Québec invité à contrôler le rejet de contaminants éternels dans les rivières
Le reportage de Félix Morrissette-Beaulieu
Photo : Radio-Canada / Félix Morrissette Beaulieu
Des municipalités de la région de Québec demandent au gouvernement Legault d’adopter une norme pour encadrer la présence dans l’eau potable des composés perfluorés (PFAS), surnommés « contaminants éternels » en raison de leur persistance dans l’environnement.
Radio-Canada a révélé la semaine dernière que plusieurs dépotoirs québécois rejettent dans les rivières du lixiviat contenant de fortes concentrations de PFAS. Le lixiviat est un liquide contaminé résultant du passage de l’eau au travers des déchets enfouis.
Même si l’eau de lixiviation est filtrée avant d’être rejetée dans la nature, les contaminants éternels y demeurent en quantité importante.
8 sites analysés
Huit lieux d’enfouissement technique ont fait l’objet d’une analyse du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).
Des rapports du MELCCFP lient le lieu d'enfouissement technique de Sainte-Cécile-de-Milton, en Estrie, à la contamination aux PFAS de l'eau souterraine d'un quartier résidentiel. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies
Des rapports datés de juin 2023 obtenus à l’aide d’une demande d’accès à l’information montrent que la concentration moyenne de ces contaminants dans l’eau traitée rejetée est d’environ 2000 nanogrammes par litre (ng/l). C’est 66 fois plus que la norme de 30 ng/l proposée par Santé Canada pour l’eau potable.
Deux des huit lieux d’enfouissement technique analysés par le MELCCFP sont situés dans la région de la Capitale-Nationale, l’un à Saint-Joachim, l’autre à Neuville.
Le dépotoir de Saint-Joachim, sur la Côte-de-Beaupré, rejette du lixiviat dans un fossé, qui se déverse dans la rivière Sainte-Anne. L’analyse du ministère a révélé que la concentration de PFAS après traitement s'élevait à 1690 ng/l.
Étude
La Municipalité de Beaupré puise son eau potable dans la rivière Sainte-Anne. Le maire Pierre Renaud se veut rassurant sur la qualité de l’eau que boivent ses concitoyens.
On a fait faire une étude par la firme Eurofins l'année dernière pour voir ce qui sortait en amont et en aval du site d'enfouissement et il s'est avéré que la concentration était inférieure à 1 millilitre par 1000 litres d'eau
, raconte M. Renaud en entrevue à Radio-Canada.
Le maire de Beaupré, Pierre Renaud, affirme que la qualité de l’eau potable est suivie de près dans sa municipalité.
Photo : Radio-Canada / Félix Morrissette Beaulieu
Le gouvernement du Québec n’a à ce jour pas imposé de norme sur la présence des composés perfluorés dans l’eau potable. Santé Canada a fixé un objectif de 30 ng/l, mais il ne s’agit pas d’une norme officielle. Pierre Renaud souhaite que la situation change. Il y voit un enjeu de santé publique.
Ça nous inquiète parce que c'est en lien direct avec la santé des citoyens si on ne fait rien [...]. Ce que nous aimerions, c'est que le gouvernement puisse émettre des normes et puisse nous encadrer.
La quantité de PFAS est mesurée dans la rivière Jacques-Cartier, où est déversé le lixiviat rejeté par le lieu d’enfouissement technique de Neuville. La Municipalité de Donnacona puise son eau potable dans la Jacques-Cartier.
Tout est sous contrôle
Le maire de Donnacona, Jean-Claude Léveillé, se veut lui aussi rassurant par rapport à la qualité de l’eau sur son territoire.
On respecte tous les critères du ministère de l'Environnement. Pour l'instant, l'eau est de parfaite qualité. Alors, je dis aux citoyens de ne pas s'inquiéter du tout de ce côté-là. Pour l'instant, tout est sous contrôle
, assure le maire en entrevue à Radio-Canada.
Il y a trois ans, la Ville de Beaupré a inauguré sa nouvelle usine de filtration d’eau potable.
Photo : Radio-Canada / Félix Morrissette Beaulieu
Il ajoute qu’à la suite des révélations de Radio-Canada, la Ville a mandaté un laboratoire pour prendre des échantillons à la hauteur de la prise d’eau de la rivière Jacques-Cartier, située à 7 km du site d’enfouissement, et à l’intérieur de son usine de filtration.
Le maire s’attend à avoir les résultats d’ici le mois de juin. À l’instar de Pierre Renaud, il souhaite que le gouvernement adopte une norme pour encadrer la présence des contaminants éternels dans l’eau potable.
C'est sûr que tant qu’on n'a pas de directive du ministère de l'Environnement. C'est difficile pour nous de réagir de ce côté-là.
Les problèmes connus sur la santé liés aux PFAS concernent principalement les molécules PFOA et PFOS, des produits de synthèse qui font partie de la grande famille des composés perfluorés.
Usage répandu
Ils ont été abondamment utilisés à partir des années 1940 en raison, notamment, de leurs propriétés antitaches, antiadhésives et imperméabilisantes.
La présence de PFAS dans l'eau potable est un enjeu de santé publique. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Julien B. Gauthier
On les retrouvait dans divers produits de consommation tels que les revêtements antiadhésifs des instruments de cuisson, les emballages alimentaires et les mousses ignifuges des extincteurs.
Le PFOA et le PFOS ont été bannis il y a une vingtaine d’années par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants à cause de leurs caractéristiques toxicologiques.
Perturbations
Mathieu Valcke, conseiller scientifique spécialisé en toxicologie à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), indique que l’exposition à ces deux molécules est entre autres associée à des effets sur le système endocrinien et sur le développement des enfants.
Dans le cas où c'est la mère qui est exposée, les enfants ne [croissent] peut-être pas aussi rapidement, aussi vite qu'ils le devraient
, explique M. Valcke en entrevue à Radio-Canada.
Mathieu Valcke est conseiller scientifique spécialisé en toxicologie à l’INSPQ.
Photo : Radio-Canada
Certains PFAS entraîneraient également une réduction de la réponse immunitaire aux vaccins, une augmentation du cholestérol et une augmentation du risque de cancer du sein.
Lente dégradation
Malgré leur interdiction, les molécules PFOA et PFOS, reconnues pour leur persistance, ne sont pas à la veille de disparaître, prévient Mathieu Valcke.
Il y en a encore dans l'environnement qui datent de l'époque où elles n'étaient pas interdites, mais aussi qui proviennent de régions du monde où elles ne sont pas interdites. Et donc, elles voyagent dans l'environnement et elles voyagent à travers le monde parce qu'elles se dégradent très, très lentement. Elles ont le temps de faire une longue distance avant de se dégrader. Donc, ça explique qu'on en retrouve encore aujourd'hui
, précise le conseiller scientifique.
Avec la collaboration de Félix Morrissette Beaulieu