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Ingérence étrangère : « Le système électoral est robuste », malgré des failles

Il y a bien eu de l'ingérence dans les élections de 2019 et de 2021, selon la commissaire Marie-Josée Hogue, mais cela « n'a pas eu d'incidence » sur les résultats.

Marie-Josee Hogue parlant au micro devant une bannière des audiences publiques sur l'ingérence étrangère.

La commissaire Marie-Josée Hogue lors de la présentation de son rapport initial affirmant qu'il y a eu de l'ingérence étrangère dans les élections fédérales de 2019 et de 2021, mais que cela n'a pas affecté les résultats.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

La journaliste Rania Massoud.
Rania Massoud

Oui, les élections fédérales de 2019 et de 2021 ont bel et bien fait l'objet d'ingérence étrangère. « Je n'ai aucun mal à conclure en ce sens », indique la juge Marie-Josée Hogue dans son rapport initial rendu public vendredi dans le cadre de la Commission d'enquête sur l'ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux.

Non, l'ingérence étrangère n'a pas porté atteinte à l'intégrité du système électoral en soi et n'a pas eu d'incidence sur l'identité du parti qui a pris le pouvoir. Les élections ont été administrées avec rigueur, a assuré la commissaire Hogue dans son volumineux rapport de 242 pages.

Mme Hogue souligne toutefois qu'il est plus difficile de savoir si les tactiques d'ingérence étrangère ont affecté les résultats au niveau de certaines circonscriptions. En effet, il se peut que les résultats dans un nombre limité de circonscriptions aient été affectés, mais il est impossible d’en avoir la certitude.

Quelques irrégularités

Elle souligne notamment qu'il y a eu des irrégularités en 2019, lors de la course à l’investiture du Parti libéral dans la circonscription de Don Valley-Nord, située dans la grande région de Toronto, et en 2021 dans la circonscription de Steveston–Richmond-Est, en Colombie-Britannique.

Des actes d'ingérence étrangère ont été commis lors des deux dernières élections générales fédérales, mais ils n'ont pas porté atteinte à l'intégrité de notre système électoral, dont la solidité n'a pas été ébranlée. [...] C’est le Parti libéral qui aurait pris le pouvoir, avec ou sans ingérence étrangère.
Une citation de La commissaire Marie-Josée Hogue

Les électeurs ont pu voter, leurs votes ont été dûment enregistrés et comptés, et rien ne suggère qu'il y ait eu quelle qu'ingérence que ce soit à cet égard, ajoute-t-elle. Néanmoins, les actes d'ingérence qui ont été posés ont entaché le processus qui a précédé le vote.

Pour rappel, en 2019, le Parti libéral a obtenu 157 sièges, alors que le Parti conservateur, qui a terminé deuxième, en a obtenu 121. En 2021, les libéraux ont obtenu 160 sièges et les conservateurs 119.

La confiance du public ébranlée

La juge concède toutefois que l'ingérence étrangère a ébranlé la confiance du public envers la démocratie dans le pays. C’est peut-être là le préjudice le plus grave que l’ingérence étrangère a causé au Canada, indique-t-elle dans son rapport, tout en soulignant que les communautés issues des diasporas ont été particulièrement touchées.

La Commission, qui a été mise en place en septembre dernier sous la pression des partis de l'opposition, a entendu plus de 60 témoins au cours de 21 jours d'audiences, dont 15 publiques et 6 à huis clos, et a examiné des milliers de documents, dont 83 % sont des documents considérés « secrets ».

Mme Hogue assure toutefois que son équipe a bien pu consulter tous les documents fournis par les services de renseignement et de sécurité. Mon équipe a eu accès aux secrets les mieux gardés du Canada, dit-elle dans son rapport.

Des problèmes de communication

La commissaire Hogue fait état de plusieurs failles dans le système électoral ayant permis que des événements troublants soient survenus dans une poignée de circonscriptions lors des deux dernières élections.

Elle souligne notamment la présence de problèmes de communication entre les différents services de sécurité et les partis politiques. Un fossé existait entre les attentes des partis et ce que le Groupe de travail, un organisme non partisan mis sur pied en 2019 pour veiller sur les menaces visant les élections, était réellement en mesure de leur fournir.

Il est clair que les représentants des partis estiment qu’ils n’ont pas été suffisamment informés par le Groupe de travail, ajoute-t-elle. Ils ont même dit avoir été indûment rassurés par ce qu’ils ont entendu, ce qui les a amenés à baisser la garde.

Une meilleure communication et une meilleure collaboration entre les divers acteurs sont nécessaires. Des initiatives très valables ont été prises à l’aube des élections de 2019 et de 2021, mais elles demeurent perfectibles.
Une citation de Extrait du rapport de la commissaire Marie-Josée Hogue

Des rôles flous

L'autre faille soulevée par Mme Hogue est l'incompréhension du rôle que chacun joue ou devrait jouer dans la lutte contre l'ingérence étrangère. Les rôles ne sont pas toujours bien compris, indique le rapport.

Il existe des différences de vues importantes entre la communauté du renseignement et les élus, et que la crainte que la divulgation de renseignements puisse porter atteinte à la sécurité nationale constitue un frein important au partage d’information, ajoute le document.

Ces questions seront toutefois examinées de manière plus approfondie au cours de la prochaine phase des travaux. Un rapport final devrait d'ailleurs être remis en décembre 2024.

La menace de la Chine

Le rapport détaille par ailleurs quels sont les principaux pays responsables de l'ingérence étrangère au Canada. Sans surprise, c'est la Chine qui est citée en tête de liste.

L’ingérence étrangère n’est pas l’affaire d’un seul pays, souligne la commissaire Hogue. Cependant, la Chine apparaît actuellement comme la menace la plus active et la plus sophistiquée d’ingérence étrangère pour le Canada.

Les ressources qu’elle y a consacrées dépassent celles des autres pays.

Selon le rapport, les autorités de Pékin sont les plus actives en matière d’ingérence ciblant les fonctionnaires, les organisations politiques, les candidats aux postes électifs et les communautés issues de la diaspora, notamment lors des élections de 2019 et de 2021.

Le Parti communiste chinois utilise une gamme d'outils, dont la répression transnationale. Il est accusé de soutenir financièrement des candidats favorables, et influencer de manière clandestine les discours qui appuient les intérêts stratégiques de la Chine.

On estime généralement que l’ingérence étrangère de la Chine ne tient pas compte des partis politiques. La Chine ne soutient aucun parti en particulier, mais soutient plutôt les résultats qu’elle estime lui être favorables, peu importe l’affiliation politique d’un candidat donné.
Une citation de Extrait du rapport de la commissaire Marie-Josée Hogue

L'Inde, le Pakistan, la Russie et l'Iran

L'Inde est aussi accusée d'avoir mené des tactiques d'ingérence lors des élections de 2019 et de 2021 visant à aligner la position du Canada sur ses intérêts à propos d’enjeux importants, particulièrement en ce qui concerne la perception du gouvernement indien quant aux personnes qui appuient un État sikh indépendant, le Khalistan.

Le Pakistan a également mené des actes d'ingérence lors des deux dernières élections en tentant, par exemple, d’influencer clandestinement le choix de politiciens et de candidats perçus comme étant plus favorables au Pakistan qu’à l’Inde.

La Russie et l'Iran ont quant à eux joué un rôle moins important lors des dernières élections fédérales, constate le rapport initial.

La Russie mène des opérations de désinformation dans le cadre de ses efforts d’ingérence étrangère en Occident, notamment au Canada. Son but ultime est d’ébranler la perception que les États-Unis dominent le monde, de discréditer les politiques américaines et celles des pays occidentaux, et de saper le soutien aux institutions, aux partenariats et aux alliances dirigés par les États-Unis, indique le document.

La possibilité d’une ingérence étrangère par la Russie a été une préoccupation avant les élections générales de 2019, mais cette préoccupation s’est estompée pendant les élections, poursuit le rapport.

L’Iran, de son côté, n’est pas, et n’a jamais été, un acteur d’ingérence étrangère d’importance relativement aux élections fédérales canadiennes, note encore le rapport.

Toutefois, les rapports des services de renseignement indiquent qu’il est probable que des représentants de l’Iran surveillent et influencent des membres de la diaspora iranienne au Canada et qu’ils recueillent des informations à leur égard.

Les méthodes d'ingérence étrangère

1) Les relations à long terme :

  • Des pays consacrent beaucoup de temps et d’énergie à développer des liens profonds et durables avec leurs cibles. Une simple rencontre peut se transformer, au fil du temps, en liens durables susceptibles d’être exploités.

2) Le financement :

  • Offrir un soutien financier est une façon courante de développer des liens, en particulier avec des candidats politiques. Le versement de dons à des candidats peut, explicitement ou implicitement, s’accompagner de conditions. Bien que la Loi électorale du Canada interdise le financement étranger des élections, les pays peuvent utiliser des intermédiaires pour dissimuler l’origine d’un don. Les campagnes qui reçoivent des fonds peuvent croire que l’argent provient d’une source canadienne légitime, alors qu’ils proviennent en fait d’un intermédiaire qui travaille pour un pays étranger.

3) La corruption, le chantage et les menaces :

  • Les membres des communautés issues des diasporas peuvent être particulièrement vulnérables à ces tactiques. Les pays étrangers sont également en mesure de proférer des menaces crédibles et sérieuses à l’encontre des membres de certaines communautés de leur diaspora. Ces menaces peuvent inclure le refus de fournir des documents de voyage ou le ciblage de membres de la famille qui habitent encore dans le pays d’origine. Le Service canadien du renseignement de sécurité a déterminé que cette forme de répression transnationale est particulièrement préoccupante dans la lutte contre l’ingérence étrangère.

4) Les cyberattaques :

  • Les cyberattaques peuvent viser les systèmes électoraux dans le but de compromettre l’intégrité d’une élection. Elles peuvent aussi cibler des fonctionnaires, des membres du public, des candidats et leurs équipes de campagne. Un État étranger peut se livrer à des cyberattaques dans le but d’obtenir de l’information sensible susceptible d’être utilisée pour influencer le comportement de ces personnes. Il peut aussi le faire pour perturber les élections ou simplement provoquer le chaos.

5) Les campagnes de désinformation :

  • Les pays étrangers peuvent manipuler les médias pour répandre de la désinformation, amplifier un message particulier ou semer la méfiance. Certains pays étrangers peuvent mener des campagnes sophistiquées qui masquent efficacement les sources de désinformation.

6) Les intermédiaires :

  • Un intermédiaire est une personne ou une organisation qui reçoit des instructions d’un pays étranger, de manière explicite ou implicite, afin de mener certaines activités. L’utilisation d’intermédiaires a l’avantage de masquer le lien entre l’activité en question et l’État étranger.

Réagissant au rapport, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a dit accueillir favorablement les conclusions de la commissaire Hogue, tout en assurant qu’il a l’intention de déposer prochainement un projet de loi pour renforcer notre capacité en ce qui a trait à l’ingérence étrangère.

On peut s'attendre à ce qu'il contienne notamment la création d'un nouveau registre pour les agents étrangers, et une réforme de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qui touchera notamment le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications.

Pour sa part, le Parti conservateur a eu une lecture différente du rapport, accusant le premier ministre Justin Trudeau d’avoir minimisé et ignoré les actes d’ingérence survenus lors des élections. Les conservateurs continueront de veiller à ce que les Canadiens connaissent la vérité sur l’ingérence de Pékin que les libéraux ont cherché à cacher, ajoute le parti d’opposition dans un communiqué.

La journaliste Rania Massoud.
Rania Massoud

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