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L’intelligence artificielle à la rescousse du système de paye fédéral

Illustration d'employés utilisant l'intelligence artificielle.

L'IA pour régler les problèmes de paye de la fonction publique? Les explications d'Estelle Côté-Sroka

Photo : iStock / elenabs

Le gouvernement fédéral mise sur l’intelligence artificielle pour régler des centaines de milliers de problèmes de paye du système Phénix et pour développer son prochain outil de rémunération. Ce projet titanesque, qui comporte bien des risques, selon des syndicats, est toutefois loin de voir le jour.

Ottawa espère pouvoir compter sur l’intelligence artificielle pour accroître la productivité des agents de rémunération qui règlent les problèmes de paye. Le premier volet d’un projet pilote réalisé cet hiver a donné des résultats positifs, affirme la porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), Michèle LaRose.

L’intelligence artificielle doit fournir des conseils pas à pas en temps réel [aux agents de rémunération], répondre à [leurs] questions et effectuer des calculs d’après l’information qui figure dans les conventions collectives. Ultimement, certains aspects de leur travail pourraient être automatisés.

Cette technologie doit d’ailleurs assurer une partie du fonctionnement du futur système de rémunération qui remplacera Phénix. Le nouveau logiciel sera aussi responsable de la gestion des ressources humaines des fonctionnaires en centralisant leurs données, actuellement réparties dans 32 logiciels distincts.

Phénix : un système de paye qui bat de l’aile

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La feuille d'érable du drapeau canadien avec, en fond, une calculatrice, un stylo et des formulaires de comptabilité.

Des problèmes de paye qui perdurent

Pendant ce temps, des milliers de fonctionnaires et retraités, comme Isabelle Guilbault, souffrent toujours des ratés du système de paye Phénix. Son calvaire a commencé à l’automne 2022, lors d’un retour progressif au travail après un congé maladie.

Elle affirme ne pas avoir eu de salaire pendant environ un mois et demi. J’étais en colère, je ne pouvais pas gérer ces émotions-là, mon médecin m’a remise en arrêt de travail, témoigne-t-elle.

Quelques mois plus tard, elle allait entamer un autre retour progressif, mais elle a plutôt décidé d’écouler des congés jusqu’à sa retraite, car elle craignait de ne pas être payée pendant cette période.

J’ai eu un stress tellement intense [à l’idée de] revivre ce que j’avais vécu, c’était impensable de repasser à travers.

Une citation de Isabelle Guilbault, fonctionnaire à la retraite

Après 35 ans de service au gouvernement fédéral, Isabelle Guilbault dit devoir vivre un deuil, car ce n’est pas ainsi qu’elle envisageait sa fin de carrière. J’aurais aimé travailler avec mes collègues jusqu’à la toute fin.

Elle déplore avoir terminé sa vie professionnelle avec une amertume. Ses problèmes de paye lui ont fait vivre toutes sortes d’émotions. C’est sans compter l’insomnie et la fatigue.

Une femme prend des notes en regardant son téléphone.

Isabelle Guilbault a commencé à avoir des problèmes de paye lors d’un retour de congé de maladie. Elle est présentement à la retraite et attend encore le paiement de son indemnité de départ, qu’elle estime à environ 40 000 $.

Photo : Radio-Canada / Antoine Sirois

Et Mme Guilbault n’est pas au bout de ses peines. Malgré plusieurs suivis, il lui est impossible de savoir quand elle pourra finalement obtenir son indemnité de départ qu’elle estime à plus de 40 000 $. Je n’ai aucune information, c’est ça qui est aberrant.

C’est une somme sur laquelle elle comptait pour concrétiser un de ses projets de retraite : construire une maison au cœur des Laurentides avec son conjoint. En attendant, tout est lent et les travaux s’étirent. Isabelle Guilbault a hâte de pouvoir passer à autre chose pour pouvoir vivre sa retraite pleinement.

Mais le gouvernement s’emploie actuellement à traiter en priorité plus de 600 indemnités de départ datées de 2021 ou avant pour le printemps 2024, indique la porte-parole de SPAC, Michèle LaRose.

Le Centre des services de paye prévoit ensuite traiter plus de 700 indemnités de départ datées de 2022 et de 2023 [...] au cours du présent exercice financier.

Un nouveau système encore loin d’être parfait

C’est la firme Ceridian qui s’est qualifiée pour mettre à l’essai son système Dayforce visant à remplacer Phénix, qui connaît encore de nombreux ratés.

En 2021, le gouvernement a signé un contrat pour effectuer des tests dans certains ministères. Il n’en demeure pas moins que 5 % des essais sont toujours non concluants, selon un rapport dévoilé cet hiver.

Certaines des lacunes considérées comme complexes pourraient être réglées en simplifiant des politiques ou l’application des conventions collectives. Or, les changements proposés ne sont pas uniquement sous le contrôle du gouvernement [...], l’accord des 17 agents négociateurs est nécessaire, souligne le rapport du gouvernement.

Le gouvernement juge que le système est viable. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il sera mis en œuvre. D’autres tests seront nécessaires, car les essais ont été limités aux fonctions les plus cruciales pour la paye.

Ottawa doit décider au cours du printemps s’il va de l’avant avec ce logiciel. C’est à ce moment qu’une estimation des délais et des coûts totaux sera connue.

Le gouvernement a déjà dépensé 154 millions de dollars pour évaluer ses options de remplacement au système de paye Phénix.

Un projet risqué… sans divorce possible

Le futur système de paye, qui assurera aussi la gestion des ressources humaines, devrait fonctionner grâce à l’infonuagique, comme celui du gouvernement ontarien. Les données des fonctionnaires seraient alors stockées dans un nuage informatique, à l'extérieur des bases de données du gouvernement.

Pour Louis Martin, professeur associé au Département d’informatique à l’Université du Québec à Montréal, cette technologie comporte un élément de risque important. En transférant les informations de ses employés dans un tel environnement, le gouvernement deviendrait dépendant du privé.

Il est à peu près impossible de divorcer après.

Une citation de Louis Martin, professeur associé au Département d’informatique à l’Université du Québec à Montréal

La décision que prendra Ottawa sur l’avenir du système de paye sera aussi stratégique que politique, croit M. Martin. S’il va de l’avant, le gouvernement devra assumer la perte d’une importante expertise en informatique. Et les sommes qui devront être investies pour mener à terme ce projet seront substantielles, selon lui.

Un immeuble de la fonction publique.

Le gouvernement a déjà dépensé 154 M$ pour évaluer ses options de remplacement au système de paye Phénix. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Christian Patry

La période [de mise en œuvre] va demander un surplus encore de travail à tout le monde, ajoute ce spécialiste des systèmes informatiques. Le gouvernement prévoit d’ailleurs régler les problèmes de paye des employés avant de transférer leurs dossiers dans le nouveau système. Selon les dernières données disponibles, on compte 430 000 problèmes en attente.

Vu l’ampleur du projet, de sa complexité et des risques, Louis Martin croit que le gouvernement doit faire preuve de prudence dans son analyse.

Idéalement, il faudra attendre après la prochaine élection avant de [prendre une décision] pour pouvoir faire porter le chapeau à ceux qui vont arriver en poste [...]. Moi, c’est ce que je leur recommanderais, lance-t-il.

Les syndicats dénoncent l’approche du gouvernement

Les principaux syndicats de fonctionnaires sont d’avis que le gouvernement fédéral pourrait développer lui-même son futur système de paye en misant sur l’expertise de ses employés.

On n’est pas à l'abri que cette compagnie-là puisse être rachetée par une compagnie américaine ou une compagnie chinoise, tonne le vice-président exécutif régional de l’Alliance de la fonction publique du Canada pour le Québec (AFPC), Yvon Barrière.

Ça me rend nerveuse de savoir qu’ils vont contrôler ces données, que nous allons dépendre d’eux pour quelque chose d’aussi fondamental, ajoute la présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), Jennifer Carr.

Une personne devant des drapeaux.

Jennifer Carr, présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Photo : Radio-Canada / Estelle Côté-Sroka

Les deux plus gros syndicats fédéraux déplorent par ailleurs le manque de communication du gouvernement quant aux tests menés avec ce qui pourrait devenir le prochain système de paye des fonctionnaires.

Ils auraient, par exemple, souhaité être informés directement que les conventions collectives risquent de devoir être modifiées, avec leur accord, pour assurer le fonctionnement du futur système.

Mon inquiétude, c’est que quand ils vont dire qu’ils sont prêts à aller de l’avant, ils vont dire que ce sont les syndicats qui occasionnent des délais.

Une citation de Jennifer Carr, présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

En observant la vitesse à laquelle les problèmes de paye actuels sont réglés, Jennifer Carr doute néanmoins que le futur système soit déployé rapidement.

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