Je me suis fait engrosser comme une pauvre.

L’intime, dans ce qu’il a de plus secret, de plus enfoui, de plus douloureux. L’intime aussi comme matière opaque qui constitue les femmes et les définit, ce que la société leur a néanmoins appris à taire, car une femme, ça accepte, ça encaisse, ça obéit. En silence. L’intime, enfin, comme sujet phare – sujet monstre – de toute l’œuvre de la lauréate du prix Nobel de littérature Annie Ernaux, qui l’a toujours également envisagé comme outil de différenciation des classes sociales. Comment mettre tout cela en images?

Audrey Diwan, dans sa deuxième réalisation, a trouvé. Et non seulement elle a trouvé, mais en plus, elle a su comment faire de L’événement un film qui compte. Mieux, un film qui reste.

Nous sommes dans la France de 1963, patriarcale et conservatrice. L’avortement y est encore illégal. C’est dans ce contexte délétère qu’Anne, jeune étudiante brillante issue du milieu prolétaire, tombe enceinte. Garder le bébé signifierait pour elle de renoncer à ses études, à sa vie, à son avenir. S’ouvre alors devant elle un véritable chemin de croix où les seuls arrêts se nomment souffrance, solitude et clandestinité.

Dans sa Palme d’or 4 mois, 3 semaines et 2 jours, le roumain Cristian Mungiu avait abordé le sujet. Et si l’approche de Diwan est plus frontale, plus personnelle – notamment par une mise en scène charnelle et douloureuse qui crée par son rythme une tension constante, souvent choquante –, elle n’en est pas moins politique.

On ressort de L’événement avec une colère intense contre ces sociétés injustes qui refusent toute liberté aux femmes, et dans lesquelles tomber enceinte équivaut à une véritable condamnation, en particulier dans les milieux moins nantis.

Ce grand film social et féministe, tétanisant de puissance et de force, lauréat du Lion d’or à Venise en 2021, doit aussi beaucoup à la performance de son actrice inouïe, Anamaria Vartolomei, qui compose une Anne proprement fascinante. Pleine d’épines, sévère, déterminée, timide, elle est tout cela à la fois, suscitant empathie et attachement, mais surtout, admiration. Portrait de femme admirable autant que portrait saisissant de ce que le monde fait aux femmes, L’événement n’est pas qu’un film-choc, il est une œuvre remarquable. Majeure.

La bande-annonce (source : YouTube)