Problèmes avec Phénix et Canada Vie : des fonctionnaires fédéraux à bout de nerfs
Jean-Philippe Dumas tente de régler un problème de paye lié au système Phénix depuis plus d’un an. Il estime que ce délai n’est pas normal.
Photo : Radio-Canada / Nick Persaud
Les problèmes persistants avec le système de paye Phénix, combinés à ceux liés à l’arrivée du nouvel assureur des fonctionnaires fédéraux, Canada Vie, poussent des employés à quitter leur emploi ou à y songer sérieusement, une situation qui préoccupe l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC).
Tout est extrêmement compliqué avec ces deux mammouths qui ont été modifiés dans les dernières années
, résume Jean-Philippe Dumas, un électricien qui travaille pour la Défense nationale depuis 2015.
Depuis janvier 2023, il tente de régler un problème de paye. Plusieurs retenues ne sont plus effectuées sur son salaire, comme celle de l’assurance invalidité.
Jean-Philippe Dumas évalue qu’il doit environ 4000 $ à son employeur. Mais c’est peut-être plus, peut-être moins, je ne peux pas le calculer parfaitement parce que même le système de paye ne sait pas à combien je suis rendu
, explique-t-il.
C’est surtout éreintant.
Jean-Philippe Dumas documente ses problèmes de manière assidue. Il effectue des suivis serrés, mais son dossier n’a pas encore été pris en charge par le centre de paye du gouvernement.
M. Dumas se dit désespéré
et écœuré
, car ce n’est pas la première fois qu’il vit de tels problèmes. Et sa conjointe, elle aussi fonctionnaire fédérale, est dans le même bateau.
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Selon les dernières données disponibles, il y a actuellement 430 000 transactions de paye problématiques en attente de traitement, dont la moitié depuis plus d’un an.
Atteindre le point de rupture
Depuis juillet, le couple doit aussi composer avec des problèmes de remboursement de médicaments liés à l’arrivée du nouvel administrateur du régime d’assurance des fonctionnaires fédéraux, Canada Vie. Tout est une question de délais avec la Canada Vie, disons que le service à la clientèle a un peu de misère
, relate M. Dumas.
La Canada Vie, c’est comme un autre clou dans le cercueil.
Jean-Philippe Dumas a deux enfants, dont un fils de cinq ans atteint de la fibrose kystique. Celui-ci a besoin de plusieurs médicaments, dont un qui coûte des milliers de dollars. M. Dumas craint qu’un jour, des retards avec Canada Vie l’empêchent de les administrer à temps à son fils.
Atteint de la fibrose kystique, le fils de Jean-Philippe Dumas doit prendre de nombreux médicaments chaque jour.
Photo : Radio-Canada / Nick Persaud
Quand la motivation n’est plus là
Jean-Philippe Dumas confie que le système de paye, en plus des problèmes d’assurance, c’est un peu démotivant
.
En ce moment, ça ne me tente plus vraiment de travailler pour [le gouvernement].
Le fonctionnaire ne se gêne pas pour mentionner qu'il est en grosse réflexion
par rapport à son avenir professionnel.
Je ne me sens pas vraiment respecté par le fédéral.
Jean-Philippe Dumas déplore que le gouvernement ait enlevé le côté humain de sa fonction publique
. Il aimerait tant pouvoir parler à un agent de rémunération pour mettre fin à ses problèmes de paye. Avec le temps, c’est venu me peser
, dit le fonctionnaire.
Jean-Philippe Dumas aime son emploi comme électricien pour la Défense nationale. Sa motivation est cependant affectée par les problèmes qu’il connaît avec le système de paye Phénix et le fournisseur d’assurance, Canada Vie.
Photo : Gracieuseté Jean-Philippe Dumas
C’est pourquoi il a décidé de prendre un congé sans solde pour explorer d’autres avenues. J’essaye un autre employeur et jusqu’à présent, j’ai beaucoup plus de plaisir
, mentionne-t-il. De plus, dans son nouvel emploi, les problèmes — s’il y en a — ça se règle en personne
.
Plusieurs départs, selon un syndicat
Les ratés du système de paye et du nouvel administrateur d’assurance constituent un problème pour la rétention du personnel [et] pour l’embauche
de nouveaux employés, observe le vice-président exécutif régional de l’AFPC pour le Québec, Yvon Barrière.
Le syndicaliste signale que plusieurs fonctionnaires lui ont confié avoir quitté leur emploi au gouvernement fédéral pour ces raisons. Il déplore que le gouvernement ne prenne pas ces questions au sérieux.
Pour un employeur, cette situation devrait être inquiétante, analyse Jacques Forest, psychologue et professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Auteur d’un livre sur la motivation au travail, M. Forest note que l’injustice ressentie au travail — comme celle de ne pas être payé correctement — est un facteur de démotivation.
Un vecteur d’injustice qui se maintient peut amener les gens à vouloir quitter [un emploi] pour aller chercher un milieu où la justice régnerait.
C’est comme la climatisation : quand on entre dans une pièce et on est confortable, on n’y pense pas, mais s’il fait trop chaud ou trop froid, on va constamment y penser [et] ce sont des éléments qui nous amènent constamment à ruminer, à y penser, ce qui peut amener des gens à vouloir quitter un tel milieu
, explique M. Forest.
Le spécialiste en gestion des ressources humaines estime qu’il est très positif que les fonctionnaires dénoncent ces ratés. Toutefois, dit-il, si tout le monde s’exprime sur les mêmes éléments et que rien n’est fait, c’est là que ça peut créer une usure
.
Pour regagner la confiance de ses employés, le professeur de l’UQAM croit que le gouvernement n’a nul autre choix que de mettre fin aux problèmes relatifs aux systèmes de paye et d’assurance.
Le gouvernement cherche à améliorer la situation
Le bureau de la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, assure que les fonctionnaires méritent un système de paye fiable, ainsi qu’un accès adéquat à un régime d’assurance.
Anita Anand, la présidente du Conseil du Trésor du Canada (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Par courriel, l’attaché de presse de la ministre, Ronny Al-Nosir, indique que le gouvernement continue de travailler quotidiennement pour améliorer le régime de soins de santé des fonctionnaires, stabiliser les opérations de paye actuelles et travailler sur l’implantation d’un nouveau système de paye
.
Notre objectif reste d’assurer que la prestation de services, autant au niveau de la paye que des soins de santé, réponde aux attentes des employés de la fonction publique.
Le bureau de la ministre souligne d’ailleurs que les délais de traitement des demandes de remboursement auprès de Canada Vie se sont améliorés dans les derniers mois.