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Envoyée spéciale

Beyrouth à bout de nerfs

« Beyrouth ne crèvera jamais! » Au Liban, l’espoir est tendu de slogans alors que l’avenir ne tient qu’à un fil. Ils sont nombreux à rêver de partir, et pourtant, dans ce pays en décrépitude, des têtes se redressent encore, malgré tout. Récit d’un voyage dans les clairs-obscurs d’une capitale à vif.

Un monument représentant un maillet avec l'inscription « Agir pour la justice » est installé devant les silos détruits du port de Beyrouth.

Un monument représentant un maillet avec l'inscription « Agir pour la justice » est installé devant les silos détruits du port de Beyrouth.

Photo : Associated Press / Hussein Malla

Un monument représentant un maillet avec l'inscription « Agir pour la justice » est installé devant les silos détruits du port de Beyrouth.

Un monument représentant un maillet avec l'inscription « Agir pour la justice » est installé devant les silos détruits du port de Beyrouth.

Photo : Associated Press / Hussein Malla

Il est dit qu’en 5000 ans Beyrouth a été détruite et reconstruite sept fois.

Aujourd’hui, le centre-ville de Beyrouth n’est ni détruit ni reconstruit… Il est juste abandonné.

Un centre-ville fantôme, où les démons du passé côtoient ceux du présent; où les séquelles de la guerre civile de 1975 se mêlent à celles de l’explosion quasi nucléaire du port de Beyrouth, 45 ans plus tard.

Il faut bien connaître cette ville pour distinguer ses cicatrices.

Un immeuble abandonné à l'architecture traditionnelle à Beyrouth.

Le Grand Théâtre de Beyrouth, l'un des nombreux bâtiments en ruines depuis la guerre civile libanaise (1975-1990). Situé non loin du Parlement, il était devenu un lieu de rassemblement pour les manifestants lors de la révolte de 2019. Depuis, les autorités ont bloqué ses entrées avec des blocs en béton.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Là, un immeuble éventré par un obus au milieu des années 1980. Ici, une façade criblée de balles lors d’affrontements armés en 2008. Plus loin, une vitrine fracassée par des manifestants en colère lors de la thaoura, la révolte de 2019.

Depuis, le centre-ville est quasiment fermé aux civils. La place de l’Étoile, qui abrite le siège du Parlement, est quadrillée par des militaires.

Les boutiques haut de gamme et les hôtels de luxe, bordés par les cathédrales, mosquées et vestiges archéologiques, sont en ruines. Des débris de verre et des déchets jonchent le sol.

Un monument représentant un poing fermé et levé avec l'inscription « thaoura » qui veut dire « révolution » en arabe.

Le poing levé de la « révolution » libanaise dans le centre-ville de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

À deux pas de là, la statue de bronze de la place des Martyrs est debout, face au port de Beyrouth, comme un affront.

Derrière, un poing géant, frappé du mot révolution en arabe, résiste, tendu, comme un poing d’honneur.

Et puis, tout autour, il y a ce barrage de graffitis de rage, d'insultes et de revendications : Beyrouth ne crèvera jamais!, À bas le gouvernement de proxénètes!, Votre jour de jugement viendra, salauds!, Vagina power.

Des graffitis dans le centre-ville de la capitale libanaise.

Les manifestants en colère ont cédé leur place aux graffitis dans le centre-ville de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Quand la nuit tombe, tout disparaît. C’est l’obscurité qui l’emporte, et les rues sombrent dans le noir.

Il faut remonter un peu vers le nord, vers les quartiers plus animés, comme celui d’Achrafieh, pour voir des ruelles illuminées.

Au Liban, où les coupures de courant sont légion, l'éclairage public est désormais assuré par des ONG, qui ont installé des panneaux solaires. Idem pour les feux de signalisation.

Un feu qui redémarre, une lueur d’espoir, est-il écrit en français sur une pancarte accrochée en bas d’un poteau, au milieu d’une intersection.

Nous avons illuminé cette rue ensemble, peut-on lire sur une autre pancarte, cette fois en anglais.

Une pancarte indiquant que les feux de signalisation dans cette rue du quartier Achrafieh, à Beyrouth, ont été réhabilités grâce aux efforts d'une ONG.

Une pancarte indiquant que les feux de signalisation dans cette rue du quartier Achrafieh, à Beyrouth, ont été réhabilités grâce aux efforts d'une ONG.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Lamya Karkour est critique. Pour cette jeune militante, rencontrée dans un café d’Achrafieh, ces initiatives ne font qu’engourdir les citoyens.

Du coup, l’État ne fait plus rien et les gens finissent par s’adapter à son absence, dit-elle, la voix cassée, comme si elle avait passé les derniers jours à hurler.

Nous sommes en 2024 et les gens applaudissent parce qu’ils ont de l’électricité, c’est surréel!

Une citation de Lamya Karkour, une des fondatrices de Tri-Pulley

Lamya est l’une des fondatrices de Tri-Pulley. Cette ONG, fondée dans la foulée de la thaoura, a pour mission de générer des emplois à temps partiel pour autonomiser les jeunes qualifiés qui ont perdu leur emploi dans la crise financière de 2019.

On associe, par exemple, un enseignant sans emploi avec une famille dont les enfants sont scolarisés à la maison parce qu’ils n’ont plus les moyens d’aller à l’école, explique Lamya. Nous nous engageons à payer son salaire pendant six mois et, par la suite, nous l’accompagnons pour l’aider à réintégrer le marché du travail.

Une femme souriante assise dans un café.

Lamya Karkour est l'une des fondatrices de l'ONG Tri-Pulley, qui a pour mission d’aider des personnes qualifiées, mais dans le besoin, à joindre les deux bouts.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Selon la Banque mondiale, le taux de chômage chez les jeunes Libanais de moins de 30 ans était de 58 % en 2022. Un record.

Lamya, qui a toujours travaillé dans l’humanitaire, n’a jamais pensé en arriver là. Celle qui aidait les migrants d’une frontière européenne à une autre a décidé de rentrer au Liban en 2019, lors de la révolution. C'était la première fois que je sentais qu’il y avait un changement palpable qui était possible, dit-elle.

Aujourd’hui, la rue s’est calmée sans apporter les changements réclamés par la jeunesse libanaise, mais Lamya ne regrette pas son choix et trouve consolation dans le travail qu’elle fait avec Tri-Pulley.

La seule chose que je trouve dommage, c’est que je n’ai plus aucun de mes amis au Liban, dit-elle. Je suis l’une des rares personnes qui a fait le chemin du retour de l’étranger. Tous les jeunes qui pouvaient partir sont déjà partis, et ceux qui restent… eh bien, ils ne vont pas bien.

Ils sont épuisés.

Il n’existe aucune estimation officielle du nombre de Libanais qui émigrent. Cependant, une étude du centre de recherche Information International indique que plus de 215 000 personnes ont quitté le Liban entre 2018 et 2021.

Plus inquiétant encore : un sondage Gallup réalisé en 2021 révèle que plus de 60 % des Libanais souhaitent émigrer le plus tôt possible.

Le désir de partir a été exacerbé par la pire crise socio-économique que traverse le Liban, marquée par une flambée vertigineuse des prix, une dégringolade historique de la devise nationale, une paupérisation inédite de la population et de graves pénuries.

Selon la Banque mondiale, il s’agit de l'une des pires crises financières au monde depuis 1850.

Le Liban fait par ailleurs face au spectre d’une nouvelle guerre avec Israël, alors que les échanges de tirs entre le Hezbollah et l’État hébreu sont devenus quotidiens, notamment dans les régions frontalières entre les deux pays. Depuis octobre, le conflit a déjà fait plus de 300 morts côté libanais.

Beyrouth au printemps ne ressemble pas à Beyrouth l’été, et encore moins à Beyrouth durant le temps des fêtes, à Noël ou au Nouvel An.

Au printemps, les Libanais de la diaspora n’y mettent que rarement les pieds, le pèlerinage en terre natale étant habituellement planifié en fonction des pauses scolaires.

Quelques clients sont assis à l'extérieur d'un café dans une ruelle sans issue à Beyrouth.

Une ruelle regroupant plusieurs cafés et restaurants dans le quartier de Gemmayzé, à Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Dans les rues de Gemmayzé et de Hamra, les plus branchées de la capitale, plusieurs nouveaux restaurants et bars ont récemment ouvert leurs portes, et la vie semble continuer malgré tout. Comme si de rien n’était… ou presque.

Nous avons besoin d’une leçon de réalisme, dit Lamya Karkour.

Les Libanais qui viennent à Noël ont l’impression que tout va bien, alors qu’en fait ça ne va pas du tout, explique-t-elle. Ceux qu’on voit dans les bars, la nuit, ne représentent pas la majorité des Libanais. [...] Et plusieurs d’entre eux passent toute la soirée à ne consommer qu’une seule boisson.

La majorité souffre en silence, assure encore Lamya. Ceux qui faisaient partie de la classe moyenne se privent de choses essentielles, même de nourriture, ajoute-t-elle.

Vue de face d'une ancienne station-service.

Une ancienne station-service transformée en cuisine communautaire par l'ONG « Nation Station ».

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Dans le quartier de Geitawi, l’un des quartiers qui ont été dévastés par l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, Jenitta Hebbo s’active dans une station-service abandonnée reconvertie en cuisine communautaire.

Baptisée Nation Station, l’ONG offre de l’aide alimentaire aux résidents du quartier qui sont dans le besoin.

Chaque semaine, des plats chauds sont distribués à 750 familles.

Tous les jours, une à cinq nouvelles personnes se présentent à nos portes pour demander de l’aide, raconte Jenitta, assise près de la cuisine installée dans l’espace qui servait autrefois au lavage des autos.

Nous ne pouvons pas aider tout le monde. Si nous existons, c’est parce que l’État est absent, mais c’est sûr que nous ne cherchons pas à le remplacer. Nous ne pourrons jamais le faire.

Une citation de Jenitta Hebbo

Une partie des activités de Nation Station est financée grâce au Fonds canadien d’initiatives locales (FCIL), notamment son programme visant à autonomiser les femmes, comme les cours d’impression sur textile ou encore des cours de cuisine offerts par des travailleuses migrantes d’Éthiopie ou du Népal.

Une jeune femme souriante.

Jenitta Hebbo, de « Nation Station », une ONG qui offre de l’aide alimentaire dans un quartier dévasté par l’explosion du port de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Mais les besoins sont énormes et l’ONG, par manque de fonds, a dû abandonner certains services essentiels, comme la clinique médicale qui offrait des consultations gratuites aux personnes qui en ont besoin.

Avec la profusion des ONG au Liban, la compétition aux subventions est rude. Chaque association improvise et redouble de créativité pour devenir plus autonome financièrement et collecter des fonds. L’une organise des soirées culinaires, une autre des soirées de jeux de société...

Fin février, Tri-Pulley a levé des fonds en organisant la projection du documentaire Anxieux à Beyrouth du jeune réalisateur Zakaria Jaber.

Interdit de projection par les autorités libanaises, le film, qui retrace les dernières années dans un Liban à bout de nerfs, a été visionné dans une salle de l’ambassade de France à Beyrouth.

L’avion ou le cercueil? Soit tu pars, soit tu crèves…

C’est le choix cornélien qu’impose le film à la jeunesse libanaise. Des mots répétés comme un mantra.

Les silos du port de Beyrouth.

Les silos du port de Beyrouth. L'explosion du 4 août 2020 a détruit plusieurs quartiers de la capitale libanaise.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Dans l’une des scènes, Zakaria demande à Ruby, une de ses amies qui a été grièvement blessée par l’explosion du port : De quoi as-tu peur? Maintenant que le pire est déjà arrivé…

Je ne sais pas, dit-elle, le regard hagard. Mais y a-t-il quelqu’un qui n’a pas essayé de nous tuer? Merde! [Vivre au Liban] c’est comme vivre avec quelqu’un qui tente de te tuer par tous les moyens, mais tu ne sais pas exactement qui c'est.

Pour de nombreux Libanais, il y a un avant et un après l'explosion.

C’est notamment le cas de Chérine Yazbeck, journaliste et artiste plasticienne, dont la maison, qui se trouve à deux kilomètres du port, a été soufflée par la déflagration.

Chérine est debout en face des silos de grains à moitié détruits, les cheveux roux flamboyant au vent.

Une femme aux cheveux roux devant le port de Beyrouth.

La journaliste et artiste libanaise Chérine Yazbeck en face du port de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

L’incessant ballet de camions qui chargent et déchargent leurs conteneurs au port est assourdissant. Une odeur nauséabonde plane dans l’air, des sacs d’ordures traînent tout autour.

Dès le lendemain de l’explosion, Chérine a pris sa caméra et a commencé à disséquer la scène du crime à la recherche de réponses, pour comprendre ce qui s’est passé.

Elle vient de clore une exposition, le résultat de ses recherches, avec comme pièce maîtresse deux maquettes représentant les silos de grains, avant et après l’explosion.

Des maquettes représentant les silos du port de Beyrouth, avant et après leur destruction.

Des maquettes représentant les silos du port de Beyrouth, avant et après leur destruction, lors d'une exposition à la galerie Art Design Lebanon.

Photo : Facebook/Art Design Lebanon

D’une part, je voulais montrer que ces silos, qui représentaient le fleuron de l’économie libanaise, ont bien existé, explique-t-elle. Ensuite, je voulais montrer comment tout a été détruit, pour ne jamais oublier.

Ce qui s’est passé est plus que catastrophique, poursuit Chérine. C’est le résultat de plusieurs années de négligence, de corruption, de mauvaise gouvernance de la part d’un État failli…

La déflagration a été provoquée par un incendie dans un entrepôt où étaient stockées sans précaution des tonnes de nitrate d’ammonium, malgré des avertissements répétés aux plus hauts responsables.

Tout comme Ruby, Chérine sent elle aussi le danger qui guette de partout.

Cette fois-ci, l’explosion s’est produite au port, mais cela aurait pu se produire n’importe où, parce que, dans ce pays, on n’est à l’abri de rien.

Une citation de Chérine Yazbeck, journaliste et artiste plasticienne
Des hommes et des femmes tenant des portraits de personnes tuées dans l'explosion du port de Beyrouth.

Des proches de victimes de l'explosion du port de Beyrouth manifestent depuis bientôt quatre ans pour réclamer justice.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Gaïa Fodoulian, 29 ans, se trouvait chez elle, à la maison, quand sa vie a été fauchée par la déflagration qui a ravagé la moitié de la capitale. Plus de 230 autres personnes ont été tuées ce jour-là et 6000 autres ont été blessées.

Comme tous les 4 de chaque mois, depuis bientôt 4 ans, sa sœur, Mariana et une quinzaine d’autres proches de victimes se rassemblent en face du port, au pied de la statue de l’Émigré, pour réclamer justice et rappeler aux autorités leurs responsabilités.

J’ai 33 ans et je n’ai jusqu’à présent jamais vu un responsable libanais se faire juger pour un crime qui a été commis dans le pays, dit Mariana. Mais je ne baisserai jamais les bras, jusqu’à ce que justice soit faite.

J’espère que la mort de nos proches ne sera pas vaine et qu’elle apportera le changement tant désiré dans ce pays. Mais, pour l’instant, le Liban demeure le pays de l’impunité.

Une dizaine de personnes rassemblées sous une statue.

Tous les 4 de chaque mois, une manifestation a lieu sous la statue de l'Émigré libanais en face du port de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Les autorités libanaises rejettent toute enquête internationale sur l’explosion du port de Beyrouth, alors que l’enquête locale piétine en raison d’ingérences politiques. Les mandats d’arrêt contre de hauts responsables ont été révoqués et les 17 personnes détenues sans jugement depuis l’explosion ont été libérées.

Les responsables font tout pour saboter l’enquête, accuse Mariana, qui affirme vouloir rester au Liban malgré tout, par amour pour sa sœur qui a tant aimé ce pays.

Ma sœur avait fait ses études en design à l’étranger et avait décidé de retourner vivre au Liban car elle ne voulait pas être loin de son pays, raconte Mariana. C’est pour cela que c’est important pour moi de lui rendre justice, pour que tous ceux qui aiment le Liban, comme Gaïa, puissent un jour revenir vivre dans leur pays.

Les silos du port de Beyrouth vus de loin.

Les silos du port de Beyrouth vus du quartier de Gemmayzé.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Il est 18 h 07. C’est l’heure à laquelle l’onde de choc provoquée par l’explosion du port a ravagé tout ce qui était sur son passage.

C’est aussi l’heure de pointe, les artères de la ville sont bouchées.

Une minute de silence s’impose au milieu du brouhaha des klaxons et des moteurs.

Nombreuses sont les voitures qui circulent sans plaque d'immatriculation, les centres d'enregistrement des véhicules étant fermés depuis des mois en raison de la crise économique.

Encore un signe de l’absence de l’État…

Un monument sur une place publique vide.

Place des Martyrs, dans le centre-ville de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Pour déjouer les embouteillages, il y a la radio.

L’animateur veut savoir : les Libanais sont-ils pour ou contre l’intervention du Hezbollah contre Israël?

Un auditeur appelle. Que Dieu protège le Hezbollah et éloigne les gens qui le détestent et qui lui veulent du mal, dit-il.

On n’est plus capables de vivre dans ce pays à cause du Hezbollah, lui rétorque un autre.

Le débat s'échauffe.

Moi, je m’attends à ce qu’on reçoive une bombe nucléaire sur la tête, lance une auditrice. J’espère que non, mais c’est ça mon feeling.

Il ne nous manquerait plus que cela…, lui répond l’animateur.

Sur une autre chaîne, c’est la voix du chanteur libanais Mike Massy qui résonne.

Je n’en peux plus de Beyrouth, de ses bouchons, de ses maisons. Je veux m’évader, dit sa chanson. Je veux faire mes valises et partir. [...] Je n’ai plus envie d’écouter les nouvelles. Des mensonges, jour et nuit. Je veux m’évader.

Une murale représentant un astronaute contrôlant avec une manette un cerveau qui plane au-dessus d'une ville en feu.

Les murs du centre-ville de Beyrouth sont envahis par des murales et des graffitis.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Retour dans les rues désertes du centre-ville, place de l’Étoile, en face du parlement.

C’est ici qu’a élu domicile Melhem Khalaf, l’un des treize députés issus du mouvement de la contestation de 2019.

Depuis plus de 400 jours, M. Khalaf campe à l’intérieur du parlement. Il exige l’élection d’un président de la République, un poste vacant depuis plus d’un an et demi.

Divisé, le Parlement libanais a échoué à maintes reprises à élire un successeur à Michel Aoun, et le gouvernement intérimaire est incapable de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour la reprise de l’aide internationale.

Une rue du centre-ville de Beyrouth complètement vide.

Une rue du centre-ville de Beyrouth complètement vide.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

M. Khalaf est assis dans le salon d’une église voisine du parlement, une grande salle vide qui sert habituellement aux condoléances, une pile de documents à ses côtés.

Je suis occupé à n’en plus finir, mais c’est très difficile de s’organiser quand on n’a que deux heures d'électricité par jour.

C’est aussi très très difficile d’être privé de douche et d’eau chaude pendant plus de 400 jours. Pour se laver, il utilise les robinets des toilettes et, pour dormir, une banquette lui sert de lit.

Mais ce sit-in n’en est pas un. Pas à ses yeux.

Je ne suis pas en train de protester, assure ce soixantenaire. Je ne fais qu'exécuter l'obligation constitutionnelle à laquelle je suis soumis en tant que député, explique-t-il sur un ton solennel, comme s’il donnait un cours magistral.

Ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth, il enseigne le droit à l’Université Saint-Joseph.

Un homme debout.

Le député indépendant Melhem Khalaf devant le Parlement libanais.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Je suis là parce que je tiens à la démocratie et aux libertés fondamentales, qui sont en perte de vitesse dans ce pays. Le monde risque de perdre un État démocratique au Liban. Il faut le sauver et il faut faire vite.

Une citation de Le député Melhem Khalaf

M. Khalaf en veut particulièrement aux gouvernements occidentaux qui envoient leurs diplomates à Beyrouth pour rencontrer les responsables politiques libanais « qu'ils traitent pourtant ouvertement de mafieux ».

Les ministres occidentaux hissent les valeurs démocratiques dans leur propre pays, mais baissent ce fanion une fois arrivés ici, déplore-t-il.

Mais ce qu'il déplore par-dessus tout, c’est l’hémorragie de la jeunesse libanaise.

Le plus grave, c’est que les parents sont heureux quand leurs enfants quittent le pays, dit M. Khalaf. On n’a plus le droit de laisser nos enfants partir. Ils sont devenus des projets de valises, alors que le pays a besoin d’eux.

L’État, c’est nous!, s’insurge le député, qui appelle plutôt les responsables au pouvoir à plier bagage.

Graffiti d'une silhouette représentant un révolutionnaire avec l'expression « poste vacant ».

Un graffiti qui semble déplorer le manque de leadership dans le mouvement de contestation libanaise de 2019. Vu dans une rue du quartier branché de Gemmayzé, à Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Ce sont des miliciens qui ont [fait] la guerre [...] qui gouvernent le pays depuis plus de 30 ans, accuse-t-il. Ils ont mis à plat le peuple libanais, ils l’ont terrassé, ils lui ont volé son argent. Et maintenant ils se font passer pour des sauveurs. Ça ne marche pas!

Les choix suicidaires, il faut arrêter, tranche-t-il.

M. Khalaf dit ne pas compter les jours. Il est prêt à camper dans le parlement jusqu’à la fin de son mandat, jusqu’en 2026.

Réussira-t-il son pari?

Ce n’est pas important, répond-il sur un ton assuré. C’est pour les jeunes que je le fais. Ils doivent savoir qu’au bout du tunnel, il y a encore une petite bougie allumée.

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