Le salaire des PDG 246 fois plus grand que celui du travailleur moyen, selon un rapport
Le Centre canadien de politiques alternatives recense la rémunération des 100 présidents-directeurs généraux les mieux payés au Canada depuis 2008. (Illustration d'archives)
Photo : getty images/istockphoto / francescoch
Si la plus récente vague inflationniste a poussé des centaines de milliers de travailleurs en grève, elle a profité aux PDG canadiens les mieux rémunérés, révèle une nouvelle étude du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA).
Le travailleur moyen au pays a empoché 60 600 $ en 2022, selon les données du CCPA, soit 246 fois moins que les 100 PDG les mieux rémunérés, qui ont empoché 14,9 millions $ en moyenne.
Ces chefs d'entreprises ont vu leur rémunération augmenter de 623 000 $ (4,4 %) par rapport à l’année précédente. Elle a aussi doublé par rapport à 2008, l’année où le CCPA a commencé à compiler ces données.
C’est une autre année record.
L’inflation, qui a atteint un sommet en 40 ans en 2022, a fait grimper la valeur des ventes et des profits des entreprises, dit David Macdonald.
David Macdonald, économiste principal au Centre canadien de politiques alternatives, à Ottawa.
Photo : Radio-Canada / Marc Robichaud
Les PDG, dont la rémunération est composée en grande partie d’incitatifs à la performance qui reposent sur la profitabilité de la firme, ont ainsi vu leurs primes exploser
durant cette période, soutient M. Macdonald.
Lana Payne, la présidente nationale d'Unifor – le plus grand syndicat du secteur privé au Canada –, qualifie l'écart grandissant d’enrageant
.
On a vu des travailleurs se lever contre ça. C'est pourquoi nous avons plus de conflits de travail au Canada et c’est pourquoi il y a plus de conflits aux tables de négociation. Parce que les travailleurs ont dit que ça suffisait
, martèle-t-elle.
Lana Payne est devenue en 2022 la première femme à occuper le poste de présidente du syndicat Unifor.
Photo : Radio-Canada / Chelsea Jacobs
Un PDG soucieux de l’écart de revenus avec ses employés
Ce ne sont toutefois pas tous les chefs d’entreprise qui empochent autant d’argent. Certains s’assurent que les écarts de revenus au sein de leur organisation ne dépassent pas un certain seuil.
C’est le cas de Hosni Zaouali, le PDG de ConnectED labs, une firme de technologie basée à Toronto. Il soutient que le salaire le plus élevé dans l'entreprise n’est jamais plus de 10 fois supérieur au salaire le plus bas.
On peut augmenter le salaire le plus haut, mais dans ce cas-là, il faut absolument augmenter le salaire le plus bas et ainsi on assure une certaine équité dans notre entreprise
, explique-t-il.
M. Zaouali estime néanmoins que la rémunération des dirigeants de grandes firmes peut être justifiée, compte tenu de leurs obligations de performance et de rendement pour les actionnaires.
Hosni Zaouali est également président de l'organisme à but non lucratif Voilà Community Help.
Photo : Radio-Canada / Philippe de Montigny
Des compétences en forte demande
Le succès d’une entreprise repose souvent sur les décisions de son président, estime Hosni Zaouali.
Le chef d'entreprise doit pouvoir jouer avec [...] tous les aspects de l’entreprise, le management, la finance, les opérations, pour faire en sorte que la performance de l'entreprise soit optimale et que ses milliers d'employés continuent d’être employés.
La mondialisation a par ailleurs complexifié le travail des PDG, note Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason, en Virginie.
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Il y a de plus en plus de sociétés qui sont internationales. [...] Une grande société canadienne des années 1960 était bien moins susceptible d'être en concurrence avec des sociétés indiennes ou des sociétés chinoises
, illustre-t-il.
Les conseils d’administration chercheraient donc à embaucher des chefs d’entreprises ayant un large éventail de compétences parmi un bassin de candidats limités.
Peu de gens voudraient vivre constamment dans des valises et avoir cinq à six heures de sommeil. C'est des gens qui ont des préférences très uniques
, note M. Geloso.
Les conseils d’administration, qui peuvent être exigeants, n'hésitent pas, non plus, à montrer la porte à un PDG qui ne répond pas aux attentes.
Dans un rapport publié en 2020, Vincent Geloso indiquait qu'entre 38 et 55 % des changements de PDG étaient liés à des performances décevantes. (Photo d'archives)
Photo : iStock
Dans un rapport publié en 2020 par l’Institut Fraser, l’économiste rapportait que parmi les 100 PDG canadiens les mieux payés en 2007, 42 ne faisaient plus partie de la liste l’année suivante. Dix ans plus tard, il n’en restait plus que 15.
M. Geloso estime par ailleurs que l’écart de revenus entre PDG et travailleurs mesurés par le CCPA est le fruit de raccourcis
méthodologiques.
Il juge notamment que la rémunération des 100 PDG les mieux payés n’est pas représentative des revenus du chef d’entreprise moyen et critique le fait que les avantages sociaux des travailleurs, comme leurs assurances par exemple, ne soient pas pris en compte dans les calculs du CCPA.
Réduire les écarts de rémunération
Mme Payne, du syndicat Unifor, estime que les gouvernements peuvent réduire les écarts de revenus au pays en réduisant les barrières à la syndicalisation, en augmentant le salaire minimum et en obligeant les entreprises à offrir des horaires de travail stables à leurs employés.
Le rapport du CCPA propose pour sa part une série de mesures visant à diminuer les revenus après impôts des chefs d’entreprise les mieux payés.
M. Macdonald suggère notamment l’ajout d’un palier d’imposition avec un taux plus élevé, d’imposer une taxe sur la richesse et d’augmenter l’imposition sur les gains en capital.
Le professeur Geloso estime quant à lui qu’il serait plus justifié de remettre en question la rémunération attribuée aux PDG qui sont embauchés en raison de leurs relations dans le monde politique, afin de recevoir des subventions ou des contrats publics, notamment, plutôt que pour leurs qualités de gestionnaires.
Il y voit une récompense pour des privilèges
, alors que la rémunération des autres chefs d’entreprise ne suivrait qu'une logique d’offre et de demande.
Avec des informations de Philippe de Montigny