•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Grossesse et médication : un manque de connaissances à combler

Par précaution, les femmes enceintes sont presque toujours écartées des études qui testent les médicaments avant leur mise en marché. Par conséquent, il existe peu de données sur l’effet des produits pharmaceutiques pris pendant la grossesse. Un vide que des chercheuses de Montréal s’affairent à colmater.

Une femme étendue sur un canapé regarde une image échographique.

On connaît bien peu les effets que peut avoir la prise de médicaments sur les femmes enceintes et leurs bébés.

Photo : iStock

« J’aurais voulu que ce soit plus définitif comme réponse, parce que là, c’était très gris » : c’est ainsi que Marie-Philippe Busque résume la décision qu’elle a eu à prendre au moment de fonder une famille.

La trentenaire de Boucherville, en Montérégie, a reçu un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention (TDA) pendant ses études supérieures. Le médicament qu’elle prenait pour traiter son TDA, le méthylphénidate, lui facilitait beaucoup la vie. Mais quand elle a voulu avoir des enfants, elle s’est rendu compte que peu d’informations étaient disponibles sur les effets potentiels de son traitement sur le fœtus.

Les données étaient vraiment insuffisantes, regrette-t-elle. Il y avait des études qui disaient que c'était correct [de continuer à le prendre pendant la grossesse], mais il y avait des risques minimes de malformation cardiaque. J'ai préféré ne pas prendre de chance.

Dans le doute, elle a choisi d’arrêter son traitement le temps de sa grossesse et pendant l’allaitement de son bébé. Mais sa décision n’a pas été sans conséquences.

Tout est plus difficile, tout est plus fatigant. En plus du manque de sommeil, parce que j'ai un jeune bébé, j'ai cette fatigue additionnelle causée par le fait que je ne prends pas ma médication. Donc, je suis encore plus fatiguée et c'est sûr que ça me met un petit peu plus à risque et fragile côté santé mentale, constate-t-elle, alors que son petit Louis semble en pleine forme, du haut de ses huit mois.

Marie-Philippe Busque tient son enfant dans ses bras.

Marie-Philippe Busque a préféré cesser sa médication pendant sa grossesse, et elle en a subi les conséquences.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

Professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, Anick Bérard connaît bien ces décisions difficiles, basées sur des données insuffisantes. Depuis près de 20 ans, l’épidémiologiste se spécialise dans l’étude des effets des médicaments pris pendant la grossesse et l’allaitement.

Avant qu’un médicament soit approuvé par Santé Canada, le fabricant doit faire des essais cliniques. Or, dans ces essais, les femmes enceintes sont systématiquement exclues.

Une citation de Anick Bérard, professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chercheuse au CHU Sainte-Justine

On veut les protéger, elles et leurs bébés. Ceci étant dit, en faisant ça, on ne protège personne, estime Mme Bérard. D’un côté, fait-elle valoir, des femmes prennent des médicaments pendant qu’elles sont enceintes, volontairement ou non – avant de savoir qu’elles sont enceintes, par exemple. De l’autre, renoncer à des traitements par prudence peut les priver de leurs effets bénéfiques.

La grossesse n’est pas une maladie, mais être enceinte n’empêche pas d’être malade. Au Québec, 75 % des femmes enceintes vont prendre un médicament à un moment donné durant leur grossesse, souligne Mme Bérard.

Or, on sait que pendant la grossesse, on peut métaboliser le médicament différemment, l'éliminer différemment, y répondre différemment, signale la Dre Ema Ferreira, pharmacienne au CHU Sainte-Justine, qui collabore aux travaux d’Anick Bérard.

Ema Ferreira en entrevue.

Pharmacienne au CHU Sainte-Justine, la Dre Ema Ferreira collabore aux travaux d’Anick Bérard.

Photo : Radio-Canada / Hélène Morin

Dans sa pratique, Mme Ferreira traite des femmes enceintes hospitalisées pour diverses raisons, par exemple des infections, mais aussi certaines qui planifient une grossesse alors qu’elles prennent une médication complexe.

C'est toujours un équilibre parce que la santé de la mère est importante. La santé du bébé aussi, c'est sûr. Et il faut trouver quelque chose entre les deux, où la mère va être le mieux possible, parce que chez une mère bien traitée, la grossesse va mieux se passer, résume-t-elle.

Un exemple utilisé par les chercheuses : l’épilepsie. Presque tous les médicaments antiépileptiques peuvent provoquer des mutations chez le fœtus, souligne Anick Bérard.

Portrait d'Anick Bérard.

Professeure à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chercheuse au CHU Sainte-Justine, l’épidémiologiste Anick Bérard s'intéresse de près aux effets de la prise de médicaments pendant la grossesse et l’allaitement.

Photo : Radio-Canada / Hélène Morin

Pourtant, indique-t-elle, les données qu’on a jusqu'à maintenant démontrent que l'épilepsie doit absolument être traitée durant la grossesse parce que les crises sont plus délétères que le médicament. [...] L'option n'est pas de traiter ou de ne pas traiter. Quoiqu’il y a des femmes enceintes épileptiques qui ne prennent aucun médicament. On le voit. Mais l'option devrait être : quel médicament utiliser, quel médicament est le moins pire?

Des données brutes déjà colligées

Afin de bonifier les connaissances sur lesquelles baser ces décisions délicates, Anick Bérard et son équipe mènent des études dites observationnelles.

Dans de grandes banques de données, comme celle de la Régie de l’assurance maladie du Québec ou des dossiers hospitaliers, les chercheurs retracent des femmes enceintes qui ont été exposées à divers produits pharmaceutiques pour en cerner les effets encore méconnus.

Ce sont par exemple des femmes qui prennent un médicament pour traiter un asthme, une dépression ou encore une épilepsie, et là, tout d'un coup, à cinq ou six semaines d'âge gestationnel, elles se rendent compte qu'elles sont enceintes, illustre Mme Bérard. C'est ce qu'on appelle une exposition par inadvertance. Elles n’ont pas voulu prendre le médicament durant la grossesse, mais elles l'ont pris.

Les résultats de ces travaux mettent en lumière des risques accrus de malformations ou de complications de grossesse associées à certains médicaments, comme des antidépresseurs ou des antifongiques, alors que dans d’autres cas, pour certains antibiotiques, par exemple, les données sont, au contraire, plutôt rassurantes.

En plus d’informer les soignants et leurs patientes, ces données alimentent le guide Grossesse et allaitement, dont Ema Ferreira prépare la troisième édition. Co-écrite avec ses collègues pharmaciennes Caroline Morin et Brigitte Martin, cette « bible » de 1000 pages est LA référence du Centre IMAGe du CHU Sainte-Justine.

Brigitte Martin est la responsable de ce service téléphonique qui répond depuis plus de 25 ans aux interrogations des professionnels de la santé à propos des traitements à proposer à leurs patientes enceintes ou allaitantes.

On reçoit environ 5000 demandes par année, précise Mme Martin, qui constate qu’au fil du temps, les questions des soignants sont devenues plus pointues, sans doute parce que les informations sur les médicaments et la grossesse, quoique manquantes, ont explosé depuis 15 ans. Avant, notre travail, c’était d’aller rechercher de l’information qui était difficile à trouver, maintenant, c’est plutôt de prendre cette information et d’en faire une synthèse cohérente.

Néanmoins, si les informations s’accumulent pour certains médicaments, de nouvelles approches thérapeutiques suscitent constamment de nouveaux questionnements pour les soignants, observe-t-elle, citant notamment les traitements contre le TDA ou ceux contre l’obésité.

Raison de plus pour continuer à réclamer plus d’études chez les femmes enceintes, notamment auprès des entreprises pharmaceutiques. C’est le mantra des gens dans le domaine : protéger les femmes enceintes PAR la recherche et non pas DE la recherche, dit Brigitte Martin.

À ce sujet, Anick Bérard se veut optimiste. Les compagnies pharmaceutiques voient bien que leurs médicaments sont utilisés chez la femme enceinte. Alors, de plus en plus, elles veulent participer à la recherche [...]. Ça va prendre du temps, mais je pense que c'est en changement.

Une femme porte un bébé.

Le reportage de Gaëlle Lussiaà-Berdou et Hélène Morin, présenté à « Découverte »

Photo : Découverte

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.