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Mission : réapprendre à admirer un coucher de soleil

Un an après l’explosion qui a fait 47 morts au centre-ville de Lac-Mégantic, le journaliste Réjean Blais avait rencontré une équipe de professionnels dont le mandat était d’aider la population à se relever de ce drame. Dix ans après le déraillement, il a eu envie d’aller voir où étaient rendus ceux qui avaient aidé les gens à apprécier à nouveau les couchers de soleil.

trois femmes sourient.

Nicole Laroche, Arianne Tremblay et Mychelle Beaulé sont unies à jamais par leur expérience dans l'équipe de rétablissement qui est venue en aide à la population de Lac-Mégantic après la tragédie du 6 juillet 2013.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Ils étaient une quinzaine de spécialistes en travail social assis autour d’une grande table, dans une petite roulotte stationnée derrière l’hôpital de Lac-Mégantic. Ils ont raconté l’année qui venait de s’écouler et toute l’humanité dont ils ont fait preuve pour venir en aide à la population encore durement affectée par l’explosion. Comment vont-ils aujourd’hui? Où sont-ils rendus? Qu’ont-ils appris de tout ça? Nous sommes allés à leur rencontre.

L’étreinte est chaleureuse entre Arianne Tremblay et Nicole Laroche qui ne se sont pas vues depuis au moins cinq ans. Même si elles se textent à l’occasion, rien ne vaut ces retrouvailles organisées à quelques semaines des commémorations entourant le 10e anniversaire de la tragédie. Mychelle Beaulé, une grande amie de Nicole, affiche un grand sourire, visiblement heureuse de cette rencontre.

Le rendez-vous a lieu à la cabane à sucre d’Arianne, qui a retiré son manteau d'éducatrice spécialisée depuis quelques années pour devenir entrepreneure. En plus de ce commerce, elle possède avec son conjoint un camping qui la tient occupée à temps plein. Nicole et Mychelle, deux travailleuses sociales, sont aujourd’hui à la retraite, mais il s'en faudrait de peu pour qu’elles replongent dans l’intervention si un événement important le commandait, disent-elles.

De revenir sur cette nuit fatidique et sur ses conséquences, c’est, pour les anciennes intervenantes, plonger dans des souvenirs douloureux, mais aussi de lumineuses histoires. C’était leur rôle de transformer la souffrance en quelque chose de plus acceptable. Une décennie ans plus tard, elles peuvent dire : mission accomplie.

Grâce à leur écoute et leur soutien bienveillants, des centaines de personnes, jeunes et moins jeunes, ont réussi à apaiser leur souffrance et poursuivre leur route malgré l’immensité de la douleur provoquée par le drame.

des roulottes et des voitures.

L'équipe psychosociale de rétablissement a fourni ses services à la population dans ces roulottes installées derrière le Centre hospitalier du Granit.

Photo : Photo fournie par Cindy Stewart

Traiter le stress post-traumatique en priorité

Retour en arrière. C’est dans l’urgence imposée par le drame qu’elles ont toutes été plongées dans le secours aux sinistrés. Alors qu’Arianne est à la polyvalente à la recherche d’une amie dont elle sans nouvelle, on lui remet le dossard blanc de l’aidante bénévole. Dès le départ, elle vient en aide à des familles endeuillées. Un rôle qu’elle tiendra finalement pendant deux ans en tant que membre de l’équipe psychosociale de rétablissement.

Ce qui me reste le plus en tête, c'est l'intensité de la peine collective et du désespoir. Tout le monde cherchait tout le monde. Je me souviens de la liste à la polyvalente des personnes disparues dans la première nuit. Il y avait au-dessus de 700 noms. On s'est dit : "Mon Dieu! Ça va être épouvantable!", se remémore-t-elle.

une femme sourit.

Ariane Tremblay, éducatrice spécialisée de formation, s'est tournée vers d'autres activités professionnelles.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Nicole, pour sa part, a une longue expérience de l'accompagnement grâce à son travail auprès de personnes victimes d'actes criminels et en état de stress post-traumatique. Elle a travaillé la majeure partie de sa carrière au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) et à l’Escale, un centre d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale. Sa grande expertise se révèle rapidement un atout indispensable. J’ai été projetée dans ce tumulte. Je me rappelle d'avoir été dans une garderie pour donner la parole aux enfants et aux éducatrices. Tout le monde était à différents niveaux en choc post-traumatique, précise-t-elle.

On avait tous notre blessure. Le Québec avait une blessure. Imagine les gens qui étaient là.

Une citation de Nicole Laroche, ex-membre de l'équipe d'intervention

Même si l'explosion a eu lieu à quelques pas de la résidence de Mychelle, elle se lance, malgré tout, à corps perdu dans l'entraide. Aider les autres devient sa thérapie. À la demande du Centre de santé et de services sociaux, elle accepte la responsabilité de superviser l’équipe de rétablissement formée principalement de professionnels venant de l’extérieur de Lac-Mégantic. On a évalué l'urgence de créer une équipe à part des services réguliers pour pouvoir s'occuper de tout ce qui était post-trauma.

Il y avait énormément de personnes à Lac-Mégantic qui étaient en besoin de services. L’équipe de rétablissement n’avait pas encore commencé, qu’on avait déjà 120 personnes sur la liste qui attendaient.

Une citation de Mychelle Beaulé, ex-membre de l'équipe d'intervention
une femme sourit.

La travailleuse sociale Nicole Laroche a été membre de l'équipe de rétablissement de 2013 à 2016 à Lac-Mégantic.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Leur grande priorité est de traiter le choc en essayant de normaliser les émotions vécues. Le fait que tout le monde ait été affecté par le même événement présentait certains avantages thérapeutiques. Si vous ne dormez pas, c'est normal. Si vous pognez les nerfs, c'est normal. Vous n’êtes pas en train de capoter. On allait les rassurer, indique Nicole Laroche.

C'est un peu magique, l'intervention post-traumatique. On va dire à ton cerveau pourquoi tu pleures tout le temps.

Une citation de Nicole Laroche, ex-membre de l'équipe d'intervention

Devant le flot de demandes, elles forment des groupes de discussion pour permettre à un plus grand nombre de personnes d'exprimer leurs souffrances. Des jeunes, des moins jeunes, des travailleurs, des parents qui ont perdu des enfants se sont regroupés pour dire et raconter. Chez certains, la prise de parole a fait ressortir de vieux traumatismes enfouis depuis des années. La charge émotive était incroyable. Les gens étaient des petits volcans devant nous qui ne faisaient que s'ouvrir. On ne voyait pas de limite. J'en parle et j'ai le frisson, mentionne Nicole avec émotion. Même si tout cela remonte à 10 ans, c'est encore bien frais dans sa mémoire.

une femme sourit.

Mychelle Beaulé a été la responsable de l'équipe de rétablissement qu'elle a formée pour soigner les Méganticois en état de stress post-traumatique.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Ces rencontres ont été extrêmement marquantes, tant pour elles que pour les personnes qui ont fait appel à leur aide, juge Arianne. Encore aujourd'hui, toutes les fois que je croise des personnes qu'on a eues dans nos groupes, c'est la même intensité. On se voit, on se prend dans nos bras. J'ai un câlin, puis on ressent encore toutes cette charge de ce moment-là.

Quand un coucher de soleil rappelle l’explosion

Le trouble de stress post-traumatique s’exprime à travers les sens, explique Nicole Laroche. Pour plusieurs, entendre des bruits forts rappelait le son des sirènes. Pour d’autres, c’était la couleur orangée du feu intense brûlant dans la nuit du 6 juillet qui créait une grande perturbation. La travailleuse sociale se souvient des belles dames âgées d’une résidence, devenues intolérantes à un simple coucher de soleil.

Y a-t-il de quoi de plus beau à Lac-Mégantic qu'un coucher de soleil? Les gens n’étaient plus capables de le voir. Ils fermaient les rideaux parce que ça leur rappelait la couleur de l'incendie. Essaye de vivre avec ça!

Une citation de Nicole Laroche, ex-membre de l'équipe d'intervention

Voilà un exemple éloquent de toute la créativité dont l’équipe a fait preuve pour adapter ses interventions aux besoins particuliers des Méganticois. Dans ce cas-ci, comment arriver à désensibiliser les gens marqués par l’intensité des flammes? Le mode d'instruction précis n'était pas écrit dans les livres. Ensemble, on se trouvait toutes sortes de moyens. On a inventé plein d'affaires, souligne Nicole Laroche.

Trois femmes discutent.

Mychelle, Nicole, Arianne se souviennent, comme si c'était hier des interventions qu'elles ont faites pour soulager les gens de leur peine, de leurs peurs, de leur colère.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Des images de beaux paysages trouvées dans un atlas et que les résidents étaient invités à apposer sur leur frigo leur a permis, petit à petit, de mieux tolérer ces rayons qui émanent juste avant le crépuscule. Lorsque vous aurez peur de la lumière du coucher de soleil, jetez vos yeux sur votre frigidaire, leur disait Nicole. Regardez cette image et respirez. Tranquillement, leurs yeux se sont réhabitués à voir les couchers de soleil, raconte-t-elle, encore émerveillée. On sortait des sentiers battus. On n'a rien fait comme tout le monde. On a construit au fur et à mesure, souligne Mychelle, pas peu fière de ce que son équipe a réussi à accomplir.

On a construit un modèle qui a, par la suite, pu être réutilisé. Ce qu'on a fait ici, c'était novateur.

Une citation de Mychelle Beaulé, ex-membre de l'équipe d'intervention

Aller jusqu’au bout malgré la douleur et la lourdeur de la tâche

La promenade n'a pas été de tout repos. Les journées ont été longues. Difficiles. Épuisantes. Malgré tout, si c'était à refaire, les trois femmes vivraient la même expérience. Arianne a songé plusieurs fois à laisser tomber tant la tâche était émotivement difficile à gérer. On ne se le cachera pas, c'est arrivé quelques fois que je suis partie [du travail], puis les dix minutes de route que je faisais pour aller chez moi, je les ai pleurées tout le long dans ma voiture. Mais le lendemain, Nicole me demandait : "Pis, comment ça a été, ta soirée?" Elle a bien pris soin de moi, dit-elle avec reconnaissance. Sincèrement, je n'aurais pas pu avoir un meilleur coach dans ma vie.

Il fallait prendre soin des autres, mais il fallait prendre soin de nous.

Une citation de Arianne Tremblay, ex-membre de l'équipe d'intervention

Lorsqu'on leur demande si elles réalisent à quel point leur travail a été essentiel pour la communauté de Lac-Mégantic, Nicole répond simplement : On a travaillé que pour ça. Notre salaire, c'était de faire la différence.

Je pense qu’en parlant de tout ça aujourd’hui, je me rends un peu plus compte de l'impact qu'on a pu avoir, réalise Arianne. Ça a été une de mes expériences professionnelles et personnelles les plus marquantes de ma vie. Malgré toute la douleur et la peine, j'ai été plus que choyée de faire partie de cette équipe de rétablissement et de rencontrer ces gens qui se sont ouverts à nous.

La femme d’affaires nous parle de jeunes qu’elle croise aujourd’hui à Lac-Mégantic et qu’elle a aidés à l’époque. Ils ignorent qui elle est, mais de loin, elle les observe, satisfaite. De voir leur évolution et où ils sont rendus, ça me fascine et ça m'émerveille chaque fois, dit-elle avec tendresse.

l'équipe de rétablissement de Lac-Mégantic en 2014.

Voici une partie de l'équipe psychosociale de rétablissement qui était en fonction en 2014. On reconnaît Mychelle Beaulé. Céline Larin, Hélène Giroux, Lise Desnoyer, Claudia Gilbert, Liliane Mercier, Marie Lefebvre, Mario Lefebvre, Arianne Tremblay, Laurence Déry, Lise Bisson, Carol Larouche, Colette Pinard et Cindy Stewart. Sont absents de la photo : Nicole Laroche, Sylvain Nadeau, Mylène Ouellet, Lisa Morin et Marcel Mathieu. (Photo d'archives.)

Photo : Radio-Canada / Photo fournie par Cindy Stewart

Regardez les gens qui continuent à évoluer en se disant qu’on a été dans leur parcours à un moment x et qu’aujourd'hui, ils sont rendus plus loin, ça nous rend très fiers.

Une citation de Mychelle Beaulé, ex-membre de l'équipe d'intervention

Toutes les trois sont liées à jamais par l’expérience unique qu’elles ont vécue. L’intervention auprès d’un si grand nombre de personnes dans des circonstances aussi particulières a créé des liens forts entre elles. Il y avait une harmonie. Les gens se sont serré les coudes. On était tous prêts à dépasser nos limites et à écouter, ajoute Nicole.

Aux yeux d’Arianne, les Méganticois ont cheminé vers la guérison grâce à son équipe, mais elle souligne que bien d’autres personnes ont aussi contribué à apaiser l’immense souffrance causée par la tragédie.

Oui, on les a aidés. On est fiers de l'avoir fait, mais ça a été une réussite collective. Oui, il y avait l'équipe de rétablissement, mais alentour de nous, il y avait plein d'autre monde. Les coiffeuses ont fait leur job, les serveuses au restaurant ont fait leur job. Tout le monde a fait une job de rétablissement.

Une citation de Arianne Tremblay, ex-membre de l'équipe d'intervention

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