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ChroniqueUn tournant dans l’histoire du hockey junior canadien?

Gros plan de deux chandails de hockey.

La LCH regroupe la Ontario Hockey League (OHL), la Western Hockey League (WHL) et la Ligue de hockey junior Maritimes Québec.

Photo : La Presse canadienne / Peter Power

Les ligues canadiennes de hockey junior majeur feraient bien de ne pas prendre à la légère le recours collectif qui a été intenté contre elles aux États-Unis, mardi dernier. L’affaire est à ce point sérieuse qu’on assiste probablement à un tournant dans l’histoire du hockey canadien, estiment deux juristes.

La division nord-américaine de la World Association of Ice hockey Players Unions (WAIPU) ainsi que deux anciens joueurs de la Ligue junior de l’Ouest, Tanner Gould et Isaiah Di Laura, ont intenté ce recours collectif à la Cour fédérale de New York.

Les plaignants allèguent que les trois ligues canadiennes ainsi que la LNH violent les lois antimonopole américaines parce qu’elles bénéficient de plusieurs accords qui ont pour effet de supprimer la capacité des joueurs de 16 à 20 ans de déterminer librement leur trajectoire de carrière et de monétiser leur talent.

Et ces accords font en sorte, selon les plaignants, que les hockeyeurs juniors touchent 70 $ par semaine, alors qu’ils sont le moteur d’une industrie qui génère des revenus de plusieurs centaines de millions par année.

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Au cours des dernières années, les ligues canadiennes ont été visées par plusieurs demandes de recours collectifs devant les tribunaux canadiens.

D'anciens joueurs ont notamment réclamé le statut de salariés, et d’autres se sont attaqués à ce qu’ils considéraient comme des pratiques anticoncurrentielles des ligues et des équipes juniors. Il y a aussi eu cette demande de recours collectif dénonçant des abus physiques et sexuels horribles subis par des recrues.

Il donne une conférence de presse.

Dan MacKenzie est le président de la Ligue canadienne de hockey, qui regroupe les trois ligues canadiennes de hockey junior.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Deux de ces trois recours cheminent encore devant les tribunaux canadiens. Et jusqu’à présent, les ligues sont parvenues à limiter les dégâts d’un point de vue financier.

Toutefois, le recours intenté ces derniers jours à New York est tout à fait différent, estiment deux juristes interrogés par Radio-Canada Sports.

C’est très sérieux. Ce n’est pas une poursuite frivole. C’est définitivement un point tournant dans l’histoire du hockey canadien, estime Me Daniel Martin Bellemare. Membre du barreau du Québec et du barreau du Vermont.

Il est notamment reconnu pour sa pratique dans le domaine de la loi antimonopole américaine.

Professeur et vice-doyen de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Me Pierre Larouche abonde dans le même sens.

Il y a beaucoup de jurisprudence aux États-Unis sur le sport professionnel (en relation avec les lois antimonopole). C’est même un domaine de prédilection de la loi américaine. Les plaignants ont fait leurs devoirs. Je ne suis pas sûr que tout ce qu’ils allèguent va passer, mais à la place des ligues de hockey, je me dépêcherais de m’organiser parce que c’est une affaire sérieuse, affirme le professeur Larouche.

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Dans le document de plus de 100 pages qu’ils ont déposé à la Cour fédérale de New York, les avocats ne soulèvent pas uniquement un litige commercial. Ils font aussi référence aux cas d’abus physiques et sexuels mentionnés dans le cadre d’un recours intenté au Canada. Ils font aussi référence au rapport que les trois ligues avaient commandé à un comité indépendant en 2020 et qui affirmait que les mauvais comportements étaient devenus une norme culturelle au hockey junior.

Les plaignants ont indiqué de façon très claire qu’il n’est pas juste question d’athlètes qui aimeraient avoir plus d’argent, dit le professeur Larouche, mais que ce sont aussi des athlètes, dont certains sont mineurs, qui se trouvent dans des conditions difficiles et qui ont besoin d’aide.

La première chose que j’ai vue, c’est qu’on a bien contextualisé l’affaire et que ce sera difficile pour les ligues juniors canadiennes de plaider qu’au contraire, le système est avantageux pour les joueurs, ajoute le professeur Larouche.

En ce qui a trait au nœud de ce litige, c’est-à-dire les barrières pour limiter à quelques centaines de dollars par mois la rémunération des joueurs, Me Daniel Martin Bellemare estime que les faits allégués des plaignants sont très bien présentés en ce qui a trait au droit de la concurrence américain.

C’est énorme comme complot ou comme entente pour limiter la concurrence. Il y a un nombre incroyablement élevé d’intervenants dans tout cela. Les plaignants affirment même dans la poursuite que la preuve de ce qu’ils allèguent se trouve dans des documents écrits. C’est extraordinaire parce que, généralement, les personnes et les entreprises qui sont impliquées dans ce genre d’entente ne mettent pas cela par écrit. Ce sont habituellement des ententes qui sont conclues dans le secret, en catimini, analyse Me Bellemare.

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Aux États-Unis, on ne badine pas avec la loi antimonopole, connu sous le nom du Sherman Act. Ceux qui y contreviennent s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 100 millions de dollars.

Et ce n’est pas tout : si des défendeurs sont condamnés à payer des dommages et intérêts, la somme est automatiquement triplée parce qu’il s’agit d’une violation à la loi antimonopole.

Les plaignants demandent des dommages et intérêts équivalents à ce que les joueurs auraient gagné s’ils n’avaient pas été pris dans un système les condamnant à gagner 70 $ par semaine. Quand vous faites cette différence et que vous multipliez par des milliers de joueurs, et que vous multipliez ensuite cette somme par trois en raison des exigences de la loi, ça signifie qu’il y a beaucoup d’argent en jeu.

Si ce jugement réussissait, le hockey junior majeur canadien serait probablement en faillite immédiatement et le modèle d’affaires changerait complètement, croit le professeur Pierre Larouche.

Ce dernier souligne qu’en plus, ce recours collectif est intenté au moment où il y une recrudescence d’intérêt aux États-Unis pour briser les ententes entre employeurs qui visent à restreindre la mobilité des employés.

Ce contexte joue en faveur des hockeyeurs juniors, précise Me Larouche.

Bref, la situation est extrêmement sérieuse. Au point où les deux avocats interrogés ne cachent pas leur curiosité par rapport à la défense que les ligues adopteront pour contrer cette poursuite.

Peut-être tenteront-ils de faire scinder la poursuite afin qu’elle ne s’applique qu’aux joueurs américains et non aux Canadiens. C’est un des moyens de défense que je vois poindre à l’horizon, avance Me Bellemare.

Entre les lignes, on comprend que les plaignants soutiennent que le seul remède qui permettrait aux ligues canadiennes de maintenir leur modèle d’affaires serait de négocier une convention collective comme l’exige la loi américaine.

Je saisirais la chance de faire ça, si j’étais à la place des ligues juniors canadiennes, parce que ça éviterait des problèmes pour le futur. Ça signifierait qu’il y aurait une espèce d’association des joueurs qui négocierait une convention collective, mais vous pouvez tout de suite imaginer que les joueurs ne toucheraient plus seulement 70 $ par semaine, conclut le professeur Larouche.

Absolument intéressante tant d’un point de vue sportif que légal, cette affaire cheminera probablement pendant quelques années avant qu’on en connaisse le dénouement.

De part et d’autre, les frais de justice s’annoncent astronomiques. On parle de millions de dollars.

En attendant, à moins qu’ils ne demandent un délai au tribunal, la LNH et les trois ligues canadiennes du junior majeur ont 21 jours pour répondre à l’action collective intentée par les plaignants.

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