Le champignon marin, le laissé-pour-compte en recherche
Un échantillon de champignon a été récolté lors de la mission Odyssée Saint-Laurent.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Marilee Thiffault
Depuis 2020, des chercheurs de Biopterre à La Pocatière analysent les champignons marins récoltés dans le fleuve Saint-Laurent. Ils tentent de trouver des molécules potentiellement utilisables pour l'élaboration de médicaments ou la décontamination de procédés industriels.
Les chercheurs du centre collégiale de transfert technologique ont choisi de s'intéresser aux champignons qui vivent dans le fleuve en raison de l'absence de données disponibles. Il n’y avait virtuellement rien qui était connu sur les champignons du fleuve Saint-Laurent
, explique Félix-Antoine Bérubé-Simard, chercheur en biologie moléculaire.
Une culture de champignon marin.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Marilee Thiffault
Certains micro-organismes marins sont, depuis longtemps, une source quand même inépuisable de pharmaceutique, d’antiviraux […]. On connaît beaucoup plus d’informations sur les bactéries et les virus que sur les champignons
, poursuit-il.
Un chercheur analyse en laboratoire un spécimen de champignon marin.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Biopterre
En raison de leur faculté d'adaptation différente de celle de leurs homologues terrestres, les champignons marins ont un grand potentiel pour les industriels. Marilee Thiffault, technicienne de laboratoire chez Biopterre, mentionne qu'ils vivent à plus basse température, soit autour de quatre degrés Celsius, en plus de subir différentes pressions — selon les profondeurs — et de survivre à plusieurs degrés de salinité.
Si on pense à des réactions qui généralement se passent à des températures plus chaudes, dans une région nordique comme le Québec, il faut chauffer davantage. Donc, avoir des champignons qui pourraient être efficaces à température plus basse serait un gain en termes de coût d’exploitation
, ajoute le chercheur Félix-Antoine Bérubé-Simard.
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Il y a un coût d’énergie plus bas, donc on peut sauver de l’argent.
Exploration sur le fleuve Saint-Laurent
Les chercheurs commencent par faire des excursions sur le fleuve à la recherche d'échantillons grâce à un bateau de recherche prêté par le Réseau Québec maritime.
On s'est vraiment rendus à des endroits qui sont inaccessibles sur le fleuve pour aller chercher ces échantillons
, mentionne Marilee Thiffault. L'équipe a sillonné les eaux de la Basse-Côte-Nord, notamment à Blanc-Sablon.
À 23 ans, Marilee Thiffault est fière d'être aux premières loges des balbutiements de la recherche sur les champignons marins.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Maude Boissonneault
Les champignons marins s’attachent beaucoup à des surfaces. On peut en retrouver sur des algues, sur des sédiments, sur du bois, sur du plastique
, note la technicienne en laboratoire.
Il peut y avoir peut-être cinq champignons sur le même morceau de bois.
Les chercheurs récoltent des échantillons de champignons directement dans le fleuve.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Fred Bélanger
Pour récolter les spécimens durant leur sortie d’exploration sur le fleuve, les chercheurs utilisent des outils divers.
On utilise autant des filets que des bennes à sédiments, [des pelles qui vont] chercher une motte de fond de fleuve. Puis, là-dedans, on fait un tamisage pour aller récupérer justement les échantillons de bois de paille, de sédiments
, précise la technicienne de laboratoire.
Au fil des différentes expéditions, des centaines de champignons ont été trouvés.
On a 500 individus, mais de ces 500 individus-là, il y en a plusieurs qui font partie de la même espèce ou de la même famille
, souligne-t-elle.
Les champignons récoltés dans le fleuve Saint-Laurent sont nourris et étudiés en laboratoire.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Marilee Thiffault
À ce stade-ci, c’est difficile de savoir combien on en a de différents, parce que dans les champignons, ce qui est assez intéressant, c’est qu’ils mutent très rapidement en fonction de leur habitat
, confie la chercheuse.
Ce n’est pas parce que deux champignons sont de la même espèce qu’ils vont exprimer les mêmes caractéristiques.
Donc, un champignon, même s’il provient de la même espèce, s’il a été pêché à 400 mètres de profondeur en eau saline versus la même espèce qui a été repêchée à la surface, eh bien, ses caractéristiques peuvent être drastiquement différentes
, explique-t-elle.
Une culture de mycélium dans une boîte de Petri.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Marilee Thiffault
Une fois récoltés, les échantillons sont conservés dans des fioles dans un milieu stable. Ils sont ensuite transférés dans des boîtes de Petri et nourris avec une substance qui ressemble à de la gelée. Cette gelée contient tous les éléments nutritifs essentiels au développement du mycélium.
Du sel est également ajouté, ce qui élimine du même coup la possibilité que les spores des champignons terrestres qui se trouvent dans l’air viennent contaminer l’échantillon lors des différentes manipulations en laboratoire.
Les échantillons sont transférés dans des fioles.
Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Biopterre
Recherche appliquée
Les chercheurs souhaitent à présent faire de la recherche appliquée afin de déterminer comment les champignons marins pourraient servir aux différentes industries.
On a procédé au séquençage complet du génome de certains de ces champignons-là
, fait valoir Félix-Antoine Bérubé-Simard. Le séquençage permet aux chercheurs de distinguer les différences entre les champignons marins et les terrestres. En laboratoire, on est capables d’aller isoler chacun de ces cinq champignons-là pour les avoir en culture pure. C’est avec ça qu’on identifie [les champignons], qu’on les caractérise et qu'on construit notre banque
, poursuit Mme Thiffault.
Les champignons sont tous maintenus à une température de - 80 degrés Celsius, ce qui permet aux chercheurs de les conserver pour le prochain siècle. Contrairement à d’autres micro-organismes, les champignons peuvent être répliqués à l’infini sans jamais être dénaturés, explique Marilee Thiffault.