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Quand les verts virent au nucléaire

Pour certains environnementalistes, la solution aux changements climatiques est toute trouvée : c’est l’énergie atomique.

Des gens devant des installations nucléaires.

Des manifestants réunis devant la centrale nucléaire de Tihange, en Belgique.

Photo : Radio-Canada

Devant la centrale nucléaire de Tihange, en Belgique, une centaine de manifestants sont réunis, pancartes à la main. Comme à l’époque du « peace and love », ils entament en chœur la chanson Imagine de John Lennon. Dans cet hymne à la paix, l’ex-chanteur des Beatles rêvait d’un monde sans frontières, détaché des besoins matériels.

Mais ces environnementalistes rêvent d’autre chose : un monde où les centrales nucléaires se multiplieraient et où l’énergie atomique serait disponible à volonté.

S’ils se sont donné rendez-vous ici, le 31 janvier 2023, c’est parce que le réacteur numéro 2 de la centrale nucléaire de Tihange doit cesser ses activités ce soir, à minuit. Myrto Tripathi, présidente de l’association française Les voix du nucléaire, est venue de Paris pour exprimer son désaccord. C’est une énorme erreur de fermer un réacteur qui fonctionne, dit-elle.

Après les accidents de Tchernobyl, en Ukraine, et de Fukushima, au Japon, l’énergie nucléaire faisait craindre le pire. Plusieurs pays ont choisi de fermer leurs centrales. La Belgique en a pris la décision, il y a vingt ans.

Mais dans le contexte des changements climatiques, plusieurs environnementalistes, en Europe et au Canada, veulent faire marche arrière. En voici trois.

Portrait de Myrto Tripathi.

Myrto Tripathi, ingénieure

Photo : Radio-Canada

Des solutions pour le Jour de la Terre

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Une Terre, des mains, un vélo et une ampoule illustrent une entête.

Myrto Tripathi, France

Contrairement à la combustion des carburants fossiles, la fission atomique n’émet pas de gaz à effet de serre, souligne Myrto Tripathi, retrouvée en banlieue de Paris, quelques jours après la manifestation de Tihange.

Ingénieure de formation, elle a travaillé pendant dix ans pour l’industrie nucléaire, avant de devenir militante. Elle assure ne plus recevoir d’argent de l’industrie et mener ses activités par pure conviction. Pour moi, ça ne faisait pas de sens de continuer à gagner ma vie, si cette vie-là ne contribuait pas à l’avenir des autres, à celui de mes enfants, affirme-t-elle.

Pour appuyer ses propos, elle cite les chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC. Dans son rapport de 2014, le Groupe a comparé les émissions de gaz à effet de serre de différentes sources de production d’électricité.

Le charbon arrive loin devant. Pour chaque kilowattheure (kWh) d’électricité, il envoie 820 grammes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère (valeur médiane). Le gaz est deuxième, avec 490 g par kWh. Le solaire en émet dix fois moins, soit 48 g de CO2 par kWh. Mais le nucléaire fait encore mieux, avec 12 g par kWh. Il arrive pratiquement ex aequo avec l’éolien.

Si on ne veut pas brûler de charbon ni de gaz, il faut se tourner vers le nucléaire, quitte à s'accommoder de ses désavantages et à les encadrer, insiste la militante.

Elle ajoute que, contrairement à la croyance populaire, le nucléaire fait moins de morts que les centrales au charbon ou au gaz. Selon des chercheurs de l’Université Columbia, le charbon tue, en moyenne, 29 personnes pour chaque térawattheure d’électricité produit. Le gaz, 3. Et le nucléaire, 0,07.

Les centrales au charbon et au gaz relâchent des particules fines et d’autres polluants dans l'atmosphère. Elles causent des maladies cardiovasculaires, des cancers et des troubles respiratoires. C’est moins spectaculaire qu’un accident nucléaire, mais c’est plus meurtrier.

Portrait de Chris Keefer.

Chris Keefer, médecin

Photo : Radio-Canada

Chris Keefer, Canada

Au Canada, Chris Keefer mène une double vie. La nuit, il est médecin à l’urgence, dans un hôpital de Toronto. Le jour, il milite pour l’énergie nucléaire.

Comme médecin, il a travaillé au sein d’une communauté autochtone, puis dans une clinique pour travailleurs migrants. Depuis qu’il a eu un enfant, il y a 4 ans, il s’inquiète pour l’avenir de la planète. Les changements climatiques sont devenus son cheval de bataille.

En médecine d’urgence, on parle souvent de triage, raconte-t-il alors qu’il sort de l’hôpital. On veut savoir quel est le problème le plus urgent, le patient le plus malade, pour mettre nos efforts au bon endroit. Or, pour ma génération, le problème le plus urgent, ce sont les changements climatiques.

Les énergies solaire et éolienne vont jouer un rôle central pour fermer les centrales au charbon et au gaz, mais, selon Chris Keefer, elles ne pourront pas y arriver toutes seules. Regardez l’Allemagne, dit-il. Le pays a investi des centaines de milliards de dollars dans des projets solaires et éoliens, mais elle brûle plus de charbon que jamais.

Les militants pronucléaires aiment rappeler que les centrales éoliennes et solaires produisent de l’électricité seulement quand il vente ou quand il fait soleil. Voilà pourquoi elles doivent être combinées avec des sources d’énergie pilotables, capables de produire en continu, comme l’hydroélectricité… ou la fission nucléaire.

L’Allemagne avait misé sur le gaz pour combler ses besoins énergétiques pendant les périodes creuses. La moitié de ce gaz arrivait de Russie. Mais lors de l'invasion de l’Ukraine par la Russie, le robinet a été coupé. L’Allemagne a été forcée de rouvrir des centrales au charbon.

Chris Keefer est d'avis que l’Ontario pourrait servir de modèle à d’autres provinces et pays qui dépendent encore des combustibles fossiles. On s’est débarrassé du charbon en Ontario, dit-il. On l’a fait grâce au nucléaire. C’est une technologie éprouvée.

En Ontario, plus de 90 % de l’électricité provient de sources bas carbone : environ 59 % sont produites par la fission nucléaire; 24 % par l’hydroélectricité; 8 % par l’éolien et 1 % à partir de l'énergie solaire.

Portrait de Tea Törmänen.

Tea Törmänen, biologiste

Photo : Radio-Canada

Tea Törmänen, Finlande

Tea Törmänen se bat pour sauver l’hiver. Amoureuse du ski de fond, elle a dû pratiquer son sport sur de la neige artificielle, cet hiver, à Helsinki. C’est triste, constate-t-elle. En Finlande, l’hiver fait partie de notre culture.

Biologiste de formation, elle travaille pour l’organisation environnementale RePlanet. C’est une ONG qui cherche à préserver la nature et à stabiliser le climat, sans compromettre le développement humain. Elle est aussi active en politique depuis sa jeunesse. Elle s’investit auprès de la Ligue verte, le parti vert finlandais.

Comme tous les partis verts d’Europe, la Ligue verte a construit son identité autour de la résistance au nucléaire. Mais en 2022, le parti a changé son fusil d’épaule.

Quand les rapports du GIEC ont commencé à sortir, les gens ont réalisé qu’il y avait urgence, raconte Tea Törmänen. Beaucoup de membres du parti vert se sont dit qu’il fallait utiliser tous les outils à leur disposition.

En Finlande, l’appui à l’énergie nucléaire atteint 60 %. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a accéléré l’adhésion populaire. Les Finlandais ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas dépendre du gaz russe, rapporte la militante.

La Finlande est aussi le premier pays du monde à s'entendre sur un lieu de stockage pour enfouir les grappes de combustible usé de ses centrales nucléaires, des déchets hautement radioactifs. Onkalo, un mot finnois qui signifie caverne, a été creusé sur la côte ouest du pays, à 450 mètres de profondeur, dans le roc. Il est censé protéger les déchets pendant 100 000 ans, le temps de laisser la radioactivité s’estomper. L’ouverture est prévue pour 2025.

Les Finlandais sont des gens pragmatiques, estime Tea Törmänen. Nous faisons confiance à la technologie.

Coûts, retards et angoisse

La bataille des militants pronucléaires est loin d’être gagnée. Malgré leur enthousiasme, l’industrie nucléaire connaît des échecs cuisants. En Finlande, le réacteur de nouvelle génération Olkiluoto-3 est entré en fonction le 16 avril dernier, après 13 ans de retard. Au départ, la facture était estimée à 3 milliards d’euros. Le réacteur aura finalement coûté… 11 milliards d’euros. D’autres projets en Europe et aux États-Unis accusent des retards et des dépassements de coût similaires.

L’autre grand obstacle des militants pronucléaires, c’est la peur. Même si l’énergie nucléaire fait moins de morts que les combustibles fossiles, selon les chiffres, elle inspire l’effroi. S’il y a un nouvel accident comme on a vu à Fukushima, ce sera la fin de l’industrie, prédit Matthew Bunn, spécialiste des politiques énergétiques à l'Université Harvard, à Boston.

Le reportage de Dominique Forget et de Yanic Lapointe, Promesses nucléaires, sera diffusé à l'émission Découverte, dimanche à 18 h 30, sur ICI Radio-Canada Télé.

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