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Québec admet avoir voulu éviter l’examen du BAPE à Northvolt

« Le Québec ne disposait pas d'une réglementation pour favoriser l'implantation d'une filière batterie », affirme le ministre de l'Environnement Benoit Charette.

Benoit Charette.

Le ministre québécois de l'Environnement, Benoit Charette

Photo : La Presse canadienne / Francis Vachon

Pour la toute première fois, le ministre de l'Environnement Benoit Charette avoue avoir délibérément aidé Northvolt à éviter l'examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) par crainte de perdre le projet. L'entreprise contredit, elle aussi, ses déclarations passées et reconnaît avoir essayé d'y échapper.

Depuis plus de six mois, le gouvernement Legault nie sur toutes les tribunes avoir permis au mégaprojet de batteries de bénéficier d'un processus d'autorisation accéléré.

On nous accuse d'avoir changé les règles pour que Northvolt puisse éviter un BAPE, ce qui est faux, se défendait le ministre de l'Économie, le 27 février, en critiquant le travail des médias.

La ligne de communication vient de changer. Le gouvernement affirme, maintenant, que le projet ne se serait pas réalisé ici, s'il avait fallu le soumettre à l'examen du BAPE.

Si on n’avait pas pu donner de réponse à l’entreprise, que ce soit Northvolt ou une autre, avant 18 ou 24 mois, c’est certain que ces entreprises auraient retenu un autre lieu pour s’implanter.

Une citation de Benoit Charette, ministre de l'Environnement du Québec, en entrevue avec Radio-Canada.

La filière batterie

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Un bras robotisé sur une chaîne de production de batteries électrique.

Dans une déclaration écrite, publiée mercredi, l'entreprise suédoise confirme des informations d'abord rapportées par La Presse et admet avoir demandé à Québec de relever un seuil qui aurait eu pour effet d'assujettir une partie de son complexe industriel à l'examen du BAPE.

En février 2023, le gouvernement voulait établir des règles d'assujettissement spécifiques à la filière batterie. Pour les usines d'assemblage, Québec avait choisi un seuil à 30 gigawattheures (GWh). Or, 30 GWh, c'est exactement la capacité de l'usine de Northvolt.

Nous proposons d’amender le seuil capacitaire de production de batteries à une valeur égale ou supérieure à 40 GWh sortie usine, écrivait Northvolt dans son message au gouvernement, qu'elle a rendu public.

Finalement, Québec a retiré le changement proposé et aucun seuil d'assujettissement n'apparaît dans la version finale du règlement, publiée en juillet dernier.

Des hommes politiques et des hommes d'affaires autour d'une batterie.

L’annonce en grande pompe du projet de l’usine de l'entreprise suédoise Northvolt a eu lieu le 28 septembre 2023.

Photo : La Presse canadienne / Christinne Muschi

« Aucun traitement de faveur, aucun passe-droit »

Je n’ai jamais dit que nous avons aidé l’entreprise à éviter un BAPE, affirme le ministre Charette, à Radio-Canada. C’est que le Québec ne disposait pas d'une réglementation pour favoriser l'implantation d'une filière batterie. C’est ce que nous avons développé au cours de la dernière année.

L’élément central, c’est cette course à l’échelle mondiale, autant au niveau de la décarbonation, qu’au niveau de l’implantation de ces projets, explique-t-il.

Jamais le gouvernement n'avait reconnu aussi clairement que la nécessité d'aller vite avait joué un rôle dans le changement de règles pour la filière batterie.

Depuis le début des discussions avec les gouvernements, nous avons été transparents et clairs à propos de l’échéancier serré du projet et les conditions de succès liées à notre implantation au Québec.

Une citation de Laurent Therrien, directeur des affaires publiques de Northvolt en Amérique du Nord

Nous avons des contraintes contractuelles, qui nous demandent de livrer les premières cellules en 2026, explique l'entreprise.

Northvolt s'était inscrite au registre des lobbyistes au mois de mai 2023. Le 31 mai, le ministre Benoit Charette a rencontré des représentants de la compagnie suédoise, sans que l'entretien n'apparaisse à son agenda public.

Représentation de la future usine de Northvolt en Montérégie, sur le site de la compagnie.

Le complexe industriel de Northvolt en Montérégie sera composé de trois usines : une de fabrication de matériaux de batteries, une d'assemblage et une de recyclage.

Photo : Northvolt

Une controverse qui dure depuis six mois

Dès le 29 septembre, au lendemain de l'annonce du plus gros projet manufacturier de l'histoire du Québec, Radio-Canada révélait que le seuil pour déclencher un examen du BAPE applicable à la fabrication de batteries venait de passer de 50 000 à 60 000 tonnes, alors que la giga-usine en produira 56 000 tonnes.

Selon nos sources, à l'époque, le fabricant suédois de batteries avait fait pression sur le gouvernement pour que la réglementation lui soit plus favorable, mais l'entreprise et Québec avaient nié.

Dans son mandat inscrit au registre des lobbyistes, on lisait pourtant que Northvolt voulait identifier les soutiens commerciaux et réglementaires potentiels qui lui permettraient de s'installer dans la province.

Northvolt n’a pas fait de démarche d’influence ni demandé ou exigé que cette modification soit apportée.

Une citation de Déclaration écrite de Northvolt, publiée mercredi.
Paolo Cerruti, vêtu d'un manteau jaune arborant le logo de Northvolt, devant une pile d'arbres coupés sur le chantier.

Le cofondateur et PDG de Northvolt en Amérique du Nord, Paolo Cerruti, sur le chantier de la future usine de batteries.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Des déclarations du PDG contredites

Le mois dernier, en entrevue avec Radio-Canada (Nouvelle fenêtre), le PDG de Northvolt pour l'Amérique du Nord, Paolo Cerruti, avait affirmé à propos du changement au règlement pour déclencher un BAPE : Nous n'y sommes pour rien, nous en avons pris connaissance après.

Il disait aussi, dans une entrevue à La Presse, que les modifications étaient survenues avant [les] tout premiers échanges avec Québec.

Rappel chronologique

  • Automne 2022 : premiers contacts entre Northvolt et le gouvernement du Québec.
  • 6 février 2023 : Déjeuner entre Pierre Fitzgibbon et Paolo Cerruti. Les deux hommes affirment ne pas avoir discuté du BAPE lors de la rencontre.
  • 22 février 2023 : Le gouvernement propose de nouvelles règles d'assujettissement aux BAPE pour l'industrie de la batterie.
  • 31 mai 2023 : Benoit Charette rencontre des représentants de Northvolt.
  • 5 juillet 2023 : La nouvelle réglementation entre en vigueur et permet à Northvolt d'éviter le BAPE pour deux de ses trois usines.
  • 28 septembre 2023 : Annonce du projet au grand public.

Paolo Cerruti avait eu des propos au Téléjournal de Patrice Roy (Nouvelle fenêtre) qui prennent, maintenant, tout leur sens : Il y a un cadre réglementaire dans lequel on s'insère. Ce cadre réglementaire a été créé par le gouvernement du Québec, conscient de cette course contre le temps.

On est dans cette course nous-mêmes, réitère aujourd'hui le ministre Charette, dans La Presse. Je suis à six ans de devoir livrer des objectifs extrêmement ambitieux en termes de réduction des gaz à effet de serre (GES). L'électrification des automobiles, à laquelle participe Northvolt, contribue à l'atteinte de cette cible, explique-t-il.

Les deux ministres en mêlée de presse.

Les ministres de l'Économie et de l'Environnement, Pierre Fitzgibbon et Benoit Charette, le 16 novembre 2023

Photo : Radio-Canada

Trois usines dans le projet de Northvolt, trois règles par rapport au BAPE

  • Usine de fabrication de cathodes (56 000 tonnes annuelles) : a échappé au BAPE grâce au seuil passé de 50 000 à 60 000 tonnes;
  • Usine d'assemblage de batteries (30 GWh) : a échappé au BAPE grâce au retrait de l'article qui projetait d'assujettir une usine de 30 GWh et plus;
  • Usine de recyclage de batteries : soumise à l'examen du BAPE.

Le BAPE ne traite pas que des enjeux liés à la nature. Il étudie aussi l'impact d'un projet sur l'achalandage du réseau de transport, le logement, les services sociaux...

Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de BAPE qu’il n’y a pas d’évaluation environnementale, explique le ministre de l'Environnement.

Pour permettre à l'entreprise de commencer rapidement la construction, sans attendre d'étudier l'ensemble du projet, l'analyse environnementale a été morcelée en plusieurs autorisations, une pratique inhabituelle, selon un fonctionnaire et un ancien fonctionnaire à l'Environnement consultés par Radio-Canada.

Le terrain de Northvolt mesure 171 hectares et est situé à cheval entre McMasterville et Saint-Basile-le-Grand.

Le terrain de Northvolt mesure 171 hectares et est situé à cheval entre McMasterville et Saint-Basile-le-Grand.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pour le moment, seule la préparation du terrain a été étudiée et approuvée, avec le remblaiement de 14 hectares de milieux humides et l'abattage de milliers d'arbres. L'autorisation de la construction de l'usine est à l'étude, mais n'a pas encore été approuvée.

Aucune demande n'a encore été déposée par l'entreprise suédoise concernant l'exploitation des usines, les rejets de contaminants, les prélèvements d'eau ou la gestion des matières dangereuses. Par conséquent, le ministère de l'Environnement manque d'informations pour répondre aux préoccupations des citoyens.

Un BAPE dure-t-il vraiment 18 mois?

L'étude du projet de GNL Québec par le BAPE avait duré 6 mois*. Dans le cas de Northvolt, selon l'ancien vice-président du BAPE Louis-Gilles Francoeur, un processus accéléré aurait pu être mené en 7 mois.

En entrevue avec Radio-Canada, le ministre de l'Environnement a expliqué vouloir rendre le BAPE plus efficace, mais pas pour assouplir. Il annonce vouloir se pencher sur la façon de tenir un BAPE, car la période est problématique.

*Dans une première version de ce texte, il était écrit que le BAPE pour GNL Québec avait duré 11 mois. Nous avions commencé à calculer à partir du moment où le ministre avait mandaté le BAPE, mais les travaux du BAPE avaient débuté 5 mois plus tard.

Durant des mois, des fonctionnaires du ministère de l'Environnement ont été spécialement mobilisés pour accompagner Northvolt et l'aider à recevoir son autorisation le plus vite possible.

L'entreprise était tellement convaincue d'obtenir le premier feu vert en un temps record qu'elle avait planifié le début de ses travaux un mois après avoir déposé sa demande d'autorisation, alors que le délai dans la région pour obtenir le droit de détruire des milieux humides est de 15 mois.

La première autorisation, finalement accordée en quatre mois, est contestée devant les tribunaux.

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