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AnalyseL’État pétrolier que le Canada veut devenir

Un ensemble de réservoirs du pipeline Trans Mountain avec, en arrière-plan, des arbres et des montagnes.

L'exploitation commerciale du double pipeline Trans Mountain a officiellement commencé entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, le 1er mai dernier. On voit ici un ensemble de réservoirs du côté britanno-colombien, à Burnaby.

Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck

Même si le ministre fédéral de l’Environnement Steven Guilbeault affirme qu’il faut réduire notre dépendance aux énergies fossiles, il faut bien comprendre que le Canada ne se positionne pas, dans les faits, comme un pays qui amorce une transition hors du pétrole. Au contraire, on continue d’investir dans le développement de l’industrie pétrolière, dans son expansion et dans une hausse des exportations.

En réalité, le Canada, dans un monde en transition énergétique, cherche davantage à se positionner comme un partenaire fiable et stratégique en matière d’hydrocarbures. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas que nos véhicules à essence qui nécessitent du pétrole!

L'électrification des transports ne signifie donc pas la fin du pétrole, mais plutôt un ralentissement éventuel de sa production et de sa consommation.

Il y a du pétrole dans une multitude de produits de notre quotidien, du plastique à la peinture, en passant par les cosmétiques, les casques de moto, les biberons, les bouteilles, les verres de lunettes, etc. Le pétrole est partout et il est difficile d’imaginer que nous allons totalement nous en passer d’ici quelques décennies.

Alors, le Canada, avec sa production de 4,5 millions de barils de pétrole brut par jour, se voit très bien comme producteur d’un pétrole qui va rester essentiel, encore, à long terme.

Il est possible que, d’ici 2040 ou 2050, le Canada produise moins de pétrole alors que de grands investisseurs hésiteront à injecter des milliards de dollars dans la prospection qui coûtera toujours un peu plus cher.

Mais peu importe le niveau de production, le Canada veut être, dans le marché mondial, le pays capable de produire un pétrole plus propre dans un pays fiable, stable, avec un encadrement serré et prévisible.

Du pétrole plus propre et du carbone séquestré

Il y a deux ans, en mars 2022, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, écrivait dans son plan climatique que le secteur des hydrocarbures peut se transformer en producteur mondial de pétrole et de gaz les plus propres. Ces mots sont importants.

Si un ancien militant de Greenpeace, maintenant ministre de l’Environnement et du Changement climatique, adhère à ce discours, il est clair qu’un éventuel gouvernement dirigé par le conservateur Pierre Poilievre n’irait pas en deçà de cet engagement.

Encore, à la COP28 de Dubaï en décembre, Steven Guilbeault disait que l’élimination pure et simple des combustibles fossiles, ça n’arrivera pas, zéro chance. Donc, on ne prépare pas la fin de la production pétrolière au Canada.

Récemment, le ministre fédéral de l’Énergie, Jonathan Wilkinson, affirmait que les technologies de capture et de séquestration du carbone s’améliorent et, au fil du temps, elles deviennent moins coûteuses, comme toutes les autres technologies. Pour ceux qui disent que la technologie n’a pas fait ses preuves, je leur dirais simplement que ce n’est pas vrai. La technologie de base existe depuis longtemps. C’est une question d’échelle et une question de coûts.

D’ailleurs, le Canada entend mettre en place un crédit d’impôt pour l’investissement dans des projets de captage. Jusqu’à 15 % des réductions des émissions de gaz à effet de serre viendraient du captage du carbone en 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie.

La Presse Canadienne rapportait à la fin avril que l’industrie mise grandement sur la séquestration des émissions de gaz à effet de serre pour assurer son avenir et respecter le plafond éventuel d’émissions, qui sera élaboré par le gouvernement fédéral.

Un projet évalué à 16 milliards de dollars est évoqué, soit un pipeline de 400 kilomètres pour transporter le dioxyde de carbone émis par une vingtaine de sites de production de pétrole des sables bitumineux du nord de l’Alberta vers un immense centre de stockage souterrain. La décision d’aller de l’avant avec ce projet n’est pas encore prise.

Trans Mountain, un changement majeur

En fait, tous les indicateurs pointent en direction d’une hausse de la production et des exportations de pétrole au Canada. L’entrée en activité, ce mois-ci, de l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain dans l’ouest du pays en est la parfaite illustration. Le projet, racheté par le gouvernement canadien qui voulait s’assurer de sa réalisation, a coûté sept fois plus cher que prévu, soit environ 34 milliards de dollars.

Mais le potentiel économique est grand alors que le Canada, grâce à cet oléoduc, pourra exporter beaucoup plus de pétrole, du pétrole lourd qui ne sera plus prisonnier du seul marché américain. En ce moment, l'équivalent de 90 % de la production canadienne est exportée, et 96 % de ce pétrole exporté est envoyé aux États-Unis.

Trans Mountain permettra d'envoyer près de 600 000 barils de plus vers la côte du Pacifique, ce qui pourrait permettre une hausse de 10 à 15 % des exportations à partir du port de Vancouver vers les raffineries de la côte ouest américaine, mais aussi et surtout vers les raffineries chinoises, en mesure d’accueillir un pétrole contenant une grande quantité de soufre. C’est un développement important pour l’industrie pétrolière canadienne.

Les activités élargies de Trans Mountain devraient rapporter 9,2 milliards de dollars à l’économie canadienne et 2,8 milliards en taxes et en impôts de 2024 à 2043, selon une estimation de la firme Ernst & Young. Selon la Banque du Canada, le nouveau pipeline viendra ajouter 0,25 point au PIB total du pays au deuxième trimestre de l’année.

En février 2024, le Canada a produit, en moyenne, 4 581 045 barils par jour et a exporté 4 112 736 barils quotidiennement, selon le Centre canadien d'information sur l'énergie. Depuis le début de l’année 2016, la production canadienne de pétrole brut a augmenté de plus de 20 %.

Avec la hausse annoncée des exportations, et les nouveaux marchés qui s’ouvrent à l’industrie, le Canada pourrait continuer d'augmenter sa production.

Selon une étude de la TD, la production de pétrole au Canada devrait progresser de 6 à 10 % cette année, une hausse de 300 000 à 500 000 barils par jour. Le pays pourrait ainsi atteindre la barre des 5 millions de barils de pétrole brut produits quotidiennement.

Il s'agit tout de même d'un développement majeur pour une industrie qui a ralenti sa croissance au cours de la dernière décennie, les entreprises préférant réduire leur dette et verser des dividendes à leurs actionnaires.

Un meilleur prix

La hausse du prix de vente du pétrole canadien à la suite de la mise en activité du pipeline expansionné Trans Mountain pourrait stimuler les investissements au Canada. Depuis longtemps, en raison des capacités limitées des exportations canadiennes, les acheteurs paient moins cher le pétrole canadien, une forme de pénalité d’environ 15 $ en moyenne par baril. Cet écart pourrait se retrouver bientôt entre 5 $ et 10 $, compte tenu des nouvelles capacités d’exportation du pays.

Signalons aussi que les banques canadiennes restent fermement engagées envers le secteur pétrolier. En 2023, les institutions financières du pays ont octroyé plus de 104 milliards de dollars américains en financement à l’industrie, selon un rapport de Banking on Climate Chaos. Plus de 28 milliards de dollars américains sont venus de la RBC, et plus de 24 milliards de la Scotia. Ces niveaux de financement sont en baisse, mais demeurent très élevés.

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