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Des vagues déferlent sur une plage.

Le lac Érié, ce grand malmené

Plus grandes réserves d'eau douce de la planète, les Grands Lacs font l'envie du monde entier. Cependant, des décennies de rejets polluants rendent cet écosystème vulnérable, comme le démontre l'exemple du lac Érié. Malgré des améliorations et l’adoption de règles favorables, il est toujours très mal en point et sa situation suscite de l'inquiétude.

J'ai passé beaucoup de temps ici quand j'étais jeune, à faire des châteaux de sable. J'ai eu beaucoup de coups de soleil, nous raconte Kevin Ferguson, beaucoup plus âgé aujourd'hui, pendant qu'il marche là où il a toujours marché : sur la grande plage de Port Stanley, en Ontario.

En ce début de juillet, l’endroit est plein de gens qui se baignent dans le lac Érié. C'est une belle journée et l'eau est bonne.

Kevin contemple d'ailleurs le lac avec un brin de nostalgie. Quand je le regarde, j'imagine l'émerveillement qu'ont ressenti les Premières Nations et les premiers explorateurs européens quand ils l'ont découvert. Ils ont dû être stupéfaits.

Cependant, Kevin n'a jamais vu ce lac en bon état. Il a plutôt vu un lac pollué par endroits, un lac qui souffre de la présence de cyanobactéries, ces algues bleu-vert. Tout cela m'inquiète beaucoup, reconnaît l’agriculteur.

Kevin Ferguson observe le lac Érié.

Kevin Ferguson connaît bien le lac Érié, et ce, depuis l'enfance.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Ce grand lac est magnifique, mais il est en mauvaise santé, résume Jérôme Marty, directeur général de l'Association internationale de recherche sur les Grands Lacs.

Parmi les cinq Grands Lacs, c'est le lac Érié qui a subi les plus grandes sources de stress : urbain, industriel, agricole. Il y a depuis longtemps une perte de qualité d'eau énorme.

Une citation de Jérôme Marty, directeur général, Association internationale de recherche sur les Grands Lacs

Avec ses 25 000 km², le lac Érié est le quatrième en superficie de tous les Grands Lacs. Seul le lac Ontario est un peu plus petit. Le lac Érié est le moins profond, avec une profondeur moyenne de 19 mètres. C'est aussi le lac le plus au sud, donc avec le climat le plus chaud, et là où il y a le plus d'interactions humaines.

Il y a 30 millions d'habitants dans le bassin des Grands Lacs. Il y en a environ 10 millions qui habitent autour du lac Érié, explique Jérôme Marty.

Une pollution qui ne date pas d'hier

Des années 1920 aux années 1960, l'industrie lourde, bien présente dans la région de Détroit et de Cleveland, a utilisé le lac Érié et ses affluents comme de véritables poubelles. Ajoutons à cela tous les déversements d'eaux usées des villes, riches en phosphore.

Dans les années 1960, le lac Érié était très riche : il y avait beaucoup de nutriments, beaucoup de problèmes d'algues, explique Jérôme Marty.

La pollution industrielle dans les eaux était telle que la rivière Cuyahoga, qui coule vers le lac Érié tout près de Cleveland, en Ohio, a pris feu en 1969. Cet incident a provoqué une onde de choc et un éveil collectif sur l'état pitoyable du lac Érié.

Une usine au bord du lac Érié.

Depuis très longtemps, l'industrie lourde utilise le lac Érié et ses affluents comme des poubelles.

Photo : Radio-Canada

En réaction, en 1972, les États-Unis ont adopté la Loi sur la qualité de l'eau. Cette loi a permis de diminuer la quantité de rejets industriels et de phosphore, entre autres grâce à une modernisation des usines de traitement des eaux usées. Petit à petit, la santé du lac s'est améliorée.

Toutefois, au milieu des années 1980, la moule zébrée, une espèce exotique venue d'Asie, est venue bouleverser l'équilibre du lac.

La moule zébrée a été pour certains une bonne nouvelle puisque c'est une espèce qui se nourrit d'algues. Donc, elle est venue nettoyer naturellement l'ensemble des Grands Lacs et en particulier le lac Érié, relate Jérôme Marty.

Alors, dans les années 1980, on a observé que la transparence de l'eau avait beaucoup augmenté. Les eaux sont redevenues claires, poursuit le chercheur.

Jérôme Marty est assis sur une souche près du lac Érié.

Jérôme Marty est le directeur général de l'Association internationale de recherche sur les Grands Lacs.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Des eaux plus claires, sans algues, c’était certes une bonne nouvelle, mais la santé du lac ne s'était pas améliorée pour autant, loin de là.

Les nutriments n'avaient pas disparu. Ils ont été déplacés de la colonne d'eau au fond du lac, où ils ont été stockés grâce à la moule zébrée, explique M. Marty.

Aujourd'hui, si on réussissait à couper tous les apports en nutriments, on en aurait encore pour des années et des années de nutriments qui viennent du fond qui et sont relargués dans la colonne d'eau.

Une citation de Jérôme Marty, directeur général, Association internationale de recherche sur les Grands Lacs

Les apports en phosphore n'ont pas diminué, bien au contraire.

Alors qu'il y a un déclin industriel et une diminution des déversements des villes, l'agriculture est en plein essor et s'intensifie autour du lac Érié, en Ontario et, surtout, en Ohio. Comme partout, l'utilisation de fertilisants et de produits azotés ainsi que l'épandage de fumiers de toutes sortes favorisent les écoulements de nutriments vers les cours d'eau qui se jettent dans le lac Érié.

On a vu une réapparition des proliférations de cyanobactéries au début des années 1990. Et depuis, ça ne cesse d'augmenter. On a même enregistré des taux de prolifération de cyanobactéries parmi les plus élevés, explique Jérôme Marty.

Des algues bleu-vert dans le lac Érié.

Le lac Érié souffre d'une forte prolifération de cyanobactéries.

Photo : Shutterstock

La crise de l'eau de Toledo

En août 2014, la ville de Toledo, en Ohio, a vécu l'impensable : son système d'eau potable a été mis à l'arrêt! Cette ville de 500 000 habitants ne pouvait plus utiliser l'eau de son unique source, le lac Érié.

La contamination aux algues bleu-vert était trop intense et l'usine de traitement des eaux n'arrivait pas à traiter l'eau. Pendant plus de deux jours, les citoyens ont dû s’approvisionner autrement en eau potable.

Ça a été la panique. Tout s'est vendu instantanément. Ma femme a conduit pendant quatre heures pour aller chercher de l'eau à 7 ou 8 h du matin, raconte le journaliste Tom Henry du quotidien Toledo Blade, qui a couvert l'événement.

Ça a été une révélation pour beaucoup de gens. Pour la première fois, quelque chose qu'on tenait pour acquis, l'eau potable, ne l'était plus. Ça fait peur!

Une citation de Tom Henry, journaliste, Toledo Blade

Cette crise a provoqué quelques changements dans la région de Toledo.

D'abord, la Ville a dû investir des millions de dollars pour améliorer son usine de traitement des eaux.

Un système d'alerte aux algues bleu-vert a aussi été instituée. Des bouées de détection ont été installées à plusieurs endroits sur le lac et il y a maintenant des analyses fréquentes de l'eau par de nombreux chercheurs.

Malgré tout, la santé du lac s'améliore peu. Quand les algues sont très présentes, ce qu'on appelle des conditions anoxiques apparaissent. Une baisse de l'oxygénation très importante fait en sorte que les organismes ne peuvent plus vivre, souligne Jérôme Marty.

L'agriculture intensive, coupable?

Une mégaferme laitière en Ohio.

Dans l'ouest de l'Ohio, les terres ont un des plus grands systèmes de drainage souterrain du continent.

Photo : Radio-Canada

Ce n'est pas bien de polluer impunément nos eaux et nos lacs. Il leur revient [aux responsables] de régler les problèmes qu'ils créent, pas nous, lance Sandy Bihn quand on la rencontre sur son terrain qui borde le lac Érié.

Cette résidente affirme passer le plus clair de son été à regarder les cyanobactéries qui flottent sur le lac et qui l’empêchent de se baigner.

Pour Mme Bihn, il est évident que l'agriculture est responsable de ce désastre. Ce n'est pas compliqué : pour améliorer la qualité de l'eau du lac, il faut réduire les polluants à la source. Et quand on a du fumier qui s'écoule dans le lac et qu'on ne fait rien, ça continue à être un problème, déplore-t-elle.

L'écoulement de nutriments vers les rivières est un problème partout où il y a de l'agriculture. Sauf que dans l'ouest de l'Ohio, le phénomène est plus marqué qu'ailleurs.

En raison de la taille des exploitations, l'épandage est plus important. L'Ohio possède aussi un des plus grands systèmes de drainage souterrain du continent.

Le lac vu entre des arbustes.

Le lac Érié a été creusé au fil du temps par le passage de glaciers.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Dans cette région, les sols sont argileux et l'eau y pénètre difficilement, explique Laura Johnson, directrice du Centre national de recherche sur la qualité de l'eau à l'Université Heidelberg, en Ohio. Le drainage est bien pour l'agriculture mais beaucoup moins pour les Grands Lacs puisque l'eau sort des terres agricoles très rapidement.

Laura Johnson fait partie de ces équipes de chercheurs et d'universitaires qui surveillent la qualité de l'eau du lac Érié et de ses affluents afin de suivre la formation d'algues bleu-vert.

Elle s'intéresse à la rivière Maumee. Ce cours d'eau prend sa source dans l'Indiana pour se jeter dans le lac Érié à Toledo.

C'est par cette rivière que coule la majorité des nutriments agricoles vers le lac Érié. Le bassin versant de la rivière Maumee est une zone très agricole et très peuplée. C'est la densité la plus élevée de tous les bassins hydrographiques qui se jettent dans l'un ou l’autre des Grands Lacs.

Ce n'est pas nécessairement qu'il y a plus de fertilisation ici qu'ailleurs. La plupart des agriculteurs font ce qu'on leur recommande de faire. C'est plutôt une mauvaise gestion des endroits où ils mettent les engrais. Et comme il y a beaucoup d'agriculture, le problème d'écoulement est amplifié, note Mme Johnson.

Des réglementations encadrent l'épandage de fertilisants. Mais tous les chercheurs à qui nous avons parlé estiment qu'elles sont peu contraignantes.

Les agriculteurs sont davantage incités à faire des efforts par des mesures volontaires.

Le problème, c'est que peu de gens sont prêts à prendre le risque de ne pas mettre de fertilisants ou d'adopter de nouvelles pratiques. Ça dépend des agriculteurs.

Une citation de Laura Johnson, directrice du Centre national de recherche sur la qualité de l'eau, Université Heidelberg
Ils regardent devant eux.

Nandita Basu, professeure d'écohydrologie à l'Université de Waterloo, et Kevin Ferguson, agriculteur.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Nous avons aménagé des zones humides et quelques étangs, fait valoir Kevin Ferguson quand on le rencontre sur sa ferme, tout près de Port Stanley, en Ontario. Il a obtenu de l'aide financière pour restaurer des milieux humides.

Il est accompagné de Nandita Basu, professeure d'écohydrologie à l'Université de Waterloo. Elle étudie l'impact de ces milieux humides sur la qualité de l'eau d'un bassin versant.

Ces zones humides absorbent l'eau de ruissellement des champs agricoles et retiennent les nutriments qui aideront à la croissance des plantes, donc ça reste ici, ça ne va pas dans le lac Érié. De cette façon, on protège le lac, assure la chercheuse, qui tente de multiplier ce genre d'initiatives chez les agriculteurs ontariens.

C'est peut-être une goutte dans l'océan, mais si on les multiplie, lentement, nous verrons une amélioration.

Une citation de Nandita Basu, professeure d'écohydrologie, Université de Waterloo
Un héron.

Des ornithologues viennent de partout pour observer les oiseaux migrateurs, très présents autour du lac Érié.

Photo : Benoît Livernoche

L'état du lac Érié représente un grand défi de gestion commune entre le Canada et les États-Unis. Il est difficile de conjuguer le développement économique et les politiques de deux pays avec la protection environnementale.

On a réussi à réduire la quantité de nutriments d'origine agricole. Il n'y a pas de doute et il faut le souligner. Malheureusement, ce n'est pas assez, estime Jérôme Marty. Pour lui, il faut sérieusement envisager des mesures beaucoup plus strictes et des règles pour réduire les écoulements de nutriments vers le lac.

On ne peut pas revenir à ce qu'il était lorsque les Premières Nations et les premiers explorateurs l'ont découvert. On ne peut pas revenir à cette époque, se désole Kevin Ferguson. Il pense néanmoins que chaque effort de réhabilitation en vaut la peine.

L'écosystème d'aujourd'hui n'est pas celui que mes parents ont connu ni celui que j'ai connu quand j'étais jeune, dit-il. Je ne doute pas que le lac se réinventera : il l'a déjà fait un grand nombre de fois. Mais est-ce que nous voulons prendre part à ce processus?

Deux reportages de Benoît Livernoche sur le lac Érié ont été présentés à l'émission La semaine verte, diffusée sur ICI Télé le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 ainsi que sur ICI RDI le dimanche à 20 h.

Usine aux abord du la Érié

Le lac Érié, ce grand malmené

Photo : Radio-Canada

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