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De Toulouse à Lac-Mégantic : des injustices qui bouleversent tout sur leur passage

explosion d'une usine.

L'explosion de l'usine AZF est survenue à 10 h 17 le 21 septembre 2001 à Toulouse, en France.

Photo : Sud ouest : Thierry David

21 septembre 2001. Alors que les yeux de la planète sont rivés sur New York et ses tours jumelles effondrées 10 jours plus tôt, un autre drame survient à 8000 km de là. Une usine de produits chimiques explose en plein quartier résidentiel de la ville de Toulouse, en France. Trente et une personnes meurent et 2000 autres sont blessées, parce que du chlore a malencontreusement été entreposé dans un hangar contenant du nitrate d'ammonium.

Vingt-trois personnes sont mortes dans l'enceinte de l'usine et 8 autres à l'extérieur, précise Frédéric Arrou. Vingt-deux ans plus tard, l’ancien président de l’Association des sinistrés du 21 septembre se souvient comme si c’était hier de l’immense blessure créée dans la communauté et des batailles menées pour que justice soit rendue. Cette longue traversée n’est pas sans rappeler celle que vivent les Méganticois depuis le 6 juillet 2013.

C’est une journée qui s'annonce douce et tranquille à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, à ce moment-là. À 10 h 17, ce beau vendredi d’automne tourne néanmoins au cauchemar. Frédéric Arrou est à un rendez-vous médical lorsqu’il entend la détonation. J’ai senti le sol vibrer et j’ai perçu une détonation lointaine et sourde, raconte-t-il. Un quartier défavorisé au bord du fleuve de la Garonne vient d’être soufflé par une explosion.

Des pompiers sur une carcasse de voiture.

L'explosion a fait 31 morts et 2000 blessés.

Photo : AFP

Son premier réflexe est de sortir dans la rue pour voir ce qui se passe. Il aperçoit, au loin, un nuage de fumée jaune qui prend des proportions effrayantes au-dessus du secteur qu’il habite avec sa conjointe et leurs deux enfants. Il ressent alors de l’intérieur un serrement, une peur intense.

Sa première pensée est pour sa fille de 8 ans, qui est restée seule à la maison. Le père de famille se précipite à l’intérieur pour trouver un téléphone afin de la joindre, mais elle ne répond pas. Il ignore encore que tout son quartier a été pulvérisé, mais il sait que quelque chose de grave s’est produit. Ce sont des moments intenses qui deviennent rapidement de la frayeur et, après, de la colère, dit Frédéric Arrou. Ce n’est qu’au bout d'innombrables tentatives que sa fille finit par décrocher.

Papa, papa! La maison a explosé!

Une citation de Fille de Frédéric Arrou, ancien président de l’Association des sinistrés du 21 septembre

Si, à son grand soulagement, sa fille n’est pas blessée, il reste que ses mots étaient forts et bien réels, se rappelle-t-il. Des mots puissants mettant en lumière le drame qui se jouait dans son quartier.

Une usine qui a explosé.

L'explosion a provoqué des dégâts considérables à l'usine et à un quartier résidentiel.

Photo : AFP / ERIC CABANIS

Même si la structure de la maison des Arrou a tenu le coup, les fenêtres, tout comme celles des autres résidences dans le périmètre de l’usine, ont littéralement volé en éclats. Notre maison n'était qu'une illustration de ce qu’il s'était passé. Le quart de la ville a été concerné par les conséquences de l'explosion. Il devra attendre six mois avant de ravoir des fenêtres à sa maison tant les vitriers n’arrivent pas à fournir devant tant de destruction.

Le verre s'est planté comme des couteaux dans tous les murs de toutes les maisons. Les meubles [avaient] explosé, les canapés [étaient] déchirés... On a vu nos maisons vidées de tout. Une vraie catastrophe matérielle, mais avant tout, une catastrophe humaine et psychologique.

Une citation de Frédéric Arrou

Les quelques milliers de gens blessés qui vivaient autour de l’usine l’ont été principalement par des lacérations de verre ou par des objets soufflés par l’explosion. La déflagration a aussi causé des atteintes auditives à de nombreuses personnes, tout cela sans compter les blessures psychologiques. De la souffrance et de la douleur absolue qui, je crois, ne s'éteint pas, estime Frédéric Arrou.

Des personnes manifestent.

Frédéric Arrou avec sa fille Léa lors de l'une des manifestations réclamant la fermeture définitive de l'usine AZF.

Photo : colllection: Frédéric Arrou

Ce dernier était travailleur social à l’époque. Il a rapidement formé une association pour accompagner les familles endeuillées et toutes les personnes touchées de près ou de loin par la tragédie. Quand il repense au drame, de nombreux mots lui viennent en tête : Une incompréhension absolue, une colère sourde....

Le temps met un peu de baume, mais ça ne peut pas s'éteindre.

Une citation de Frédéric Arrou, ancien président de l’Association des sinistrés du 21 septembre

Entre Lac-Mégantic et Toulouse, un monde de similitudes

La déflagration est survenue à l’usine AZF, Azote de France, qui est la propriété de la multinationale Total. En écoutant Frédéric Arrou raconter la douleur de Toulouse, on ne peut s’empêcher de voir des similitudes avec la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic. Si ce n’était pas du pétrole brut transporté par un train qui a explosé en plein centre-ville, ce sont tout de même des produits dangereux disposés à quelques mètres d’un secteur habité qui sont l'origine du sinistre.

Or, contrairement à Lac-Mégantic, l’entreprise AZF et son ex-directeur ont été reconnus coupables et condamnés au terme de procédures judiciaires qui auront duré 18 ans. Les victimes ont été indemnisées financièrement et la population a obtenu la fermeture définitive de l’usine, non sans peine, toutefois.

Comme la communauté de Lac-Mégantic qui se dispute au sujet de la construction d’une voie de contournement ferroviaire, l’avenir de l’usine AZF a provoqué de nombreux déchirements entre les travailleurs, la multinationale Total et les Toulousains.

Les secours tentent de venir en aide aux personnes blessées à la suite de l'explosion de l'usine.

Les secours tentent de venir en aide aux personnes blessées à la suite de l'explosion de l'usine.

Photo : AFP

C'était vraiment un élément majeur. [...] Imaginez si l'usine avait repris, illustre Frédéric Arrou. C'est comme rendre les clés de sa voiture à quelqu'un qui vient de commettre, par imprudence, un accident majeur. Donc, ça, c'était impossible. On a obtenu [sa fermeture], mais après de grosses, grosses, grosses batailles. C'est le premier ministre, Lionel Jospin, qui a prononcé la fermeture.

Si les trains de matières dangereuses continuent de circuler au centre-ville de Lac-Mégantic, à Toulouse, des produits dangereux cohabitent toujours avec les citoyens, et ce, même si AZF a cessé ses activités. Le propergol – le carburant utilisé pour la fusée Ariane – y est fabriqué, raconte Frédéric Arrou. Il est ensuite transporté jusqu’à la rampe de lancement du Centre spatial de Kourou, en Guyane française. On est peut-être au maximum de l'aberration en matière de transport de produits extrêmement dangereux!, s’exclame-t-il.

De nombreux Méganticois demeurent très sensibles aux questions liées à la sécurité ferroviaire. Frédéric Arrou se sent, pour sa part, toujours interpellé par les catastrophes industrielles. Il évoque l’explosion survenue il y a quelques années dans le port de Beyrouth, au Liban, où, comme à Toulouse, les ammonitrates ont causé des centaines de morts ainsi que des blessures chez des milliers de gens.

Cérémonie à la mémoire des victimes du 21 septembre à Toulouse.

Des personnes se recueillent devant le monument érigé à la mémoire des victimes du 21 septembre 2001.

Photo : afp via getty images / LIONEL BONAVENTURE

Méganticois, ne faites pas de compromis

Si certaines victoires ont été obtenues en France après le drame d’AZF, l’ancien travailleur social demeure méfiant quant à la sécurité de la population de même qu'à la responsabilité des entreprises et des pouvoirs publics. Marche après marche, on grimpe peut-être vers un peu plus de sécurité, un peu plus de rationalité dans la gestion, mais on va aussi vers un peu plus de cupidité où la loi du profit s'impose, fait-il valoir.

L’ancien président de l’Association des sinistrés du 21 septembre explique qu’il s’est montré intraitable et qu’il n’a rien cédé pour que les personnes touchées par la tragédie obtiennent justice. Inspiré par son expérience, il croit que Lac-Mégantic ne devrait faire aucun compromis sur la sécurité jusqu’à ce que le train ne circule plus au centre-ville.

Après de nombreuses années au cœur d’un tourbillon judiciaire et médiatique comme porte-parole des sinistrés, Frédéric Arrou vit aujourd’hui retiré dans un petit village situé à 50 km de Toulouse. Il se réjouit que sa famille n’ait pas subi les contrecoups psychologiques de la catastrophe, alors que d’autres n’ont pas eu cette chance. C’est dans l’action qu’il a trouvé une façon de donner du sens à la colère qui l'habitait.

Quand on agit, on est autre chose qu'une victime. [...] Seul, on n'est rien, mais à plusieurs, on est forts, et c'est ce qui nous a permis, nous, de sortir par le haut.

Une citation de Frédéric Arrou

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