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2024, la démocratie à l’épreuve des urnes

Triomphante il y a 20 ans, la démocratie vit des heures troubles. Saura-t-elle, malgré tout, tirer son épingle du jeu lors des différents scrutins qui l’attendent, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde?

Des gens agitent des drapeaux.

Des partisans du Kuomintang brandissent des drapeaux de Taïwan lors d’un rassemblement électoral, à Keelung, le 4 janvier 2024.

Photo : Getty Images / I-HWA CHENG

De Taïwan aux États-Unis, en passant par le Mexique et l’Inde, des élections aux enjeux différents prévues cette année pointent toutes vers le même défi : sauvegarder la légitimité d’un régime politique malmené, alors que l’autocratie séduit un nombre croissant de peuples.

L’élection qui tiendra le monde en haleine cette année est celle qui aura lieu aux États-Unis en novembre. Ce scrutin sera déterminant pour les États-Unis, mais aussi pour l’ensemble de la planète. Il décidera de la suite de la guerre en Ukraine tout comme des relations de Moscou et de la Chine avec l’Occident. Plus largement, l’échiquier mondial pourrait changer de visage.

Les Américains vont-ils, comme le laissent entendre les sondages, élire un candidat qui remet en question les institutions et qui est accusé d’avoir fomenté une insurrection?

Donald Trump lors d'un événement à Waterloo, en Iowa.

En réponse à la question d’un animateur de Fox News, M. Trump a déclaré, le 5 décembre, qu’il n’abuserait pas de ses pouvoirs, « sauf le premier jour ».

Photo : Associated Press / Charlie Neibergall

Les gens qui étudient la démocratie regardent cette élection avec beaucoup d'inquiétude, affirme Sadia Sidhu, directrice du Center for Effective Government de l’Université de Chicago. Les difficultés rencontrées lorsqu'est venu le temps de faire certifier les résultats de la dernière élection présidentielle, que l'ex-président Donald Trump a tenté d'invalider, n'ont rien pour rassurer, explique-t-elle.

Bilans de l'année 2023 et perspectives pour 2024

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Un cadran illustre le passage de 2023 à 2024.

Il est cependant difficile d’anticiper ce qui pourrait arriver si Donald Trump était réélu, note Sanjay Ruparelia, professeur agrégé au Département de politique et d'administration publique de l'Université métropolitaine de Toronto et titulaire de la chaire Jarislowsky sur la démocratie.

Tous les paris sont ouverts, affirme M. Ruparelia. Au cours de sa première présidence, les dégâts ont été limités, en partie parce qu’il était très désorganisé. Mais il semble être en train de constituer une équipe bien plus disciplinée et efficace, avec un programme qu’il souhaite mettre en œuvre.

Les institutions américaines sont solides, mais il n’est pas garanti qu’elles pourront résister à une deuxième présidence Trump, souligne Jean Lachapelle, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal.

En 2020, la démocratie américaine a survécu au test de Trump, mais s'il revient, est-ce qu'elle va être encore capable de faire face à la menace?

Une citation de Jean Lachapelle, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal

L'érosion de la démocratie indienne va-t-elle se poursuivre?

Une autre élection incontournable est celle qui se tiendra en Inde en avril et mai. Plus de 800 millions d’électeurs sont appelés à voter, dans le cadre du plus grand exercice démocratique au monde.

Le premier ministre indien Narendra Modi.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, lors du sommet 2023 des BRICS à Johannesburg, le 22 août 2023.

Photo : Getty Images / MARCO LONGARI / AFP

Le premier ministre Narendra Modi devrait se maintenir au pouvoir.

S’il bénéficie d’un fort appui populaire, M. Modi est loin de faire l’unanimité. Ses critiques l’accusent de porter atteinte à la constitution laïque de l'Inde au profit des hindous, qui représentent 80 % de la population, et de promouvoir la haine intercommunautaire, en particulier envers les musulmans. On lui reproche également de harceler ses opposants ainsi que les médias critiques à son égard et d’éroder l’indépendance judiciaire.

Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi, en 2014, l’Inde a perdu des plumes dans les classements internationaux qui mesurent le respect des libertés démocratiques.

Si M. Modi gagne à nouveau, on verra une Inde plus affirmée et plus confiante sur la scène internationale, note Sanjay Ruparelia. Cela sera positif sur certains aspects, mais possiblement moins sur d’autres, comme l'oppression transnationale et l’ingérence étrangère, ajoute-t-il.

Si le Bharatiya Janata Party (BJP) de M. Modi devait revenir au pouvoir, compte tenu de l'érosion de la démocratie qui s'est produite sous sa gouverne au cours de la dernière décennie, qu'est-ce que cela signifierait pour l'Inde et pour le monde?

Une citation de Sanjay Ruparelia, professeur à l'Université métropolitaine de Toronto

Dans cette même région du monde, des élections auront lieu au Bangladesh début janvier, au Pakistan en février, et au Sri Lanka avant septembre.

Les 205 millions d’électeurs indonésiens, quant à eux, doivent voter le 14 février pour un successeur à Joko Widodo, qui ne peut se présenter pour un troisième mandat. Son fils, Gibran Rakabuming Raka, est toutefois candidat à la vice-présidence aux côtés de l’ancien ministre de la Défense Prabowo Subianto.

L’ombre de la Chine

Taïwan sera aussi à surveiller.

Les élections présidentielle et législatives qui s'y tiendront le 13 janvier ont une portée géostratégique bien plus importante que le poids démographique de l’île. Elles surviennent à un moment critique pour les relations de Taïwan avec la Chine, qui revendique l’île comme faisant partie de son territoire.

Selon les plus récents sondages, la lutte est serrée entre le candidat du Parti démocrate progressiste (PDP), au pouvoir depuis 2016, qui tient tête à Pékin, et celui du Kuomintang (KMT), plus proche de la Chine.

Il y a des questions importantes pour les électeurs taïwanais en ce qui concerne l'emploi et les inégalités, qui se sont creusées à Taïwan au cours des dernières années, rappelle Sanjay Ruparelia. Mais le plus gros problème réside dans les implications géopolitiques. Si le PDP gagne à nouveau, cela pourrait déstabiliser davantage les relations avec la République populaire de Chine.

Pékin a multiplié ses incursions militaires près des côtes taïwanaises et continue de revendiquer sa souveraineté sur l’île.

Des personnes dînent dans un restaurant alors qu'un écran retransmet le discours du président chinois Xi Jinping à l'occasion du Nouvel An, à Pékin, le 31 décembre 2023.

« La réunification de la patrie est inévitable », a répété le président chinois, Xi Jinping, lors de son discours du Nouvel An.

Photo : Getty Images / PEDRO PARDO

L’autoritarisme en hausse partout

Dans certains pays, qui ne sont des démocraties qu’en façade, les résultats sont connus d’avance.

Que ce soit au Rwanda ou en Russie, l'inconnue est le taux de participation, bien plus que le nom du vainqueur. Au Venezuela, cela pourrait dépendre du fait que le régime permette, en réponse aux pressions américaines, la tenue d'élections libres.

Il faut distinguer deux types de pays où il va y avoir des élections, estime Jean Lachapelle. Il y a des régimes autoritaires, comme la Russie et le Venezuela, où le résultat est beaucoup moins incertain que dans des pays où on voit des démocraties qui ont connu un déclin au cours des dernières années.

Ce sont plutôt les démocraties en déclin qui sont importantes, parce que c'est des endroits où les électeurs ont le potentiel de renverser la tendance.

Une citation de Jean Lachapelle, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal

Parmi celles-ci, on trouve le Salvador, qui tiendra des élections en février.

Le président Nayib Bukele, au pouvoir depuis 2019, surfe sur des cotes de popularité enviables. Mais sa décision de se représenter, alors que la Constitution lui interdit de faire deux mandats consécutifs, est très controversée. Les arrestations arbitraires, les pressions sur les médias et le système judiciaire, tout comme ses violations de l’État de droit, font en sorte que le pays se classe, depuis deux ans, dans la catégorie des autocraties électorales.

Une foule tient des pancartes, dont une sur laquelle est écrit : « Kaïs Saëd, dehors! »

Des manifestants brandissent des pancartes lors d'une manifestation contre leur président, Kaïs Saïed, le 14 janvier 2023, à Tunis.

Photo : Getty Images / FETHI BELAID

La situation est semblable en Tunisie. La démocratisation de 2011 est mise à mal depuis l’élection de Kaïs Saïed, en 2019. Les mesures qu’il a prises unilatéralement, telles que la suspension du Parlement, la rédaction d’une nouvelle Constitution et le démantèlement des institutions indépendantes, lui ont valu de nombreuses critiques.

Si les organisations des droits de l’homme dénoncent sa mainmise sur le pouvoir, une bonne partie de la population l’appuie toujours.

L'érosion démocratique, c'est souvent des candidats élus, et les assauts qu'ils mènent contre la démocratie obtiennent le soutien populaire parce qu’il y a souvent de bonnes raisons pour centraliser le pouvoir, note M. Lachapelle. Combattre la criminalité, éliminer la corruption et rendre l'État plus efficace en sont des exemples.

Dans ce contexte, certaines décisions peuvent sembler raisonnables, mais il faut s'assurer qu'elles sont temporaires, souligne le chercheur.

Le président du Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), doit céder sa place cette année. Des élections en juin devraient permettre aux Mexicains d’élire leur première présidente. La dauphine d’AMLO, Claudia Sheinbaum, est en bonne position face à la candidate de l’opposition, Xochitl Galvez.

Claudia Sheinbaum lève le poing.

La candidate à l'élection présidentielle pour le parti Morena, Claudia Sheinbaum, lors de l'enregistrement de sa candidature, le 19 novembre 2023, à Mexico.

Photo : Getty Images / CLAUDIO CRUZ

En Afrique du Sud, 30 ans après la fin de l’apartheid, le Congrès national africain (ANC) affronte une élection cruciale. L'ANC formera très probablement le prochain gouvernement, mais on s'attend à ce qu'il n'obtienne pas la majorité, pour la première fois depuis 1994. S'ils doivent entrer dans un gouvernement de coalition, ce serait sans précédent en Afrique du Sud, souligne M. Ruparelia.

Il y aura aussi des élections en juin afin de choisir les députés du Parlement européen. Les sondages indiquent que les partis d’extrême droite devraient faire des gains significatifs. Ce sera également le cas en Autriche, qui tiendra des élections législatives en septembre et où le FPO (Parti de la liberté) pourrait former le gouvernement.

Enfin, des élections devraient avoir lieu au Royaume-Uni. Théoriquement, le gouvernement pourrait attendre jusqu’en janvier 2025, mais le plus probable est que le premier ministre Rishi Sunak déclenche des élections cet automne. Pour le moment, c’est le parti travailliste qui mène dans les sondages.

Désenchantement généralisé

En toile de fond de toutes ces élections, on trouve le même ingrédient qui a porté au pouvoir l’iconoclaste Javier Milei en Argentine et donné une majorité des voix à Geert Wilders aux Pays-Bas : un profond ras-le-bol à l'égard de la classe politique aux commandes.

Geert Wilders  lève les bras.

Geert Wilders salue les membres de son parti après les élections parlementaires du 23 novembre 2023.

Photo : Reuters / YVES HERMAN

Les gens voient que leurs gouvernements ont du mal à faire face aux défis, à la montée des inégalités, à la stagnation économique, à l'immigration et aux changements dans leurs sociétés, sans parler de la menace existentielle du changement climatique, note M. Ruparelia. Ils ont le sentiment que les institutions et les processus démocratiques sont mal équipés pour relever certains de ces défis.

Depuis la crise financière de 2008, et encore plus avec la pandémie, on constate l’ascension de leaders populistes et antisystème.

Lorsqu'on a une démocratie qui n'est pas capable de livrer un certain niveau de vie à la population, il peut y avoir un désenchantement. Dans les démocraties plus fragiles, où les institutions n'ont pas été consolidées, le risque est encore plus élevé.

Une citation de Jean Lachapelle, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal

Campagnes de désinformation amplifiées

Avec la présence d'un nouvel élément qui risque de créer des perturbations un peu partout : l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle (IA).

Les périodes électorales sont souvent le moment où la répression numérique atteint son apogée, écrit Freedom House dans son rapport intitulé Le pouvoir répressif de l’intelligence artificielle. L’ONG redoute que l’utilisation de l’intelligence artificielle générative ne vienne encore plus mêler les cartes.

L’IA permet aux gouvernements d’affiner leur censure en ligne. Elle rend la censure et la surveillance, ainsi que la création et la diffusion de désinformation plus faciles, plus rapides, moins coûteuses et plus efficaces, souligne le rapport.

Des gens lèvent les bras.

Des partisans d'Atiku Abubakar, candidat du Parti démocratique populaire (PDP), participent à un rassemblement à Abeokuta, dans le sud-ouest du Nigeria, le 18 janvier 2023.

Photo : Getty Images / PIUS UTOMI EKPEI

L'intelligence artificielle générative a déjà été utilisée dans au moins 16 pays pour semer le doute, pour diffamer les opposants politiques ou pour influencer le débat public, note Elizabeth Sutterlin, chercheuse à Freedom House. Par exemple, au Nigeria, en février 2023, un clip audio qui prétendait être l’enregistrement d’un candidat d’opposition qui parlait de ses plans de truquer les élections a amplement circulé sur les médias sociaux et contribué à le décrédibiliser, raconte-t-elle.

La propagation de ces hypertrucages peut miner la confiance du public dans les processus démocratiques, souligne la chercheuse.

Il faut toutefois nuancer les propos sur le rôle de l’intelligence artificielle générative dans les élections, puisqu’il existe de nombreuses autres tactiques susceptibles d’influencer le résultat des scrutins, ajoute Allie Funk, également chercheuse à Freedom House.

La désinformation existait bien avant Internet et l’IA, conclut-elle.

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