeunes, ils n’en reviennent pas! Ça les dépasse. Pour eux, ça va de soi, se réjouit-il.

Une enseignante assise dans sa classe.
Thérèse Sasseville est enseignante à la Polyvalente La Samare de Plessisville, qui reçoit les intervenants du GRIS dans ses classes. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Si je compare les élèves du temps où l’on commençait à recevoir le GRIS à ceux d’aujourd’hui, on est loin d’être à la même place , relève Thérèse Sasseville, enseignante à la Polyvalente La Samare de Plessisville, qui accueille Richard-Alain Senneville dans sa classe depuis 17 ans. L’ouverture n’est pas la même. Il n’est pas rare de nos jours que des élèves posent plus de questions aux intervenants sur leurs passe-temps que sur l’homosexualité comme telle. Pour eux, c’est intégré.

Alors que la définition de l’homosexualité et de la bisexualité figure de moins à moins à l’ordre du jour des discussions, le terrain de l’émotion est celui que les jeunes ont dorénavant tendance à sonder.

De nos jours, les élèves vont davantage jouer dans nos sentiments. "Comment t’es-tu senti quand tu l’as annoncé à ta famille?", "Où as-tu trouvé le courage de le dire?", "Comment tes parents ont réagi?", "As-tu vraiment aimé ta femme?"; les questions d’ordre sexuel sont moins là. Ils en connaissent déjà beaucoup avec Internet, voire trop.

L’accent ainsi mis sur le ressenti, il arrive même que des élèves profitent d’une visite du GRIS pour s’affirmer ouvertement devant l’assemblée. À sa grande satisfaction, François Vanier, actuel directeur général du GRIS Mauricie/Centre-du-Québec, en a été plus d’une fois témoin : Les jeunes s’affichent davantage en tant que personne de la diversité sexuelle. Il n’est pas rare de les voir témoigner de leur propre réalité avant même de poser une question aux intervenants.

François Vanier est le directeur général du GRIS Mauricie/Centre-du-Québec. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

« Des coming out live dans une classe, on en voit. Et le plus souvent, les élèves qui y assistent sont contents pour la personne. »

— Une citation de   François Vanier

Alors que l’ouverture à la différence et le respect d’autrui semblent s’ancrer de plus en plus dans le système des valeurs des adolescents et adolescentes, de nombreux préjugés demeurent et se révèlent dans les classes de manière tantôt subtile, tantôt flagrante.

Il y a 20 ans, quand il y avait des remarques homophobes en classe, ça riait autour. C’était toléré d’avoir ce genre de réactions, se rappelle Marie Houzeau. Aujourd’hui, c’est moins permis et moins cool d’exprimer une homophobie ou une transphobie. L’homophobie va plutôt transparaître à travers des questions chargées, comme : "Deux hommes qui ont un enfant, il va quand même lui manquer la présence d’une mère, non?"

Aussi catégoriques, voire tranchants, certains propos d’élèves puissent-ils être, les intervenants du GRIS doivent écouter sans juger et parvenir à déceler, au-delà de la surface, le préjugé qui est à déconstruire.

« Lors d’une intervention avec Richard-Alain, un élève nous a déjà dit : "Moi les gais, je les tuerais tous." L’enseignante nous avait aussitôt demandé si on voulait que l’élève sorte. On lui avait répondu : "Non, au contraire. Il faut qu’il reste." Si un jeune avait besoin qu’on soit présents cette journée-là, c’était lui.  »

— Une citation de   Louise Lacroix

Griffons d’or, griffons noirs

Autre façon de saisir le pouls de l’auditoire, le questionnaire du GRIS rempli par les élèves au commencement, puis à la fin des interventions, interroge ceux-ci sur leur perception de l’homosexualité et de la bisexualité. Baptisés « griffons d’or » et « griffons noirs » par les intervenants, les commentaires lumineux et remarques plus sombres qu’ils contiennent sont méticuleusement lus après chacune des rencontres.

J’aime particulièrement ce moment. Souvent, les jeunes se livrent davantage sur les questionnaires qu’à l’oral. On peut y lire du positif comme : "Merci de m’avoir ouvert sur la diversité, je vais pouvoir élever mes enfants comme il faut", autant que du négatif comme : "Le bon Dieu a fait l’homme et la femme dans le but de procréer, vous êtes des êtres immoraux", cite en exemple Richard-Alain Senneville. Moi, je me dis que ces jeunes-là, ils ont quand même écouté ce qu’on a dit et ils vont peut-être l’assimiler plus tard.

Comme c’est à l’écrit et anonyme, ce n’est pas toujours rose, relève pour sa part Marie Houzeau. C’est parfois même assez noir et lourd de sens. J’ai déjà pu lire : "Si j’apprends que mon frère est gai, je le tue." ou "Vous allez tous mourir en enfer." Et ça, c’est toutes religions confondues.

Les mains d'un élève reposent sur son bureau, entourées de matériel scolaire.
Le questionnaire du GRIS interroge les élèves sur leur perception de l’homosexualité et de la bisexualité. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Obscurs ou optimistes, les écrits sont aussi variés que le nombre d’élèves qui les rédigent. Dans tous les cas, ils permettent aux bénévoles de sonder plus en profondeur l’avis des jeunes et de mesurer l’influence que l’intervention a pu avoir sur leurs perceptions.

Il n’était pas rare d’observer une différence entre avant et après sur les questionnaire, a pu dénoter Nicolas Niquet lorsqu’il était intervenant pour le GRIS Mauricie/Centre-du-Québec. Certains élèves pouvaient se dire au départ complètement réfractaires à l’homosexualité, puis après l’intervention, inscrire qu’ils étaient désormais plus ouverts. Des commentaires comme ceux-là, c’est la paye de tout intervenant.

Les préceptes transmis aux jeunes par les intervenants du GRIS ne parviennent malheureusement pas toujours à franchir le seuil de la porte du foyer familial. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Braver le courant familial
Braver le courant familial

Rencontrer plus de 50 000 élèves en 17 années, c’est aussi croiser au passage plus de 50 000 bagages familiaux distincts. Les valeurs et perceptions que transportent les adolescents dans leur sac à dos y ont, bien souvent, été déposées au préalable par leurs parents. Ainsi, si l’homophobie prévaut à la maison, il en sera probablement de même à l’école.

En ce sens, ce n’est pas un hasard si le GRIS a fait de l’école secondaire son milieu d’intervention de prédilection. Les adolescents sont à l’étape où ils se définissent en tant qu’individus et cessent de vouloir correspondre à ce que papa et maman veulent, fait observer Richard-Alain Senneville. Plus ils avancent dans leur cheminement scolaire, plus ils se créent leur propre identité.

Or, les préceptes transmis aux jeunes par les intervenants du GRIS ne parviennent malheureusement pas toujours à franchir le seuil de la porte du foyer familial. L’enseignante Thérèse Sasseville peut en témoigner : J’ai le souvenir d’un élève homophobe qui, à la suite d’une rencontre du GRIS, m’a dit : "Je comprends mieux maintenant ce que tu veux dire Thérèse, mais je ne pourrai pas dire à mon grand-père, mon père et mes oncles d’arrêter de faire des jokes sur les gais parce que je vais me faire rentrer dedans", évoque-t-elle, désolée. Le manque d’ouverture et la méconnaissance de l’homosexualité viennent souvent des familles, et ce n’est pas facile pour les jeunes d’aller à contresens.

Un drapeau arc-en-ciel flotte au vent.
Il n'est pas toujours facile pour les jeunes de s'affirmer et d'aller à contresens des valeurs de leur famille. Photo : Courtoisie: GRIS Mauricie/Centre-du Québec/Carinne Bergeron

Nager en direction inverse du courant familial n’est pas chose aisée. Affronter le ressac fracassant déclenché par un coming out est une épreuve en soi.

Il y a environ six ans, un élève de Saint-Hyacinthe a annoncé à ses parents qu’il était gai, rapporte Richard-Alain Senneville. Son père l’a ensuite invité à aller faire un "tour de machine" jusqu’à Montréal, puis, rendu au coin de Sainte-Catherine et Berri, dans le quartier gai, il lui a dit : "Tiens, sors. C’est ici que ta gang se tient." Heureusement, le jeune a été pris en charge par des policiers. Même avec tout le chemin parcouru, les parents manquent encore souvent d’ouverture.

Un enfant ne vient pas au monde homophobe, signale Thérèse Sasseville, en pesant ses mots. Ce sont des vestiges de la société traditionnelle que l’on traîne et qui sont encore ancrés dans la mémoire collective.

Néanmoins, l’ouverture d’esprit d’un nombre grandissant de familles vient contrebalancer la situation, illuminant de jour en jour l’horizon de la diversité.

Oui, il y a encore des élèves qui me disent que leurs parents sont très homophobes, mais il y en a aussi qui m’apprennent sans aucune gêne que leur mère est lesbienne et qu’elle a une blonde, souligne Thérèse Sasseville, enchantée. On voit également de plus en plus de parents et de grands-parents qui font leur coming out. Il y a une belle évolution, c’est très encourageant.

L’Oscar du don de soi

Bien que des murs de préjugés en matière de diversité sexuelle restent encore à abattre, Richard-Alain Senneville, à l’égal de ses 450 homologues intervenants des cinq GRIS québécois, se réjouit, d’une intervention scolaire à l’autre, d’en voir s’effriter peu à peu les fondements.

J’ai de l’espoir, affirme-t-il, l’œil pétillant. Les jeunes sont de plus en plus allumés sur une diversité de thèmes. Les premières années, il y avait beaucoup de gêne dans les classes, on osait moins s’exprimer. Aujourd’hui, les mains sont levées avant même que ma présentation soit terminée.

Un homme est assis devant une classe d'élèves, dont certains ont la main levée pour poser une question.
Éternel optimiste, Richard-Alain Senneville est de ceux qui croient que les plus grandes victoires pour les droits de la personne s’acquièrent à force de petits gestes triomphants. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Éternel optimiste au « cœur grand comme l’univers », pour reprendre les mots de sa complice Louise Lacroix, il est de ceux qui croient que les plus grandes victoires pour les droits de la personne s’acquièrent à force de mains tendues, de regards empathiques, de dialogues ouverts et d’écoute sans jugement.

Ces petits gestes triomphants, il choisit de les vouer à la jeunesse, souhaitant voir évoluer une société plus ouverte, aimante et inclusive, forgée par des adultes libres et épanouis.

« De pouvoir démontrer aux jeunes par mon témoignage qu’on est forts, mais aussi vulnérables, ça m’apporte autant que je peux leur apporter. De pouvoir les aider à s’accepter et à vivre leur vie tels qu’ils sont, ça me rend fier. Je me dis, si j’ai pu en aider un seul dans la classe, je suis content. »

— Une citation de   Richard-Alain Senneville

Et parfois, sans prévenir, au détour d’une rue… ce que vous avez offert pendant ces nombreuses années de mains tendues, de regards empathiques, de dialogues ouverts et d’écoute sans jugement vous est soudainement rendu au centuple.

Un jour, un jeune m’arrête et me dit : "Vous êtes venu dans ma classe à Drummondville il y a deux ans. Après votre passage, j’ai parlé de mon homosexualité à mes parents et à mes amis. Merci de m’avoir aidé." C’était trois semaines avant les fêtes. Ç’a été mon plus beau cadeau de Noël.

Comme un Oscar tendu des mains de milliers d’élèves.

Partager la page

À propos d'EmpreintesÀ propos d'Empreintes

Empreintes est une plateforme de récits numériques où se côtoient la beauté du territoire et la diversité des gens qui l’habitent. Découvrez les portraits de ceux et celles qui définissent la poésie d’un endroit, qui le portent et le font vivre. Les empreintes que l’on voit et celles laissées dans le cœur des gens.