•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

Lac-Mégantic, une ligue à part

Lac-Mégantic, une ligue à part

Le feu flambait encore au centre-ville de Lac-Mégantic que, déjà, les petits Tim Raines, Vladimir Guerrero et Gary Carter s'élançaient sur le terrain de baseball de leur ville meurtrie par une explosion, survenue deux jours plus tôt. Grâce à ce sport, les enfants et leurs parents ont trouvé un certain réconfort; ils ont pu panser leurs plaies et entrevoir des lendemains plus doux.

Texte : Réjean Blais Photographies : André Vuillemin

Publié le 2 juillet 2023

Le ciel est menaçant à Lac-Mégantic en ce vendredi de juin. Malgré le tonnerre qui gronde au loin et la pluie qui risque de tomber à tout moment, une quarantaine de jeunes joueurs de baseball de 6 à 9 ans investissent le terrain avec entrain et s’exercent avant le début de la partie.

Ces enfants, qui affichent leur plus beau sourire, n’étaient pas encore nés lorsque la terrible catastrophe du 6 juillet 2013 a frappé pas très loin de leur terrain de jeu préféré, déversant sur leur ville un flot de tristesse, de colère et d’incompréhension.

Deux jours après l’explosion du train, le baseball a été le premier sport dont les joueurs ont repris leurs activités. Il a ainsi apporté un certain réconfort à la communauté frappée de plein fouet par la mort de 47 personnes. Depuis lors, chaque semaine, ils sont nombreux à se rendre au parc Fernand-Grenier pour célébrer la vie.

Les petits en uniforme ne cachent pas leur joie et leur fierté, notamment un bambin haut comme trois pommes qui dit fièrement : Je m’appelle Josh. J’aime ça, frapper! Il n'est pas le seul. À Lac-Mégantic, ils sont nombreux à partager ce bel espace vert, source de plaisir et de dépassement de soi.

Les gens étaient contents de se retrouver et de jouer au baseball. Oui, il faisait beau, mais ça sentait très mauvais, parce que l’odeur du pétrole était toujours présente, se rappelle très bien le fondateur de l’Association du baseball mineur de Lac-Mégantic, Ivan Custeau.

Les gens parlaient beaucoup de la tragédie. Il y avait des petits cercles d'amis qui discutaient. Ils voulaient jouer au baseball, mais c'est sûr que c'était la grosse nouvelle, ajoute-t-il.

Les jeunes et les parents voulaient également reprendre rapidement pour penser à autre chose, ajoute Ivan Custeau. Ce père de famille avait lui aussi besoin de retourner sur le terrain avec les jeunes : il connaissait 43 des 47 victimes.

Un de mes cousins est décédé dans la tragédie, beaucoup d'amis qui ont fait du sport avec moi, des amis que j'ai coachés au baseball et que j’ai arbitrés au hockey…, confie-t-il avec émotion.

Il a encore du mal à parler du drame. C'est sûr que j'en parle, mais j'en parle vite. Il ne faut pas trop que j'y pense.

Son fils, Charles-Émile, est artilleur gaucher de niveau midget et porte fièrement, depuis son plus jeune âge, l’uniforme des A’s de Lac-Mégantic.

Il n’avait que sept ans lorsque le déraillement fatal est survenu. Il se souvient de l’ambiance qui régnait lorsqu’il est retourné pratiquer son sport favori avec ses amis. Je pense que ce n'était pas une journée de baseball comme les autres. Les gens n'avaient pas beaucoup le sourire.

On ne voyait que la tragédie. Ça prenait une grande place dans l'esprit des gens. Nous autres, on jouait un peu comme si de rien n'était.

Pendant que les joueurs s’échauffent sur le terrain, un tout jeune arbitre de 11 ans se prépare à son premier match dans ce rôle. Théo, le frère de Charles-Émile, a un air sérieux. Il avoue qu’il est un peu nerveux. En effet, normalement, il a l’habitude de courir sur les sentiers plutôt que de se tenir derrière le marbre pour décider si le lancer qui vient est une balle ou une prise.

J'aime tout du baseball, dit-il, des étoiles dans les yeux. J'aime la frappe, le lancer, la course, mais j'ai quand même une petite préférence pour le lancer.

« ll y a quand même des parents qui ont arrêté de faire jouer les enfants pour toutes sortes de raisons. Ils n'avaient pas la tête à ça. On a perdu aussi des bénévoles pendant cet été-là. On a quand même continué avec le staff qu'on avait, mais il y avait une diminution. Pour certains, c'était vraiment important de venir jouer au baseball. »

— Une citation de   Ivan Custeau, fondateur de l’Association du baseball mineur de Lac-Mégantic

Pendant que les entraîneurs bénévoles donnent leurs dernières consignes, le jeune arbitre, Théo, vérifie si tout le monde est prêt et annonce le début du match. « Playball! » crie-t-il.

Ludovick, en tout cas, est prêt à tout donner. Les parents crient, applaudissent et encouragent les équipes. Le parfum de bonheur qui embaume le terrain surpasse de loin la grisaille de la soirée.

Ivan Custeau explique à quel point les installations du terrain de baseball se sont améliorées au fil des ans. Rien n’a été laissé au hasard pour permettre aux jeunes de pratiquer leur sport dans un environnement optimal. Il y a la cage des frappeurs avec un lanceur de balles automatique et, depuis peu, un tableau indicateur tout neuf qui permet de suivre le déroulement du match.

Visiblement, Erika est très heureuse que les adultes aient consacré autant d’effort et d’argent au terrain de jeu où elle adore s’amuser.

Les abris des joueurs ont eux aussi été refaits. Deux petits jumeaux, Louis et Émile, s’y trouvent. Ils sont fiers de parler de leurs derniers exploits. J’ai marqué un point!Moi, trois! disent-ils coup sur coup sous le regard amusé de leur grand-père, Fernand Bilodeau, qui les accompagne.

Sa maison est située à quelques jets de pierre de la voie ferrée. Depuis 47 ans, il entend le son du train à toute heure du jour. Cette nuit-là, cependant, le bruit a été tout autre. Mon Dieu! Le train va même trop vite! avait-il dit, pressentant que le pire allait se produire.

Le temps de sortir de sa maison, le centre-ville était déjà en feu.

Nancy Couture, une maman de deux garçons fervents de baseball, est bien installée dans l’abri derrière le marbre. Son rôle consiste à noter les résultats sur la feuille de match et à les afficher sur le tableau indicateur.

Frapper des coups sûrs et avancer sur les buts, elle connaît. Depuis la tragédie, elle a eu son lot d’obstacles. Quelques mois après le décès de sa sœur, elle a dû faire soigner un trouble de stress post-traumatique causé par la tragédie.

J’ai vu une scène d’horreur. J'ai entendu les gens crier, le déraillement du train, tout le bruit du métal. Je me couchais le soir et je l'entendais encore. Ça a duré quelques mois…

Quelques années plus tard, des AVC ont transformé sa vie. Nancy a dû réapprendre à parler et à marcher. En attendant, son implication dans le baseball lui permet d’enregistrer de petites victoires néanmoins grandes à ses yeux.

Chaque petit pas que je réussis à faire est valorisant. Je ne regarde pas ce que j'ai perdu, mais ce que je gagne de jour en jour.

Les changements les plus importants apportés au terrain au cours des dernières années l’ont été en grande partie grâce à la généreuse contribution financière de la Fondation des Blue Jays de Toronto.

En 2019, l’organisation a accordé 123 000 $ pour un nouveau système d'éclairage. Puis, en 2023, elle a fait un don de 150 000 $ pour changer le grillage de sécurité derrière le marbre et pour installer de plus hautes clôtures.

Des travaux sont encore nécessaires. Dans le champ gauche, on le voit là-bas, il y a un terrain de soccer avec des estrades. La balle sort régulièrement et il y a beaucoup de danger de blesser les jeunes. Il faut donc relever ça, indique Ivan Custeau.

L’implication des bénévoles contribue énormément au succès des A’s. Je suis dans l'association depuis que j’ai 18 ans. C'est sûr que de voir les enfants s'amuser, jouer, sourire, j’aime ça. Non seulement je suis très fier d'eux autres, mais je suis fier de tous mes acolytes qui ont participé [...] à faire du baseball à Lac-Mégantic un succès, souligne M. Custeau, reconnaissant.

Le baseball n’a jamais été aussi populaire à Lac-Mégantic. Pour leurs 30 ans, les A’s affichent un nombre record de joueurs mineurs :135. S’ajoutent à cela 26 joueuses adultes avec la création de la toute première ligue féminine.

« L'engouement est là. Le terrain est presque rempli à pleine capacité. Ça nous cause un heureux problème!  »

— Une citation de   Ivan Custeau, fondateur de l’Association du baseball mineur de Lac-Mégantic

Sur le bord du terrain, Marie-Pier Gravel porte fièrement le chandail non seulement de son équipe, mais aussi de sa ville d’adoption. L’histoire qui lie cette grande amoureuse du baseball à Lac-Mégantic est renversante. Venue du Saguenay pour emménager dans son nouveau chez-soi avec son conjoint, elle est arrivée avec ses boîtes le lendemain de l’explosion dans un climat apocalyptique.

Le premier souvenir qui me vient, c’est la fumée. Devant l’immensité de la détresse et de la catastrophe, la jeune femme aurait eu toutes les raisons du monde de repartir chez elle, mais l’amour a été plus fort que tout.

Dix ans plus tard, Marie-Pier affirme que jamais elle n’a pensé rebrousser chemin. Non, jamais! C’est gros, ce qui est arrivé, mais le monde se serre les coudes. On est tous ensemble là-dedans. On se soutient.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ce jour où la Saguenéenne est débarquée à Lac-Mégantic. Elle est toujours avec son amoureux et ils sont les heureux parents de deux petits joueurs de baseball. Je suis fière! Mon plus grand a gagné une médaille d'or la semaine passée dans le défi triple jeu. On s'en va pour les régionales à Victoriaville!

Théo termine son premier match un peu trempé par l’averse qui s’est finalement invitée au match. Ce défi, il l’a accepté non seulement pour le bonheur des enfants, pour qu'ils jouent , mais surtout pour devenir le plus jeune arbitre de l’histoire du baseball mineur de Lac-Mégantic, avoue-t-il candidement.

Je me sentais très stressé avant le match parce que j’avais peur qu’on me crie dessus pour un mauvais call. Mais finalement, ça s'est quand même bien passé, à part la pluie!

Les années ont passé, l’odeur du pétrole s’est dissipée, les blessures se sont peu à peu refermées, mais une chose n’a pas changé : l’amour du baseball des Méganticois.

Partager la page