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Le cercle de la non-violence

Le cercle de la non-violence

Texte : Geneviève Cardin Illustrations : Jimmy Beaulieu

Publié le 21 novembre 2023

Ce récit numérique est inspiré de l'émission À cœur battant et produit par Aetios productions en collaboration avec Radio-Canada.

Pour écrire la série À coeur battant, Danielle Trottier a visité plusieurs centres et organismes venant en aide tant aux victimes qu’aux agresseurs. Elle voulait comprendre le parcours de ceux qui produisent de la violence au sein de leur famille, leur couple, en cherchant à savoir pourquoi ils se donnent le droit de frapper, voire même de tuer.

Le personnage de Christophe L'Allier, interprété par Roy Dupuis, est empathique sans pour autant être complaisant avec les hommes qu'il tente d'aider. Son objectif : trouver les bons mots pour que chaque individu qui use de violence assume pleinement, au terme de sa thérapie, l'impact et la responsabilité de ses actes.

« Si nous n’aidons pas les auteurs de violence à modifier leurs comportements, on ne pourra pas régler le problème à la base, et pourquoi pas, à sa racine. Désapprendre la violence, c’est possible. » – Danielle Trottier, auteure d'À coeur battant

Extrait de la saison 2 de la série À coeur battant Photo : Aetios Productions

« J’ai connu la violence, conjugale… J’ai eu un père violent. J’ai été battu, il battait ma sœur, mon frère, pis ma mère. Le plus traumatisant, c’est quand il battait ma mère.  »

— Une citation de   Roy Dupuis, Tout le monde en parle, émission du 22 janvier 2023

Roy Dupuis a déjà vécu de la violence au sein de sa famille. Il en a parlé publiquement durant un entretien poignant à l’émission Tout le monde en parle, en janvier 2023, alors qu’il venait justement présenter la série À cœur battant, signée par Danielle Trottier, en compagnie de la comédienne Eve Landry. On peut donc comprendre ce qui sous-tend l’investissement hors norme de Roy dans l’interprétation de son personnage de Christophe L’Allier, un intervenant porteur d’espoir et de solutions dans sa quête de prévention et de diminution de la violence.

Des femmes et des hommes investis et dévoués, comme le personnage de Christophe L’Allier, existent sur le terrain. Ils et elles œuvrent au service de la non-violence au sein de 36 organismes ou programmes reconnus et financés par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, dont presque tous sont des organismes communautaires autonomes. Trente d’entre eux sont regroupés au sein de l’association À cœur d’homme. 

Ces organismes sont là pour offrir de l’aide aux hommes qui vivent avec une problématique d’impulsivité et/ou qui font subir de la violence à leur conjoint ou conjointe, à leur famille, à leur entourage. Les services s’adressent autant à une clientèle volontaire que judiciarisée.

Roy Dupuis est allé à la rencontre de Mario Trépanier, coordonnateur et intervenant à l’organisme Via l’Anse, à Salaberry-de-Valleyfield, pour souligner l’importance d’avoir non seulement du soutien pour les victimes, mais aussi pour ceux et celles qui la produisent, afin de s’attaquer de front à la violence conjugale et intrafamiliale. Les deux hommes ont tout d’abord abordé les différences entre la violence d’aujourd’hui et celle dont on parlait il y a une vingtaine, voire une dizaine d’années.

Le comédien Roy Dupuis Photo : Aetios Productions
En dessin : un homme les bras croisés.
Le cercle de la non-violence Photo :  Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

L’incarcération n’est pas une solution
L’incarcération n’est pas une solution

Une des manières les plus efficaces et rentables de combattre la violence, c’est l’aide directe, c’est-à-dire les services d’aide aux hommes impulsifs et/ou violents, couplée à l’élaboration de stratégies de prévention, notamment en collaboration avec des organismes communautaires et des établissements scolaires. L’objectif : outiller l’ensemble de la population pour lutter contre la violence, pour que toutes et tous puissent la reconnaître, la dénoncer et la verbaliser. 

« L’incarcération n’est pas la solution la plus rentable. L’aide directe est la solution la moins coûteuse, mais c’est la moins considérée et la moins valorisée. »

— Une citation de   Mario Trépanier

Quelques recherches ont permis d’estimer les coûts de la violence conjugale pour l’ensemble de la société. Les coûts liés à la santé, aux services sociaux, au système de justice criminelle et au secteur du travail sont évalués à 1,4 milliard de dollars par année au Canada. En y additionnant les coûts intangibles (la détresse, la douleur, la perte de jouissance, etc.), le coût total est estimé à 7,4 milliards de dollars par année au Canada (Zhang, Hoddenbagh, McDonald et Scrim, 2012).

Le comédien Roy Dupuis rencontre Mario Trépanier, coordonnateur et intervenant à l’organisme Via l’Anse Photo : Aetios Productions

Selon les données de l’enquête populationnelle menée par Statistique Canada, dans 30 % des cas, les conditions de remise en liberté ne seraient pas respectées (Statistique Canada, 2011), et une des rares études sur le sujet expose le fait que la judiciarisation aurait notamment assez peu d’effet sur les individus présentant des problèmes associés tels que la violence généralisée, le chômage chronique, une dépendance aux drogues et à l’alcool et des problèmes de santé mentale (Rondeau et collab., 2002). Or, selon Mario Trépanier, il s’agit là des principaux facteurs associés à la dangerosité et à la chronicité de la violence.

Bien au fait de ces limites, les différents acteurs et actrices du système judiciaire dirigent d’ailleurs très largement, voire systématiquement, les personnes touchées vers les ressources d’aide spécialisées, de manière à diminuer les risques de récidive.

Michelle (Océane Kitura Bohémier Tootoo) dans un extrait de la série À coeur battant Photo : Aetios Productions

En 2017, le réseau À cœur d’homme avait estimé que le coût moyen, dans les organismes capables de répondre aux demandes dans des délais raisonnables, s’élevait à environ 1400 $ par personne ayant reçu un service. Conséquemment, le montant nécessaire pour offrir des services aux 37 500 personnes qui présentent annuellement au Québec un seuil clinique – cas les plus sévères, dont les victimes présentent plusieurs symptômes de stress post-traumatique – associé à la violence conjugale et familiale était donc estimé à environ 52,5 millions de dollars (en dollars canadiens de 2015).

En dessin : un homme qui conduit une voiture et qui regarde par la fenêtre à sa gauche.
Le cercle de la non-violence Photo : Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

La peur du jugement
La peur du jugement

Mario Trépanier estime que le plus difficile est d’admettre son problème. Selon lui, le premier pas de géant à faire pour entreprendre une réelle démarche de changement est de pousser la porte d’un centre ou d’un organisme, de faire appel aux ressources communautaires pouvant venir en aide aux personnes impulsives et violentes.

Une fois que ce pas est fait, que cette porte est franchie, le processus de réappropriation de la demande d’aide peut s’amorcer, et l’homme qui souhaite se prendre en main pourra intégrer le cercle de la non-violence. Pour Mario Trépanier, le stigma associé à l’image du batteur de femmes est très puissant, et la peur d’être jugé peut avoir des conséquences sur cette première étape primordiale pour être admis dans un centre ou bénéficier de ressources spécialisées.

Le comédien Roy Dupuis rencontre Mario Trépanier, coordonnateur et intervenant à l’organisme Via l’Anse Photo : Aetios Productions

Selon Mario Trépanier, même si les chiffres les plus récents datent d’il y a plus de cinq ans, il y a assez peu changements d’une année à l’autre. Mais une tendance se dessine cependant, soit l’augmentation du pourcentage de la clientèle judiciarisée, ce qui correspond aussi à l’augmentation rapportée par la Sécurité publique, pour l'ensemble du Québec, des cas qui demandent de l’aide après une ordonnance du tribunal. 

En dessin : une machine à café, un café fumant et des choses à grignoter.
Le cercle de la non-violence Photo : Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

L’importance de l’accueil
L’importance de l’accueil

Comme l’explique Mario Trépanier dans son entretien avec Roy Dupuis, l'accueil, c’est la clé. L’homme qui a hésité une, deux ou même trois fois à franchir la fameuse porte doit se sentir accueilli sans jugement, sans voir dans le regard de celui ou de celle qui l’accueille qu’il porte le stigma de l’homme violent. Il insiste sur le fait que dans son organisme, et pour l’ensemble des ressources du regroupement À cœur d’homme, la personne est accueillie dans ce qu'elle est, pour qui elle est, et est respectée dans sa façon de vivre ce qui lui arrive à ce moment-là, pour être amenée à avoir une réelle réflexion sur ce qui ne va pas. 

« Qu’est-ce qui les attend? – Un accueil, une écoute, un café. »

— Une citation de   Roy Dupuis et Mario Trépanier
Christophe (Roy Dupuis) et Junior (Robert Naylor) dans un extrait de la série À coeur battant Photo :  Aetios Productions

« Quand il arrive ici, c'est la faute des autres; il faut le recentrer sur le problème et sur les facteurs de risque qui l'ont mené à la production de violence. Une fois qu'il y a reconnaissance du besoin d'aide, le travail de réflexion peut commencer. Le client, c'est lui, pas le système judiciaire ou la personne qui lui a demandé de faire une démarche. » – Mario Trépanier

En dessin : une femme et un homme assis sur un divan. La femme met sa main sur l'épaule de l'homme.
Le cercle de la non-violence Photo : Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

Entrer dans le cercle et ne plus en sortir
Entrer dans le cercle et ne plus en sortir

Jean-François explique que, pour les gens qui le côtoient, au travail notamment, il n’a pas le profil de l’homme violent. Quand il révèle qu’il y a plusieurs années, il a entrepris une thérapie dans un groupe d’aide pour personnes impulsives, les gens restent bouche bée. 

« J’en ai pété des coches, des murs et des vitres de chars… Je suis un anxieux, colérique, mon père était anxieux et colérique, alors pour moi, j’ai toujours pensé que c’était normal pour un homme d’être comme ça. Jusqu’à ce que ma blonde me dise : “Va chercher de l’aide, sinon ça ne marchera plus nous deux.” » C’est comme ça qu’il a franchi la porte du Groupe d’aide pour les personnes impulsives (GAPI), pour suivre une thérapie de 20 semaines. 

« Je suis un gros nounours, jamais les gens ne penseraient de moi que je suis un homme violent »

— Une citation de   Jean-François Landry

Il se souvient très bien de sa première rencontre avec un intervenant du GAPI, qui lui a simplement demandé :  C’est quoi, la violence, pour toi?  Ce à quoi il a répondu :  Je ne le sais pas, je ne suis pas quelqu’un de violent.  Je ne pensais pas être une personne violente, mais c’est au GAPI que j’ai appris ce que c’était, la violence.

Il ne ressent pas de gêne ou de malaise à parler de son expérience, car ça lui permet d’aider d’autres personnes qui n’ont pas encore réalisé qu’elles faisaient possiblement vivre de la violence à leurs proches. Parler de son cheminement lui permet également de mesurer tout le travail qu’il a réussi à faire pour changer et éviter de retomber dans la nonchalance. Pour Jean-François, c’est important de toujours rester à l’affût des signes d’agressivité, de ne jamais baisser la garde, car il ne veut absolument pas reculer, ne serait-ce que de quelques pas, dans son parcours de non-violence. 

Jean-François lit beaucoup sur tous les sujets qui touchent l’anxiété, la violence et le contrôle de l’impulsivité. Il s’implique auprès de ses pairs et laisse toujours sa porte ouverte pour écouter quelqu’un qui aurait envie d’en savoir plus, ou qui aurait besoin d’aide. 

« J’ai beaucoup appris depuis; donner au suivant, c’est ma sunset career, comme on dit. Je commence les processus pour avoir les certifications de coach international qui vont me permettre de réorienter ma carrière. Ç’a tellement été une expérience de changement de vie, avec le GAPI, que je veux en faire ma vie, d’aider les autres. Je ne pensais pas que le psychique m’obséderait autant. Quand j’étais Rambo dans le bois, si tu m’avais dit de méditer, j’aurais ri de toi! » – Jean-François Landry

Nous avons également rencontré Richard Denis, membre du conseil d’administration et secrétaire du GAPI depuis maintenant 20 ans. Avant d’être impliqué dans l’organisme, Richard en a été bénéficiaire. Après avoir fait un appel pour demander de l’aide, parce qu’il avait commis des gestes violents envers des hommes, agressé physiquement une femme, il a pu enfin avoir une rencontre avec un intervenant.

« À partir de là, on dirait qu’il y avait une lumière qui s’était allumée, qui me disait : "Ça va être correct” »

— Une citation de   Richard Denis

Quand Richard raconte sa première rencontre, on comprend très bien ce que Mario Trépanier veut dire quand il dit que l’accueil qu'on fait à celui qui demande de l'aide est d’une importance cruciale dans sa démarche. « On fait un film dans notre tête, on s’imagine des choses, mais rendu là, le film n’est vraiment pas le scénario qu’on s’était fait… Quand tu sors de la première rencontre, tu dis : “Wow, ça s’est tellement bien passé, je suis fier de moi… Continue!” »

Après cette première rencontre, Richard a été accepté comme participant pour la thérapie de 20 semaines du GAPI, pour ensuite poursuivre son cheminement dans le groupe Papa (un groupe spécialisé auquel les hommes peuvent avoir accès après leur thérapie), et c’est là que l’intervenant de son groupe a vu qu’il avait du potentiel pour faire partie du conseil d’administration de l’organisme. 

« Mon “redonner au suivant” a commencé là. J’ai toujours gardé un pied dans l’organisme, c’était bon pour moi, car ça m’aidait à continuer à avancer vers le but que je m’étais donné. Ça fait 22 ans que je suis dans le CA. » Il y a cinq ans, Valérie Meunier, directrice générale du GAPI, a demandé à Richard s’il voulait faire un témoignage sur son expérience. 

« À partir de ce moment, j’ai commencé à témoigner à propos de mon expérience. On essaye d’aider les hommes à 100 %, même 200 %, et je suis fier d’être un exemple pour certains, quand on me dit : “Je t’ai vu à la TV, c’est à cause de toi que je suis là.” Ma face, je m’en fous, si je peux aider quelqu’un. Grâce à cette démarche-là, j’ai peut-être sauvé moi-même ma vie… »

En dessin : des personnes assises autour d'une table.
Le cercle de la non-violence Photo :  Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

Mobiliser l’entourage
Mobiliser l’entourage

« Avoir les mots pour sensibiliser l’ensemble de la communauté, finalement, pour que l’ensemble de la communauté ait les mots pour intervenir. » – Mario Trépanier

Mario Trépanier, coordonnateur et intervenant à l'organisme communautaire Via l'anse Photo :  Aetios Productions

Comme nous l’avons vu au début dans l'échange entre Mario Trépanier et Roy Dupuis, les médias parlent de plus en plus de violence conjugale et familiale, et des féminicides. La violence est de moins en moins tolérée, et il est important d’outiller les gens pour tendre vers une tolérance zéro. 

« La victime fait évidemment partie de l’équation, elle doit aussi être en mesure de reconnaître la violence, de ne plus la tolérer et de la dénoncer. »

— Une citation de   Danielle Trottier
En dessin : des personnes assises sur des chaises disposées en cercle.
Le cercle de la non-violence Photo :  Aetios Productions / Jimmy Beaulieu

Faire entrer d’autres hommes dans le cercle
Faire entrer d’autres hommes dans le cercle

L’organisme GAPI, par exemple, propose une thérapie de 20 semaines qui n’est pas gratuite, mais dont le coût est ajusté en fonction du salaire de la personne qui la suit. Cela permet à des personnes sans grandes ressources de pouvoir entamer une démarche de non-violence.

D'après le calcul fait en 2015-2016 par le réseau À coeur d'homme, l’investissement gouvernemental auprès des 36 organismes reconnus par le MSSS, dans le cadre du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC), s’élevait à 7 460 342 $. Durant les quelques années qui ont suivi, il y a eu peu d’investissements importants, selon Mario Trépanier. Dans une conférence de presse tenue le 3 juin 2022, le gouvernement a annoncé un investissement supplémentaire de 2,5 millions de dollars pour l'année 2022, une aide supplémentaire qui a permis à l’organisme Via l’Anse de diminuer considérablement sa liste d’attente. 

Ainsi, il est maintenant possible pour Mario Trépanier et son équipe de réimprimer et de distribuer les dépliants de l’organisme, pour inviter d’autres hommes à rejoindre le cercle de la non-violence, en plus de pouvoir répondre aux demandes des établissements scolaires qui souhaitent soutenir la prévention des actes impulsifs et violents en proposant des activités de sensibilisation et d’apprentissage de la communication non violente à leurs étudiants et étudiantes et, par extension, à leur famille.


- Visitez le site d'À cœur battant pour en savoir plus sur la série.

avec la participation financiere du fonds des medias du canada

Un document réalisé par Radio-Canada Télé

Équipe

  • Illustrations : Jimmy Beaulieu
  • Textes : Geneviève Cardin et Danielle Trottier
  • Entrevue : Roy Dupuis
  • Intervenant : Mario Trépanier
  • Montage : Fred Perron
  • Direction photo : Caroline Langevin
  • Caméra : Fred Perron
  • Son : Martin Desranleau
  • Production déléguée médias numériques : Geneviève Cardin
  • Production : Fabienne Larouche et Michel Trudeau

Équipe de Radio-Canada

  • Directrice principale, contenu et programmation, ICI Tou.tv, webtélé et jeunesse : Christiane Asselin
  • Directrice,Produits numériques TVG et Jeunesse : Isabelle Picard
  • Cheffe de contenu numérique TVG et Jeunesse : Josianne Pelletier
  • Édimestre TVG et Jeunesse : Carmen Bourque

Ressources et compléments d’information

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