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AnalyseEt si le transport en commun était moins cher, voire gratuit?

Des autobus dans le stationnement du terminus du RTL au métro Longueuil-Université de Sherbrooke.

Le terminus du RTL au métro Longueuil-Université de Sherbrooke

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Difficile d'imaginer qu’on va jouer encore plusieurs années dans le mauvais téléroman des déficits qui ne font que grandir dans les agences de transport en commun. Québec ne peut pas éternellement éponger les déficits et les sociétés de transport ne peuvent pas se contraindre à réduire l’offre. Un changement de paradigme est absolument nécessaire.

Au 15 mars dernier, les déficits des sociétés de transport s’élevaient à 953 millions de dollars pour les services d’autobus (STM, RTL, STL, exo), à 216 millions de dollars pour le métro de Montréal, à 180 millions pour les services de train, à 89 millions pour le transport adapté et à 21 millions pour le Réseau express métropolitain (REM). La situation ne fait qu’empirer.

Les maires de la grande région de Montréal cherchent des solutions et évoquent la possibilité de devoir augmenter les taxes sur l'immatriculation et couper dans les services. Alors que se préparent les budgets des municipalités, un autre appel au secours est donc lancé au gouvernement du Québec pour éponger les déficits des sociétés.

Or, au lieu de se prêter à un autre affrontement public avec les maires et les mairesses, le gouvernement du Québec ne devrait-il pas mettre au rancart son approche comptable et opter pour une vision plus audacieuse du transport en commun?

Comprenez-moi bien : il faut être très exigeant en matière de gestion, de gouvernance et d’efficacité avec les sociétés de transport. Mais le gouvernement doit abaisser ses attentes de rentabilité. Le transport en commun ne peut pas être considéré comme un luxe ou un service d’appoint. C’est un service essentiel.

L'État doit donc faire du transport collectif une grande obsession pour assurer un service étendu et fréquent à une population qui compte sur le transport en commun pour se déplacer, notamment pour aller travailler. Et il doit en faire une véritable solution dans sa lutte contre les changements climatiques.

Chose certaine, ce serait une mauvaise idée de laisser les sociétés de transport réduire le service à la clientèle pour amoindrir les déficits. Certains suggèrent d'inclure une participation du secteur privé et d'abandonner les trajets les moins porteurs pour rentabiliser les sociétés de transport. Mais n'est-ce pas là une ligne directe vers la réduction du service? Moins de services, c’est moins d’utilisateurs. Et ce résultat serait un échec.

Non seulement il ne faut pas réduire le service, mais il faut l'augmenter, l’améliorer, le rendre attrayant, tant sur le plan de l'offre que sur celui de la qualité. Et peut-être le service doit-il être moins cher?

Beaucoup moins cher… voire gratuit?

Le transport en commun moins cher ou même gratuit, c’est une solution qui peut paraître extrême. Mais il faut s’intéresser à l’expérience tentée en Allemagne depuis deux ans. Ce pays européen n’a pas choisi la gratuité, mais a opté pour un modèle de réduction marquée des prix.

Il y a un an, l'Allemagne a lancé une offensive audacieuse pour tenter d'amener ses citoyens à utiliser davantage le transport en commun pour de courtes distances, par exemple pour se rendre au travail. Depuis le 1er mai 2023, pour 49 euros (72 $ CA) par mois, les utilisateurs peuvent se déplacer autant qu'ils le souhaitent à bord des autobus, des métros et des trains, dans toutes les municipalités du pays. Les trains locaux et régionaux sont inclus dans cette tarification fixe.

Comme l’agence Bloomberg l'expliquait dans un article publié le 29 avril 2023, la stratégie allemande indique que le transport public est devenu une composante d'une politique nationale et non plus seulement un service local. L'Allemagne a du mal à atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre et le pays a décidé de mettre en œuvre un plan pour tenter de renverser la vapeur.

Pour plusieurs Allemands, le coût moyen du transport en commun avoisinait les 200 euros (près de 300 $ CA) par mois avant l’annonce de la nouvelle mesure. C’est donc une baisse considérable.

Le gouvernement fédéral a annoncé un ajout annuel de 1,5 milliard d'euros (2,2 milliards $ CA) en financement pour le transport collectif, et 16 gouvernements régionaux du pays ont accepté de fournir des sommes équivalentes pour payer cette réduction de coûts.

La société de transport Deutsche Bahn prévoyait alors une croissance continue de la demande, y compris la fin de semaine, mais pas une hausse soudaine. Le transfert sera progressif, selon la société, alors que l’utilisation va grandir.

Un choix audacieux

Il faut de l’audace pour faire ça en Allemagne, alors que ce pays est reconnu comme l’un des plus grands fabricants d’automobiles dans le monde. C’est un choix politique qui demande une forme de courage, qui ne trouve pas, vraisemblablement, son équivalent dans un pays comme le Canada, qui souffle le chaud et le froid sur la question climatique, en tant qu'un des plus grands producteurs de pétrole du monde.

D'autres pays de l'Union européenne étudient le modèle allemand dans un contexte où la région vise la carboneutralité en 2050. Certains sont allés plus loin encore. Le Luxembourg est le premier pays à avoir choisi la gratuité pour ses transports collectifs, pour les résidents et les touristes. La mesure est en place depuis mars 2020.

Malte a aussi opté pour la quasi-gratuité en 2022 alors que des frais de 15 euros (22 $ CA) sont prélevés au moment de l'abonnement. Un service gratuit est aussi offert à Tallinn, la capitale de l'Estonie, et à Dunkerque, en France.

À l’été 2022, pour aider la population à faire face à la hausse du coût de la vie après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l'Allemagne a offert un tarif de 9 euros (13 $ CA) par mois, pendant trois mois, permettant ainsi aux voyageurs de se déplacer à bord des services de transport publics locaux et régionaux, sans limites. Il s'agissait d'une offre exceptionnelle, qui s’est soldée par une hausse de l'utilisation du transport en commun.

Les utilisateurs qui n'avaient pas de carte de transport avant l'offre à 9 euros ont grandement augmenté leur utilisation du transport en commun. On a constaté que la baisse des prix était un incitatif à faire la transition vers le transport public, mais que ce n'était pas suffisant pour arriver à une transition réussie en matière de mobilité durable. Il faut un service de qualité, fréquent et agréable à utiliser. Autrement, même à un faible coût, le résultat voulu ne sera pas atteint.

Au Québec, le Parti québécois (PQ), lors de la campagne électorale de 2022, a fait une proposition originale en suggérant la création d’une Passe Climat de 365 $ par année donnant un accès illimité à tous les transports en commun du Québec. Ce passeport aurait été gratuit pour les personnes âgées de 65 ans et plus. Je ne sais pas si le PQ va maintenir cette proposition à la campagne de 2026, mais le gouvernement Legault gagnerait à s’intéresser à cette idée.

Faire preuve de créativité

Le prix demeure un facteur important dans la décision de choisir le transport en commun et la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, pourrait faire sa marque en lançant un chantier ambitieux en matière de transport collectif.

Tout est à faire. On en parlait en décembre : le gouvernement Legault n’arrive pas à mettre en oeuvre des projets structurants en matière de transport. La transition est pourtant urgente. Le transport représente 43 % de nos émissions de gaz à effet de serre.

Québec doit choisir de placer le transport collectif en priorité. Un message clair de cette stratégie pourrait être lancé en revoyant les structures de la gestion du transport dans la grande région de Montréal, en revoyant aussi la tarification et en identifiant de nouvelles sources de revenus, dans l’objectif de maintenir et d’améliorer le service.

L’Alliance pour le financement des transports collectifs au Québec proposait en février dernier d’indexer les taxes provinciales sur les carburants et l’immatriculation, ce qui pourrait rapporter, selon ses estimations, près de 700 millions de dollars.

Le regroupement proposait aussi d’augmenter les revenus du marché du carbone consacrés au transport collectif en mettant fin au rabais sur l’achat d’un véhicule électrique, un gain potentiel de près de 200 millions de dollars. L’idée est intéressante, d’autant plus que le gouvernement du Québec a décidé, justement, de mettre fin progressivement à ce rabais d’ici 2027.

La proposition de remplacer la taxe sur le carburant par un système de tarification kilométrique ou de péages pourrait rapporter des sommes supplémentaires. Le gouvernement Legault n’a pas montré beaucoup d’intérêt, toutefois, pour ce type de proposition.

L’administratrice Christiane Bergevin a évoqué, lundi soir à Zone économie, la possibilité que les employeurs contribuent à une partie du financement collectif. Elle s’inspire de l’exemple de la grande région parisienne, où 48 % du financement des transports en commun vient des employeurs.

Sur le site d'Île-de-France Mobilités, on précise que les employeurs font un versement mobilité, une contribution destinée à financer les transports et la mobilité. De plus, les employeurs sont dans l’obligation de rembourser à hauteur de 50 % les titres de transport de leurs salariés et peuvent aller jusqu'à 75 %.

Une étude de l’Université Laval publiée en 2021 concluait que, pour chaque dollar payé par un individu, la collectivité paie l’équivalent de 5,77 $ lors d’un déplacement réalisé en automobile et de 1,31 $ lors d’un déplacement en autobus. Autrement dit, en tenant compte des coûts sociaux, ceux qui sont associés à la congestion, à la pollution, à la perte de productivité, aux effets sur la santé et à d’autres facteurs, le coût collectif de l’utilisation de l’automobile est plus élevé que celui lié à l’utilisation du transport collectif.

À n’en pas douter, une nouvelle approche, plus fondamentale, pourrait nous mener à des décisions plus ambitieuses et plus audacieuses pour le Québec.

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