Dominick Rustam : entre Molière et À cœur battant
Mais où est-ce que je l’ai déjà vu? Dominick Rustam a un parcours bien singulier. Acteur de la relève, il a déjà incarné des personnages dans de nombreuses émissions de télévision (Doute raisonnable, Les MECS, L’effet secondaire, Classé secret), des pièces de théâtre (Lysis au TNM, Tony vend des billets au Théâtre Duceppe) ainsi qu’au cinéma.
Un texte de Doriane Caron
Le québécois d'origine kazakhe, qui a été adopté à l'âge de 8 mois en Union soviétique, est fier de ses origines et il veut les faire connaître au public. Récemment, on l’a vu sur ICI Télé au côté de Roy Dupuis dans À cœur battant, où il incarne Marc, le coordonnateur du Centre de prévention de la violence (CPV).
À cœur battant est une série écrite par Danielle Trottier (Unité 9, Cheval-Serpent, Toute la vie), dans laquelle on retrouve Christophe L'Allier (Roy Dupuis) qui s'investit ardemment pour contrer la violence familiale. Mettant aussi en vedette Jean-Nicolas Verreault, Isabel Richer et Ève Landry, la série démystifie la violence familiale en montrant l’envers de la médaille, dans le but de dénoncer les tabous qui s’y rattachent. Diffusée depuis janvier 2023, À cœur battant nous amène à la rencontre de personnages nuancés et touchants, qui nous transportent dans cet univers près de nous, mais qui reste méconnu.
Dans la série, qu’est-ce que votre personnage de Marc apporte à la dynamique du CPV et comment y avez-vous réfléchi?
Dès que j’ai lu les premiers scénarios, j’ai senti l’humour et le pétillement du personnage écrit par Danielle Trottier.
Marc, pour moi, amène une légèreté essentielle dans l’univers assez sombre d’À cœur battant. En quelque sorte, il représente la sensibilité et l’empathie des intervenants dans le milieu des travailleurs sociaux.
La série porte sur tous les aspects de la violence conjugale : les responsables, les victimes, la famille, le monde juridique… Comment vous interpelle ce vaste sujet?
On constate de plus en plus de féminicides au Québec. La violence conjugale est malheureusement trop d’actualité. Donc c’est certain que c’est un sujet qui m’interpelle énormément. Il est nécessaire d’écrire des séries nuancées sur le sujet et de s’y confronter si on veut faire avancer la cause.
Quels commentaires avez-vous reçus sur la série?
Après la première saison, j’ai eu vent que le public trouvait essentiel de traiter du sujet de la violence conjugale, familiale et relationnelle à la télévision.
La série a fait beaucoup réfléchir, et malgré certaines scènes plus difficiles à regarder, on est témoin de moments d'humanité entre les personnages. On s’attache à leurs histoires et à leurs enjeux.
Avez-vous un moment mémorable sur un plateau à nous raconter?
Lorsque nous avons terminé de tourner le premier bloc de tournage, notre réalisateur, Jean-Philippe Duval (14 jours 12 nuits, Dédé à travers les brumes, Chasse-galerie : la légende), est venu me serrer dans ses bras et m’a dit : Bravo! Tu es Marc!
. La série À cœur battant est ma première grande expérience de tournage de télé, donc ça m’a beaucoup rassuré. Depuis, je me laisse guider davantage par mon instinct.
Je dois une grande part de mon apprentissage à Jean-Philippe. C’est lui qui m’a donné ma chance. J’ai gagné beaucoup d’expérience grâce à ses conseils et je lui en serai toujours reconnaissant.
Et avez-vous une anecdote avec les comédiens et comédiennes?
J'ai la chance d'être entouré de personnes formidables sur le plateau. Même si les enjeux que nous abordons sont sérieux, l'ambiance entre les prises est toujours empreinte de rires. Catherine Paquin-Béchard, qui incarne Roxanne, et Océane Kitura Bohémier-Tootoo, qui joue Michelle, me font souvent éclater de rire. On a développé une belle complicité qui nous sert également dans nos personnages.
Observer Roy Dupuis travailler a été une expérience enrichissante. C'est un acteur réfléchi, attentif et généreux, devenu en quelque sorte un mentor pour moi. Son sens de l'humour et de la camaraderie ajoute une touche spéciale. C’est également un grand cinéphile! On discute beaucoup de cinéma qui est l’une de mes passions. Il m’a recommandé plusieurs films qui l’ont marqué. Pour un jeune acteur, c’est incroyable de recevoir toutes ces connaissances et d’en apprendre sur ses expériences de tournages.
Parmi tous les rôles que vous avez joués, y a-t-il un personnage qui vous a particulièrement marqué ou avec lequel vous avez ressenti une connexion spéciale?
J’avoue avoir particulièrement apprécié le personnage de Terrence Cho dans le film Le Temps de François Delisle qui devrait sortir en 2024. Le film met en scène quatre personnages, dans quatre différentes temporalités, qui vivent les conséquences du réchauffement climatique. Le sujet du film est urgent. Les effets des changements climatiques sur l’environnement sont de plus en plus violents. En lisant le scénario, j’étais abasourdi. C’est tellement réel et concret.
En 2024, vous allez jouer le rôle de Clitandre, un marquis, prétendant de Célimène, dans Le misanthrope au Théâtre du Nouveau Monde. En quoi cette pièce écrite au 17e siècle est-elle toujours d’actualité?
Le misanthrope se base sur une question existentielle intemporelle : peut-on être absolument sincère en société?
Molière nous demande à travers la pièce si nous sommes prêts à lutter pour nos idées au risque de nous retrouver seuls. Il nous amène à réfléchir sur la nécessité du débat et de la divergence d’opinions. Pour moi, ce sont des enjeux très actuels. Cela me rappelle que le passé est toujours en écho avec le futur.
Avec les changements que connaît le milieu de la télé, les plateformes de diffusion en ligne, le public segmenté, l’ouverture sur les sujets plus tabous, la plus grande place de la diversité, comment voyez-vous le futur de la télé québécoise?
Je crois qu’il y a assurément plus d’ouverture d’esprit de nos jours, et qu’il y a une plus grande marge de manœuvre pour les créateurs avec les plateformes de diffusion en ligne.
Je suis fier de faire partie d’une nouvelle génération d’acteurs de couleur qui commence à normaliser la présence des différentes communautés à l’écran.
Il y a tellement d’histoires qui méritent d’être racontées et tant de talents à découvrir devant et derrière la caméra. Il existe un immense champ de possibilités. Il ne faut pas avoir peur de prendre des risques.
Vous avez expérimenté plusieurs aspects de votre métier : courts métrages, longs métrages, séries télé, théâtre… Si vous aviez une idée, un projet, quel en serait le sujet et de quelle façon le feriez-vous?
Je viens de terminer une résidence de création théâtrale avec mon collectif composé d’artistes d’origines asiatiques. Nous créons un spectacle nommé La démagogie des dragons qui parle de quête identitaire, des références asiatiques au Québec et de la dualité des jeunes néo-Québécois. Ensemble, on veut déjouer nos attentes en tant qu’artistes de la diversité et celles du public lorsqu’on aborde ces thèmes. On veut faire ressortir l’aspect ludique de ces sujets et de nos expériences. C’est un projet très important pour moi.
J’ai été adopté à l’âge de 8 mois en Union soviétique, je suis d’origine kazakhe et toute ma vie, j’ai eu soif d’histoires sur des personnages adoptés. Aujourd’hui, je réalise la singularité de mon parcours. Je crois qu’il y a une bonne histoire qui se cache derrière tout ça…
Merci Dominick Rustam.
À cœur battant, mardi 20 h sur ICI Télé