•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Un gardien sur une civière salue la foule de la main

Maxime Crépeau - Mon Mondial perdu

« J’ai entendu le bruit et j’ai immédiatement su que c’était fini. »

Signé par Maxime Crépeau

L’auteur est gardien du but du Los Angeles FC. Il a subi une fracture de la jambe droite en finale de la Coupe MLS contre l’Union de Philadelphie, une blessure qui l’empêche d’être avec l’équipe canadienne à la Coupe du monde au Qatar.

Avant même de ressentir la douleur, avant même de voir l’état de ma jambe, j’ai su. Ce bruit, c’est l’os qui s’est cassé.

Je suis alors tombé sur la pelouse, mon regard a croisé celui de mon coéquipier Ilie Sanchez et j’ai fait signe aux soigneurs de l’équipe de venir sur le terrain.

Je n’ai pas eu mal avant quelques secondes. Puis, tout à coup, mon cerveau a réalisé que ma jambe était fracturée, les nerfs ont embarqué et j’ai été happé par la douleur.

Si vous avez vu les images, j’avais l’air en maîtrise, calme, mais si vous saviez à quel point j’avais mal.

Quand je me suis fracturé le pouce lorsque je jouais pour les Whitecaps de Vancouver, il y a trois ans, je n’arrivais pas à gérer ma respiration. J’étais complètement paniqué. Cette fois, instinctivement, j’ai commencé à respirer, à essayer de me relaxer. Je suis resté calme, je me suis contrôlé.

Je savais que c’était fini. J’avais alors deux options. Je pouvais paniquer et quitter le terrain, laissant le stade dans une atmosphère morose. J’ai plutôt choisi de motiver mes coéquipiers, de leur dire que ce n’était pas fini.

J’ai demandé à la sécurité d’aller chercher ma famille dans les gradins. Mes parents, mes beaux-parents et ma femme, Cristina, m’ont rejoint dans le tunnel.

Un thérapeute est penché sur lui.

Le gardien québécois du LAFC Maxime Crépeau au sol après un choc brutal en prolongation de la finale de la MLS contre l'Union de Philadelphie.

Photo : Reuters / Jayne Kamin-Oncea

Mes parents savaient que l’heure était grave. J’ai dit à Cristina que ma jambe était brisée. Elle me répondait que j’étais correct.

Ma femme, elle est toujours là pour m’encourager, pour me pousser à me surpasser. Encore une fois, elle essayait de me remonter le moral. C’est une superwoman. C’est l’épouse, la maman, l’infirmière…

À ce moment-là, ça allait encore. J’étais sur l’adrénaline, je présume. Mais à la seconde où je suis entré dans l’ambulance, la réalité m’a frappé de plein fouet.

C’était terminé.

Mon rêve venait de foutre le camp. Je devais oublier la Coupe du monde.

J’ai regardé Cristina et je me suis mis à pleurer à chaudes larmes.


Malgré ma blessure et le carton rouge, je ne regrette pas d’avoir choisi de foncer sur le ballon. Certains peuvent dire que c’est de l’antijeu, mais les duels font partie du foot.

Après avoir frappé le mollet de mon coéquipier, le ballon s’est mis à ralentir. J’ai vu Cory Burke arriver. Dans ce cas-ci, je n’ai pas eu le temps de penser. C’était purement instinctif. Je le vois comme un 50-50. À la seconde où il touche le ballon, c’est là que je me donne de l'élan. Je sais qu’il va y avoir contact. Je suis arrivé en retard et c’est moi qui ai encaissé le pire de ce duel.

Il glisse avec les pieds devant.

Maxime Crépeau tente d'arrêter Cory Burke à la fin du match contre de l'Union de Philadelphie.

Photo : Getty Images / Kevork Djansezian

S’il n’y a pas de faute, s’il n’y a pas de duel, l’histoire du match aurait été différente. Je ne pense pas que nous aurions été champions.

Je ne changerais rien. Après tout, nous avons gagné!

Le lendemain de la victoire, dimanche, j’ai été opéré pour réparer la fracture. Aussitôt réveillé, j’ai demandé au médecin si je pouvais partir. Il m’a trouvé bien drôle. J’aurais tellement aimé vivre cette journée de célébration avec mes coéquipiers.

J’ai vécu le défilé en direct sur le téléphone, alors que ma famille avait été invitée aux festivités. Je voyais et j’entendais la foule scander : Crépeau, Crépeau, Crépeau! C’était tellement irréel.

Une équipe championne sur le le toit d'un autobus. Un joueur tient le trophée, près duquel on voit un chandail rouge avec le no 16 de Maxime Crépeau

Les joueurs du LAFC rendent hommage à Maxime Crépeau pendant leur défilé de victoire

Photo : Getty Images / Kevork Djansezian

À ma sortie de l’hôpital, je disais à ma femme que j’avais l’impression que cette finale était un match comme un autre. Oui, nous avons gagné, mais je ne l'ai pas célébré. Je suis rentré chez moi sans même avoir touché au trophée.

Quelques jours plus tard, le club m’a fait une surprise en venant me rendre visite avec les deux trophées, celui du championnat de l’Association de l’Ouest et la fameuse coupe MLS.

Quand je tenais ces trophées, je pensais au travail que cela a pris pour arriver à ce moment. Ça fait 10 ans que j’ai signé mon premier contrat professionnel et c’est la première fois que je suis dans une équipe gagnante. Ç’a été beaucoup de sacrifices pour ma famille et moi. C’est moi qui joue sur le terrain, mais ce n’est pas juste moi qui prends les coups. Ma femme et moi avons déménagé huit fois et je n’ai jamais été là. Les trophées, c’est la récompense pour tous ces moments plus difficiles.

Au cours de ma carrière, j’ai pris des risques. J’ai parié sur moi-même et ça a payé. J’ai dû prendre un pas de recul en allant jouer à Ottawa, mais je n’ai jamais cessé d’y croire. Aujourd'hui, je suis récompensé pour mes efforts.

Je sais très bien que certains ont douté de moi. C’est normal, mais il y a une partie de moi qui a toujours voulu faire taire ces détracteurs.


C'est vraiment spécial comme situation. C’est difficile d’exprimer ce que je ressens.

Je vis le plus grand moment de ma carrière, et je dois faire face à la plus grande déception de ma vie. Des émotions tellement contradictoires.

Je pourrais chercher longtemps, me demander pourquoi ça m’est arrivé. Je me console en me disant que je suis champion de la MLS. Mais en même temps, il y aura toujours une frustration. J’ai travaillé toute ma vie pour une Coupe du monde et à mon dernier match avant mon départ, mon rêve s’est envolé.

Je sais que je ne suis pas le seul à rater le Mondial à cause d'une blessure.

Je faisais plus attention à l’entraînement parce que je savais qu’il me restait un mois. Je devais gérer ma charge de travail en prévision du tournoi. Mais dans les matchs, je me donnais à 120 %. J’y allais un jour à la fois, une rencontre à la fois. C'était un risque à prendre et le pire est arrivé.

C’est difficile. On dirait que je ne le réalise pas encore.

C’est certain que je vais suivre attentivement mes coéquipiers. Je vais porter mon maillot du Canada, je vais regarder les matchs et je vais les encourager. Je suis conscient que ça va me replonger dans ma douleur. Je sais que les émotions vont revenir. Le deuil n’est pas encore fait. Le temps seulement arrangera les choses. Je sais, il y a la Coupe du monde en 2026, c’est un objectif. Mais pour le moment, c’est trop loin. Trop loin pour panser la plaie.


À mes coéquipiers, je vous demande d’en profiter.

Nous sommes partis de rien. Il y a eu ces séjours en Floride en temps de COVID-19 et ces longs moments loin de nos familles. Il y a eu ces matchs à l’autre bout du monde sur des terrains de cricket. Et aujourd’hui, nous sommes à la Coupe du monde. Les gars, nous partons de tellement loin!

Maintenant, nous avons de la qualité. Nous avons le pouvoir de croire en notre groupe. Approchez ces matchs sans aucun regret. Surtout, ayez du fun!

Ça fait mal. J’aimerais tellement y être.

Sans être là, sachez que je suis avec vous.

Un gardien prend dans ses bras un coéquipier

Maxime Crépeau avec ses coéquipiers du Canada après un match de qualification contre le Mexique le 7 octobre 2021

Photo : Reuters / Henry Romero

Propos recueillis par Christine Roger

Photo d'entête par Reuters/USA TODAY Sports/Jayne Kamin-Oncea