Secrets de scénariste : François Morency
« La différence entre une scène de comédie qui fonctionne canon et une autre qui ne lève pas, ce sont des mini détails; c’est rarement une grosse affaire. »
Cela fait déjà plus de 25 ans que le public québécois connaît François Morency pour son humour, lui qui s’est d’abord illustré sur de nombreuses scènes partout dans la province grâce à son talent pour le stand-up. Puis, au fil des ans, l’humoriste a ajouté des cordes à son arc en devenant animateur à la radio et à la télé en plus de jouer la comédie à quelques reprises. En 2018, à la suite du succès de son livre Discussions avec mes parents, il a mené l’adaptation des textes pour l’émission de télévision du même nom, dont la cinquième saison sera bientôt diffusée à ICI Télé.
Nous avons eu la chance de discuter avec l’humoriste, animateur, comédien et auteur de son travail comme scénariste télé lors d’une entrevue téléphonique.
Voici ce qu’il avait à nous dire.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai commencé à écrire parce que j’étais humoriste, métier qui nécessite d’avoir plusieurs chapeaux : scripteur, acteur, metteur en scène… On est comme une mini-PME. La création d’une série télé n’était pas vraiment sur ma liste de souhaits, honnêtement. C’est un projet qui est arrivé un peu de nulle part. Tout ça a commencé quand j’ai écrit des publications Facebook racontant mes conversations au téléphone avec mes parents qui m’amusaient beaucoup à l’époque; je prenais des notes et je retranscrivais intégralement nos discussions. Ça s’est ensuite transformé en livre et tout juste une semaine après sa publication, on m’a approché pour en faire une série télé, ce qui ne m’était même pas passé par la tête. Après avoir conclu une entente, je me suis mis au travail et j’ai découvert une tout autre façon d’écrire parce que ça n’a rien à voir avec l’écriture d’un numéro d’humour, d’un spectacle, d’une animation de gala ou pour la radio. Il faut vraiment être en mesure de s’adapter au médium : il y a des pièges, des façons d’écrire, et la série télé, c’est une tout autre chose. J’ai appris énormément en le faisant.
Comment as-tu fait pour apprendre à écrire une série télé?
Au départ, j’ai eu de l’aide d’une conseillère en scénarisation du nom d’Emmanuelle Beaugrand-Champagne (Les Parent). Elle travaille actuellement sur Les mecs. Chaque fois que j’ai mis les pieds dans un nouvel univers, à la radio, à la télé, j’ai toujours beaucoup écouté, observé, et je me suis informé le plus possible sur les façons de faire. Il y a beaucoup de détails techniques avec l’écriture télé : la limite de temps (21 minutes, 30 secondes), la séparation en trois blocs, les restrictions budgétaires qui ont une incidence sur le nombre de personnages, les réalités techniques, les lieux de tournage et la distribution, et maintenir un budget sur 13 semaines.
J’ai donc dû faire beaucoup d’apprentissages en même temps, mais ça a été fascinant. J’adore apprendre et je suis arrivé dans ce projet avec humilité, ce qui m’a permis de progresser rapidement.
On est rendu à la cinquième saison, c’est fou comme ça a passé vite! C’est difficile d’écrire un spectacle d’humour parce que tu es seul, mais il y a plus de malléabilité avec le texte : le modifier, l’allonger, l’écouter, improviser. À la télé, tout doit être prévu. Évidemment, je reste toujours ouvert quand on tourne; la meilleure idée l’emporte tout le temps, qu’elle vienne de moi ou de quelqu’un d’autre.
Quel a été le plus grand défi pour réussir l’adaptation du livre pour la télé?
De ne plus parler uniquement au « je ». Tout ce que j’avais écrit avant Discussions avec mes parents, c’était mon opinion, ma vision du monde, ma mentalité, mes trucs à moi; même chose quand j’ai travaillé ailleurs en solo. Dans une série avec plusieurs personnages, chaque thème abordé peut être vu de multiples façons, selon la personnalité des personnages. Ils ont un vocabulaire et une façon de penser qui diffèrent. Il faut être une sorte de marionnettiste quand on écrit parce qu’on n’a pas juste une voix dans notre tête, mais plusieurs, et on tire les ficelles de plusieurs personnages en même temps. Le but est toujours de trouver le meilleur véhicule pour exploiter une idée. Si j’ai une idée de scène, est-ce que c’est mon personnage, le père, la mère, le beau-frère ou un autre que je devrai créer qui pourra la livrer de la meilleure façon?
À quel point les personnages de ta série sont-ils inspirés de ton entourage?
Le personnage du frère est beaucoup basé sur un des miens, tout comme celui de la sœur est construit à partir de la personnalité de ma véritable sœur, avec des traits un peu exagérés. Je pense qu’en créativité, c’est toujours pareil, que ce soit en humour ou dans le drame. Consciemment ou non – moi, c’est fait de façon très consciente, mais ça peut aussi ne pas être intentionnel –, les gens qui ont passé notre chemin nous ont inspirés, nous ont marqués. Ça peut être des personnes qui sont dans notre entourage ou que l’on a simplement croisés, comme une caissière à l’épicerie, un préposé au service à la clientèle, un voisin...
Sans toujours le savoir, on "vampirise" les gens qui nous entourent en prenant une note mentale sur leur façon de parler, leur démarche, leurs opinions. Tout ça entre dans une banque et sert éventuellement.
Des fois, ça peut être juste une phrase que tu as retenue d’une personne que tu as rencontrée il y a 10 ans, mais ça t’est resté en tête et ce sera la base d’un personnage que tu vas créer et qui sera omniprésent dans ta création. Parfois, la vérité est drôle ou bonne en soi, mais la vaste majorité du temps, il faut faire sa job d’auteur pour l’améliorer, la rendre plus drôle, l’exagérer. Partir d’une vérité pour créer de la fiction, je pense que c’est essentiel parce que ce qui amène les gens à s’identifier à une série et à des personnages, c’est justement qu’ils reconnaissent des gens qui existent vraiment dans leur entourage. Plus ça vient d’une expérience réelle et personnelle, plus ce sera porteur, je pense.
D’où te vient l’inspiration?
Ça vient d’un peu partout : on a chacun notre bagage. La créativité est un muscle comme les autres : plus on l’exerce, plus il est performant.
Quand on fait une série télé, tout ce qu’on vit, ce qu’on lit, ce qu’on regarde, ce qu’on ressent, va l’alimenter. On dirait que notre cerveau cherche toujours une façon de tirer quelque chose de cette aventure-là. Tout nous inspire, tout est potentiel d’inspiration : un article de journal, une actualité, une phrase que le voisin a dite en sortant dans la rue.
Avec le recul, quel élément du métier te surprend le plus par rapport à l’idée que tu t’en étais faite à tes débuts?
La quantité de détails impliqués, c’est fou furieux! Entre le moment où on a une idée – on est seul chez soi à écrire pendant une tempête de neige – et celui où on tournera la scène puis qu’elle sera diffusée l’automne suivant, il y a une multitude de détails qui peuvent faire qu’une scène est un échec total. Par exemple, ça peut être un accessoire qu’on a tenu pour acquis, qu’on imaginait d’une certaine couleur sans la préciser dans le scénario. On arrive au tournage, ce n’est pas ce qu’on avait en tête et tout s’écroule. Dans le scénario, quand j’écris, je donne le plus de détails possible sur le personnage, son habillement, sa façon de s’exprimer. Quand il y a un accessoire ou un lieu, je décris ce que j’ai en tête du mieux que je peux pour inspirer les gens qui créent les accessoires, qui cherchent les lieux de tournage. Il n’y a jamais trop de détails pour que ce soit assez clair.
La différence entre une scène de comédie qui fonctionne canon et une autre qui ne lève pas, ce sont des mini détails; c’est rarement une grosse affaire.
On se dit que le texte sera bon, et oui, ça part de là, mais il y a tellement de métiers impliqués pour que ça devienne une réussite. Si le son n’est pas parfait et qu’on entend mal ce que le personnage dit, le gag tombe à l’eau. Le montage joue aussi un rôle primordial pour que l’épisode ait du rythme. Je savais que c’était un travail de groupe, c’est toujours ça aussi. Même dans le contexte d’un spectacle solo, on n’est pas seul tout le temps, mais en télé, c’est la quantité industrielle de gens impliqués qui m’a impressionné. C’est très motivant en même temps, mais c’est aussi beaucoup de pression. Il ne faut pas l’échapper, parce que c’est pas long que ça peut devenir une catastrophe.
Est-ce qu’il y a une situation improbable que tu as dû surmonter comme scénariste?
Cet été, ça a été l’enfer. Les tournages des deux premières saisons durant la pandémie se sont curieusement bien passés. Les règles étaient tellement sévères, autant lors des tournages que pour la vie en général, qu’il n’est rien arrivé. C’était compliqué de tourner avec les mesures COVID, mais au moins, il n’y a pas eu de gros incident. Cet été, on a fait face à de nombreux défis. D’abord, Blaise Tardif, l’acteur qui joue mon frère, a attrapé la COVID une semaine après le début des tournages; il était donc indisponible durant 10 jours. Comme il a un rôle important, on a tenté de déplacer certaines des scènes auxquelles il prenait part le plus loin possible pour ne pas annuler de journées de tournage. Ensuite, j’ai réécrit des scènes dans lesquelles il était pour donner ses répliques à un autre personnage et être en mesure de les tourner quand même. Au moment où la situation s’est résorbée, Vincent Bilodeau, qui joue mon père, a perdu la voix. On croyait que c’était une laryngite, mais c’était finalement le syndrome Guilain-Barré; ses cordes vocales ont paralysé et il n’y avait rien à faire. On a tourné avec lui quand même en se disant qu’il pourrait se doubler en postproduction par la suite.
Quand on est auteur – et moi, je suis vraiment impliqué dans toutes les étapes : j’assiste aux auditions pour la distribution, je suis au montage avec la monteuse –, chaque fois qu’il y a un problème, ça nous revient. L’auteur, le réalisateur et le producteur, c’est le trio qui gère les problèmes et éteint les feux. On a chacun notre champ d’expertise, mais on va se mêler un peu de celui des autres. On accepte toujours les conseils et les avis qui viennent d’ailleurs, comme on ne peut être responsable que d’une seule tâche.
L’interprète se pointe sur le plateau et ne se soucie que de son personnage. Il est maquillé, habillé, on lui dit où se tenir et il dit ses répliques. Ensuite, il peut s’en aller, mais quand tu es l’auteur en plus, ou le réalisateur ou le producteur, tout te concerne : l’humeur, la santé des comédiens, les conditions météorologiques. Telle scène qu’on devait tourner dehors ne peut être faite parce qu’il pleut, alors on se vire sur un 10 sous pour s’ajuster.
Le réalisateur m’a souvent dit que le fait que l’auteur soit un des acteurs et qu’il soit présent l’aide beaucoup parce qu’il n’est pas seul à prendre toutes les décisions quand les choses tournent mal. Je suis toujours là pour faire des suggestions, sachant que telle scène qu’on devait tourner dans quatre jours pourrait l’être tout de suite à l’intérieur, comme il pleut présentement. Évidemment, il faut qu’on ait une entente pour ne pas marcher sur le territoire des autres, mais on est constamment en train de gérer.
La COVID a amené des problèmes, mais on tenait à ce que la pandémie ne soit pas apparente dans l’émission. Il y a des séries qui ont tenu compte de la vérité de la COVID, mais on se disait que les gens allaient regarder la série pour penser à autre chose et avoir la tête libre de ça, alors on a vraiment tenté de tout faire pour dissimuler les restrictions qui nous étaient imposées. C’est arrivé pour une scène qu’au lieu d’embrasser ma blonde, j’embrassais un Plexiglas. (Rires) Il y avait des trucs irréels, mais ça a été très formateur. Comme on avait des moyens budgétaires limités, il fallait souvent faire preuve de beaucoup d’inventivité dans le feu de l’action pour trouver la façon la plus efficace de tourner avec ce handicap-là qu’était la COVID.
As-tu un secret ou une anecdote d’écriture, de plateau ou de tournage à dévoiler?
Il arrive assez souvent qu’on ait à réécrire des scènes, à enlever un personnage parce que l’interprète qui le joue est malade, par exemple. Et ce n’est pas pour dans deux semaines, c’est pour demain. Je rentre à la maison après une journée de tournage de 14 heures, je n’ai pas le temps de dormir ou d’apprendre mes textes pour le lendemain; je dois réécrire une scène pour que l’acteur ait le temps de mémoriser son texte. (Rires) C’est sûr que le tournage, qui s’échelonne sur une période de deux mois, est extrêmement intense. La distribution est un élément où il y a un peu de chance parce qu’on voit la personne pendant une demi-heure dans un local, mais on ne sait pas si la chimie va opérer. Il faut aussi être capable de jongler avec les horaires des interprètes. Je dirais que la souplesse est une qualité extrêmement importante à avoir. Quand un problème arrive, ce n’est pas le temps d’être fâché, mais plutôt de trouver des solutions pour le régler. On s’occupera plus tard de trouver un coupable, mais pour l’instant, ça prend des solutions.
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Quel regard as-tu sur la télé, maintenant que tu as écrit une série?
Ayant créé une série, maintenant, quand je regarde les productions américaines ou britanniques, je constate à quel point les moyens qu’ils ont sont spectaculaires. On aimerait avoir le luxe de pouvoir mettre autant de personnages ou d’ajouter des lieux de tournage. Je vois toutes les séries d’un œil différent maintenant, en écriture et en jeu, mais aussi en ce qui concerne la production, alors c’est sûr que je ne peux pas faire autrement que d’être jaloux devant les moyens qu’ils ont. J’ai déjà lu que sur Seinfeld, après avoir tourné ses scènes extérieures dans les rues de New York durant les premières saisons, l’équipe de production a décidé de construire une rue dans un studio pour ne pas que le tournage soit dérangé par les aléas du temps, le bruit ou les passants qui peuvent déranger le déroulement d’une scène. La production a donc créé une réplique identique d’une rue de New York avec des dizaines, des centaines de figurants qui créaient une vie new-yorkaise. C’est tellement irréel de penser qu’on pourrait faire ça ici. Si je disais ça à mon producteur, il me répondrait : « T'es malade, ça n'a aucun sens! »
Dans Modern Family, tous les ans, l’équipe tournait au moins un épisode dans un autre pays. Toute l’équipe technique, les interprètes embarquent dans un avion nolisé et s’en vont en France pour tourner un épisode pendant deux semaines. En fiction, jamais on ne pourrait faire ça ici. C’est sûr qu’il y a quelque chose là-dedans que tu jalouses parce que quelque part, ça influence ta création. Ce n’est pas une question d’avoir plus d’argent dans tes poches, mais d’avoir des moyens pour que ta création se renouvelle et dure plus longtemps.
Quand on regarde le générique de fin et qu’on voit que l’équipe dispose de 14 scénaristes à temps plein, ça jette à terre. Sur Discussions [avec mes parents], il y a juste moi qui ne travaille que sur ce projet-là. Oui, j’ai 2-3 collaborateurs qui m’aident dans mon travail, mais ils écrivent aussi sur plusieurs autres productions. Il n’y a qu’un seul [gardien] de la créativité : c’est moi. Je suis le seul qui connaît toutes les saisons et les épisodes par cœur. Tu peux juste constater que ce n’est pas notre réalité, mais c’est le fun de se mettre à fantasmer, d’imaginer l’excitation de n’avoir aucune limite. N’importe quoi! Peu importe ce qu’on a envie de faire, on peut le faire. Si on me disait ça, c’est sûr que je ferais un épisode où les parents et la famille s’en vont à Old Orchard pendant une semaine durant l’été. Let’s go, on fait ça! Déjà, c’est pas extravagant Old Orchard, c’est pas Amsterdam. (Rires) Il y a quelque chose là-dedans que je jalouse parfois pour le jus créatif que ça ajoute à ce que tu peux faire.
François Morency, merci beaucoup!
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel. Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer « Secrets de scénariste », des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
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La cinquième saison de la série Discussions avec mes parents sera diffusée à ICI Télé les lundis à 19 h 30 à compter du 19 septembre. Les quatre premières saisons sont offertes sur ICI Tou.tv Extra.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
!
Regardez l’entrevue de François Morency à l’émission du 14 octobre de C’est juste de la TV :