Le devoir de mémoire de la dame de Granit

Le devoir de mémoire habite Colette Roy Laroche, qui a été mairesse de Lac-Mégantic de 2002 à 2015. Celle qu'on a surnommée « la dame de granit » insiste : une décennie après la tragédie, il faut se rappeler et mettre en lumière la grande résilience des siens.

Avant le drame qui a tout changé pour plusieurs, Colette Roy Laroche se rappelle d'une époque où il faisait bon vivre dans cette petite municipalité de l'Estrie.

Je pense que nous étions fiers de notre ville. C'était l'avant. [...] On était, je dirais, pas insouciants, mais heureusement, on ne savait pas ce qui nous attendait.

À 80 ans, elle jette un regard lucide sur les hauts et les bas des 10 dernières années. Quand on vit ce moment-là, quand on regarde vers l'avant, on se dit : "10 ans, c'est long". Mais la reconstruction de l'humain, ça ne se passe pas de la même façon pour chacun. Il faut avoir confiance qu’avec le temps, nous allons y arriver, croit-elle.

Laisser la mémoire parler

Les années qui ont suivi la tragédie resteront à jamais gravées dans la mémoire de Colette-Roy Laroche. Nous nous posons des questions. Comment on va survivre à cet événement? avait-elle dit, la voix teintée par l’émotion, lors d’un premier point de presse organisé après l’explosion. Jusqu’à la fin de son mandat, en 2015, elle a fait une centaine d’autres sorties publiques, qui ont été diffusées bien au-delà des frontières de la province.

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Maintenant retraitée et se tenant loin des projecteurs, elle tient quand même à souligner l’importance de se rappeler. À l’Espace mémoire de Lac-Mégantic, situé où l’ancien Musi-Café a autrefois vu danser ses clients, elle invite les passants à laisser [leur] cœur parler, la mémoire parler en l’honneur des 47 victimes.

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Avancer, malgré les divisions

Le soir de l’explosion, plusieurs maisons et commerces de la rue Frontenac ont, par ailleurs, été rasés par les flammes. La mairesse a, par la suite, dû prendre la décision déchirante de faire démolir des bâtiments encore debout en raison, entre autres, de la contamination des sols.

Je comprends très bien les personnes qui sont nostalgiques de notre beau centre-ville. [...] On ne m'arrête plus sur la rue pour me le dire, mais je sais que les gens, entre eux, s'en parlent. Pour certains, ça a été une mauvaise décision. Pour d'autres, ça a été une bonne décision. Quand on gouverne, il faut être capable de vivre avec ces divisions, raconte-t-elle d'un ton posé.

Trancher dans ce dossier aura, selon elle, permis à sa ville d'avancer.

J'aime regarder le 10^e anniversaire en pensant à ce que nous avons réussi à faire, plutôt que de regarder ce que nous avons perdu. [...] Pour moi, ça ne veut pas dire de ne pas se rappeler ce que nous avons vécu; je pense que ce n'est pas en contradiction. Se rappeler et regarder le chemin parcouru, pour moi, ça fait partie des commémorations.

Courage, solidarité, dignité

Au-delà des choix difficiles, c’est surtout la force de ses concitoyens qui l’a marquée.

Pour moi, la résilience des Méganticois, c'est leur courage, leur solidarité, puis je dirais même la dignité dans laquelle on a vécu les premières années après la tragédie.

Après [l'explosion], j'ai retrouvé mes citoyens engagés, prêts à se reconstruire, qui se sont tenus debout, ajoute-t-elle.

Ce courage a inspiré bien des Québécois. Radio-Canada a pu constater, à son passage à Lac-Mégantic, que c’est encore le cas. Alors que Colette Roy Laroche se promenait dans les rues du centre-ville, fruit du hasard, une passante l'a reconnue et s'est arrêtée pour la remercier de son courage lors de ces années difficiles. Je n’en reviens pas comment vous avez été extraordinaire. [...] J’ai été estomaquée par votre travail! a-t-elle lancé, encore pleine de reconnaissance.

Tournée vers l’avenir

L’ancienne mairesse est toutefois loin d’être figée dans le passé. Elle reconnaît qu’il reste beaucoup de travail à faire dans les prochaines années, surtout du côté de la sécurité ferroviaire. Elle interpelle, à nouveau, Ottawa.

Dans les 10 années, ce qui me choque le plus, c’est de voir l'inaction du gouvernement face à la réglementation ferroviaire. Si, à partir de la tragédie de Lac-Mégantic, les choses ne changent pas, il faut se poser des questions. Qu'est-ce que ça va prendre pour que les choses changent? Quoi faire? Ça prendrait une grande mobilisation citoyenne.

Elle croit fermement à cette démarche, mais admet que quelqu’un d’autre devra prendre le flambeau de cette bataille. Je dois être réaliste : j'avance en âge, je n'ai plus la capacité physique de porter un tel dossier, mais j'espère que ma voix sera entendue, dit-elle, résolue.

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Les sifflements des longs trains qui passent encore dans le centre-ville de Lac-Mégantic lui rappellent d’ailleurs chaque jour les batailles à venir, même si elle prend aujourd’hui cette réalité avec philosophie.

On n'a pas de grand pouvoir actuellement sur le passage du train, alors même si c'est difficile de l'entendre siffler encore, il faut tenter de composer avec cette réalité-là. [...] Ça me rappelle tous les jours ce que nous avons vécu il y a 10 ans, mais ça ne m'empêche pas d'avoir un regard positif sur la vie.

Car les Méganticois sont bien plus que leurs deuils. Lac-Mégantic, c'est une communauté vivante qui sait avancer encore malgré les embûches, malgré les difficultés, malgré la longueur du temps que ça prend pour tout rebâtir. C'est comme ça que je vois ma ville aujourd'hui. J'aimerais que les gens pensent qu'on n’est pas qu'une tragédie; on est du monde, on est des personnes, on est une communauté qui s'est prise en main, affirme l’ancienne mairesse, déterminée, le regard tourné vers l’avenir.

Avec les informations de Marie Eve Lacas