Des groupes dénoncent la lenteur d’Ottawa à arrêter l’élevage du saumon en filet ouvert
Une entreprise piscicole dans les îles Discovery, en Colombie-Britannique. (Photo d'archives)
Photo : Fournie par Mowi
Des scientifiques, des groupes de défense de l’environnement et une alliance de plus de 120 Premières Nations s’indignent de la lenteur du gouvernement fédéral avec laquelle honore sa promesse de mettre un terme à l'aquaculture du saumon en filets ouverts dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique d'ici 2025.
Le saumon sauvage du Pacifique est au bord de l’extinction
, souligne l’avocat de l’organisme Wild First, Sean Jones. Je n'ai donc qu’une seule question, pour un seul homme, Justin Trudeau : "Allez-vous tenir votre promesse?"
Le saumon quinnat est une des espèces de saumon sauvage du Pacifique.
Photo : Fournie par le gouvernement du Yukon
Près de 12 ans après les conclusions de la commission Cohen et malgré les engagements pris par le gouvernement fédéral depuis plusieurs années, la transition de l’industrie du saumon d’élevage se fait toujours attendre.
Du retard, encore du retard
Depuis l’été 2022, Pêches et Océans Canada mène des consultations, entre autres, auprès du gouvernement britanno-colombien, des Premières Nations, des acteurs de l’industrie et des ONG pour mettre sur pied un plan de transition pour une aquaculture plus durable.
Ce plan devait être dévoilé en juin 2023, mais près d’un an plus tard, toujours rien.
Les consultations se sont achevées le 15 mars dernier et Pêches et Océans Canada confirme qu'aucune décision n’a été prise
jusqu'à maintenant au sujet de ce plan.
La protection du saumon sauvage du Pacifique est une priorité
, rappelle pourtant le Ministère. L’un des éléments consiste à assurer que notre industrie aquacole est durable, innovante et réduise au minimum les interactions entre les poissons d’élevage et les poissons sauvages.
Pêches et Océans Canada demeure déterminé à travailler sur un plan responsable d’abandon de l’élevage du saumon en parcs en filet sur les côtes de la Colombie-Britannique d’ici 2025.
Dans sa réponse, le Ministère n’explique cependant pas les raisons de son retard.
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Des doutes et une enquête
Le Ministère nous cache des données dans ce processus
, dit Bob Chamberlin, président de l'Alliance des Premières Nations pour la protection du saumon sauvage.
Le président de l’Alliance du saumon sauvage des Premières Nations, Bob « Gala'game » Chamberlin, s'était rendu à Ottawa en novembre dernier pour dénoncer les fermes d'élevage.
Photo : La Presse canadienne / Spencer Colby
Les délais accusés et ce qu'il considère comme un manque de transparence du Ministère viennent accentuer la remise en question de la position réelle du gouvernement dans ce dossier.
De nouvelles allégations, dévoilées cette semaine dans le Globe and Mail, visent notamment deux fonctionnaires de Pêches et Océans Canada, les accusant de taire les résultats de recherche de certains scientifiques à l’interne dans le but de protéger l’industrie.
En 2023, le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes a déposé un rapport qui recommandait notamment 13 enquêtes différentes portant sur la manière dont le Ministère réglemente cette industrie, entre autres pour déterminer si des gestionnaires du MPO influençaient les scientifiques de manière contraire à l'éthique
, indique l’avocat Sean Jones, qui représente le fondateur de Wild First, Tony Allard.
Le MPO ayant refusé de mener l'une ou l'autre de ces enquêtes, M. Allard s'est tourné en dernier recours vers le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada
, ajoute Sean Jones. Nous sommes heureux de voir que la commissaire [Harriet Solloway] a décidé de prendre cette question au sérieux et a confirmé, la semaine dernière, qu’elle enquêterait sur ces allégations.
Sean Jones était présent lors d'un point de presse mardi à North Vancouver, aux côtés de chefs de Premières Nations et de représentants d'organisations telles que la Fondation David Suzuki, la Fondation du saumon du Pacifique, Living Oceans et Watershed Watch.
Photo : Radio-Canada
Une des recommandations présentées en 2023 par le Comité permanent des pêches et des océans a demande ceci : Compte tenu du conflit d’intérêts entre le mandat du MPO en matière d’aquaculture et l’application du principe de précaution et la crise actuelle pour la santé des stocks de saumon sauvage du Pacifique, le gouvernement doit mettre en œuvre, sur la côte ouest seulement, la recommandation no 3 du rapport de la commission Cohen sur l’état du saumon sauvage.
Cette recommandation stipule qu'Ottawa doit supprimer la promotion de l’industrie salmonicole et de son produit, le saumon d’élevage, du mandat du ministère des Pêches et des Océans du Canada
.
L'enquête ne se limite pas à certains individus. Nous sommes fermement convaincus qu'il ne s'agit pas seulement de quelques pommes pourries
, poursuit Sean Jones. Il s'agit d'un verger empoisonné. La mauvaise conduite et les problèmes du MPO sont-ils systémiques? Oui, tant que le mandat est double.
Le Commissariat à l’intégrité du secteur public est notamment responsable du système externe de divulgation des actes répréhensibles au sein de la fonction fédérale.
De son côté, le bureau du Commissariat à l’intégrité du secteur public refuse de confirmer l'existence ou non d'une enquête. Par courriel, sa directrice de l'information, Bronwyn Johns-O'Hara, précise que le bureau ne peut communiquer d'informations relatives aux enquêtes en vertu de ses règlements.
Les informations ne sont rendues publiques par le Commissariat qu'en cas de constatation d'un acte répréhensible.
Elle ajoute que, lorsqu'une enquête a lieu, le processus est confidentiel et que le Commissariat à l’intégrité du secteur public fait ce qu'il peut pour la terminer dans un délai d'un an.
Du côté du ministère des Pêches et des Océans du Canada, on dit prendre au sérieux toute allégation d’inconduite, y compris de la part de tiers
.
La ferme de saumons de l'entreprise Cermaq, à Tofino, sur l'île de Vancouver, en Colombie-Britannique.
Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu
Des courants opposés
La pression sur le gouvernement fédéral s’accentue d’autant qu’il ne reste qu’un peu plus d’un mois avant l'expiration de la totalité des permis d’élevage en milieu marin en Colombie-Britannique, le 30 juin.
Actuellement, 85 permis de pisciculture en milieu marin sont actifs dans la province, selon Pêches et Océans Canada. Presque tous incluent du saumon.
Les titulaires demandent le renouvellement de 66 permis, et le MPO prépare actuellement des recommandations relatives à leur renouvellement, notamment une décision sur leur durée.
Aucune décision n’a encore été prise sur une nouvelle délivrance de ces permis.
De son côté, la Coalition des Premières Nations pour la gestion responsable du poisson, qui regroupe 17 Premières Nations en faveur de l’industrie, fait valoir le droit à l’autodétermination et demande à ce que les permis soient renouvelés pour une durée de six ans.
Le secteur représente plus de 500 emplois pour nos communautés locales et injecte plus de 50 millions de dollars par année. [...] Les gouvernements fédéral et provincial ont l'occasion de montrer que les Premières Nations côtières peuvent non seulement participer à l'économie bleue de la Colombie-Britannique, mais aussi en être les chefs de file
, estime la Coalition des Premières Nations.