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Manifestations étudiantes : quels parallèles entre 2024 et 1968?

Deux experts voient non seulement des similitudes entre le mouvement propalestinien et celui contre la guerre du Vietnam, mais aussi certaines exagérations.

Image en noir et blanc d'étudiants.

Des étudiants de l'Université Columbia avaient occupé cinq bâtiments de cet établissement en avril 1968 pour protester contre l'intervention militaire des États-Unis au Vietnam.

Photo : Associated Press / Jacob Harris

Depuis deux semaines, des étudiants ont établi des campements sur une trentaine de campus américains pour exprimer leur solidarité avec la cause palestinienne et pour dénoncer l’appui militaire et financier des États-Unis à Israël.

Ce mouvement rappelle celui qui avait enflammé les universités à la fin des années 1960, lorsque des étudiants réclamaient le retrait de l’armée américaine du Vietnam.

Peut-on faire des parallèles entre ces deux mouvements? Nous en avons discuté avec Ralph Young, professeur d’histoire à l’Université Temple, à Philadelphie, aussi spécialiste des mouvements de contestation aux États-Unis, et Robert Cohen, professeur d’histoire et d’études sociales à l’Université de New York.

Quelles sont les similitudes et les différences entre les manifestations actuelles et celles de 1968?

Ralph Young : La principale différence, c'est que dans les années 1960, il y avait un aspect personnel immédiat. Les étudiants [américains] savaient qu’ils pouvaient à tout moment être enrôlés et envoyés au Vietnam. Aujourd’hui, il n’y a pas de soldats américains à Gaza. Aucun des étudiants qui manifestent ne craint de se retrouver dans quelques semaines en train de combattre à Gaza.

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Ce qui est similaire, c'est qu’il s’agit, dans les deux cas, d’une question morale. Les manifestants de 1968 n'étaient pas seulement de jeunes hommes en âge de servir [sous le drapeau]. C’étaient aussi des gens qui trouvaient que le pays était impliqué dans quelque chose qu’ils considéraient comme moralement répréhensible. Ils partagent cette passion avec les jeunes étudiants d’aujourd’hui.

Plusieurs tentes et de nombreuses personnes sur le campus ensoleillé de Columbia.

De nombreux étudiants campaient à l'Université Columbia, le 28 avril 2024, avant le démantèlement de leurs installations par la police.

Photo : Getty Images / Spencer Platt

Robert Cohen : Il y a une similitude dans la mesure où ce sont deux mouvements qui réagissent à l’utilisation de la puissance militaire américaine. Cependant, au plus fort de la guerre du Vietnam, des centaines de milliers de soldats américains étaient engagés dans les combats, alors que maintenant, il y a quelques navires de guerre et quelques troupes dans la région, mais il n’y a pas d’implication militaire directe massive des États-Unis et il n’y a pas de conscription.

La droite utilise cette comparaison pour agir comme si un immense mouvement était en train de s'emparer des campus et que tout était en train de s'effondrer, ce qui est une énorme exagération. Il y a des manifestations sur les campus et il y a eu des tensions dans certains cas, mais la plupart des manifestations ont été pacifiques.

En 1970, après que la Garde nationale de l’Ohio eut tué quatre étudiants qui manifestaient à l’Université d'État de Kent, environ quatre millions d'étudiants à travers le pays ont pris part à des manifestations ou à des grèves. À ce moment-là, les Américains considéraient que le principal problème des États-Unis était le désordre sur les campus universitaires. On est loin de ça aujourd’hui.

De jeunes hommes se battent (image en noir et blanc).

Des manifestants et des contre-manifestants s'étaient affrontés devant la Maison-Blanche, à Washington, le 11 mai 1970, à la suite de la fusillade à l'Université d'État de Kent, dans l'Ohio, où quatre étudiants avaient été tués par la Garde nationale.

Photo : Getty Images / -

En même temps, cela nous montre que la tolérance envers la dissidence a considérablement diminué. Les universités sont censées être des lieux où la liberté est très valorisée et où on peut avoir des échanges d’idées.

Évidemment, un campement est problématique et crée des maux de tête à la direction de l'université, mais si cela ne perturbe pas les cours, alors pourquoi appeler la police?

Quelle était la réaction du public dans les années 1960 et quelle est-elle aujourd’hui?

Ralph Young : C’est vraiment une question qui divise. Je pense que beaucoup de gens soutiennent les manifestants et que la majorité des Américains souhaiteraient un cessez-le-feu à Gaza. Mais il y a aussi beaucoup d’Américains qui les détestent.

La fusillade à l’Université d'État de Kent, en 1970, a galvanisé les étudiants partout au pays. Cela leur a aussi apporté un capital de sympathie. Mais en même temps, cela a également enflammé beaucoup de gens contre eux, des conservateurs qui pensaient que ces étudiants étaient des enfants gâtés et qu'ils méritaient ce qui leur était arrivé.

Robert Cohen : Une majorité d’Américains n’aiment pas les mouvements étudiants, quels qu’ils soient. C’est lié au conservatisme culturel qui existe au pays. Quand un athlète comme LeBron James prend position contre la brutalité policière, les gens disent : Tais-toi et joue. Aux étudiants, ils disent : Taisez-vous et étudiez. Se révolter, selon eux, c’est faire preuve d’un manque de respect à l’égard de leurs aînés.

Quel bilan peut-on faire des deux mobilisations?

Ralph Young : Du côté des manifestants, on a eu l’impression que la mobilisation des années 1960 n’a pas été un grand succès parce que la guerre a continué pendant un bon moment. Les manifestations se sont déroulées entre 1966 et 1972, mais la guerre a duré jusqu’en 1975.

Une jeune femme se débat.

Une étudiante de l'Université Columbia au moment de son expulsion du campus par des policiers en civil le 30 avril 1968.

Photo : Associated Press / Dave Pickoff

Cependant, je pense qu’elles ont quand même eu un impact puisqu'elles l’ont raccourcie. La guerre s’est terminée plus tôt que si elles n’avaient pas eu lieu.

Aujourd'hui, la différence, c’est que nous n’avons pas notre mot à dire sur les décisions du gouvernement israélien. Même si Joe Biden disait à Benyamin Nétanyahou qu’il n’enverrait plus de matériel ni d’armes, je ne pense pas que cela le dissuaderait.

Robert Cohen : Les étudiants qui manifestent actuellement veulent que les universités se dissocient des entreprises liées à Israël. On peut faire un lien avec le mouvement anti-apartheid des années 1980, qui a réussi à isoler l’Afrique du Sud sur la scène internationale.

La différence, c'est qu'il n'y avait pas beaucoup de sympathie pour le régime de l’apartheid. Ce n'est pas le cas pour l'État d'Israël, qui bénéficie de beaucoup de soutien.

Et d’ailleurs, cela touche à une autre question : pourquoi les étudiants manifestent-ils et font-ils des campements plutôt que de faire du lobbying? Parce qu'ils n'ont pas de voix. Dans beaucoup d'universités, dont la mienne, il n’y a même pas un étudiant qui siège au conseil d’administration.

Quand ils ont demandé le désinvestissement, la réponse a été non. Une réponse plus démocratique aurait été de leur demander d’apporter des preuves, puis de voter là-dessus.

Les manifestations sont en fait l'expression de la mauvaise organisation des universités en matière de gouvernance et du fait qu'elles sont des lieux très peu démocratiques. Elles fonctionnent de plus en plus comme des entreprises, où les professeurs et les étudiants n’ont pas leur mot à dire.

Cette année, la Convention nationale démocrate aura lieu à Chicago, comme en 1968. Doit-on craindre un été d'émeutes et de violence, comme cela a été le cas il y a 56 ans?

Robert Cohen : Il pourrait y avoir des manifestations, mais elles n'auront jamais l’ampleur de celles de 1968. Ce qui est arrivé à Chicago a été un désastre pour les démocrates. Cela a donné l'impression que le pays devenait incontrôlable, ce qui a avantagé le candidat républicain, Richard Nixon, qui prônait la loi et l'ordre. Mais c’était en partie à cause des policiers de Chicago, qui ont réprimé les manifestations avec une grande violence.

Les étudiants qui manifestent aujourd’hui, à part quelques exceptions, ne sont pas violents; il n'y a pas de gens qui lancent des cocktails Molotov ni une branche militante comme celle qui est devenue le [mouvement terroriste] Weather Underground.

Une jeune manifestante qui porte un casque fait face à des policiers casqués et armés.

Une manifestante fait face à des policiers lors d'une manifestation contre la guerre du Vietnam devant le bâtiment où se déroule la Convention nationale démocrate à Chicago, en août 1968.

Photo : Getty Images / Hulton Archive

Ralph Young : Si la guerre à Gaza se poursuit jusqu’à la tenue de la convention, en août, il y aura certainement des manifestations dans les rues. Mais je ne pense pas que le Parti démocrate se divisera comme il l’a fait à propos du Vietnam en 1968.

Cela dit, l’administration Biden va devoir, d’une manière ou d’une autre, aider à négocier un cessez-le-feu bientôt. Plus la guerre se prolongera, plus elle risquera de nuire aux chances de réélection des démocrates.

J’ai des élèves qui me disent qu’ils ont voté pour Joe Biden en 2020, mais qu’ils ne voteront plus pour lui à cause de ce qui se passe maintenant. Cela ne veut pas dire qu’ils voteront pour Trump, mais ils ne voteront tout simplement pas ou bien ils voteront pour un candidat tiers.

Les propos ont été édités et abrégés par souci de clarté.

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