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Des Sherbrookois exaspérés par le climat de peur dans leur immeuble

Le 33 rue Bowen Sud.

Le 33 rue Bowen Sud est un édifice géré par l'Office municipal d'habitation.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

Des vols, des excréments dans les laveuses collectives, des agressions physiques et verbales : des résidents du 33, rue Bowen Sud à Sherbrooke sont excédés par le climat de peur qui sévit dans leur immeuble et par la dégradation des lieux. Ils demandent une action rapide de la part des autorités pour retrouver la quiétude qu’ils ont connue.

Ma télévision, mon système informatique et je me suis fait voler [aussi] mon coffret de sûreté et de bijoux, raconte, en soupirant, Hélène, une résidente âgée de l’immeuble. Affirmant avoir été victime de menaces de la part de certains voisins, elle a accepté de nous raconter ce qu’elle vit sous le couvert de l’anonymat, car elle a peur de représailles. La liste de ses doléances est longue. Je me suis fait harceler et on a même voulu me battre. On m’a craché dessus. C’est épeurant!

Hélène et près d’une dizaine d’autres résidents de cette habitation à prix modique de l’Office municipal d'habitation (OMH) de Sherbrooke ont invité des élus à les rencontrer pour leur faire part des préjudices qu’ils disent subir, jour après jour, à leur résidence. Harcèlement, intimidation, menaces au couteau, entrées par effraction, cases postales brisées : ils débitent, l’un après l’autre, tous les événements survenus au cours des derniers mois qu’ils ont notés sur des feuilles de papier. Les listes s’étirent sur plusieurs pages. 

Ces résidents dénoncent également les va-et-vient continus d’inconnus dans leur immeuble, parfois visiblement intoxiqués ou en état de crise, ce qui exacerbe leur sentiment d’insécurité. Mais exaspérés par une situation qui semble figée et par les longs délais de réponse, plusieurs d’entre eux admettent qu’ils n’appellent plus la police… ou évitent de le faire, toujours par crainte d’être la cible de violence.

Les policiers sont tellement écœurés qu’ils nous disent d’aller vivre ailleurs!

Une citation de Hélène, résidente
Une pipe en verre servant à fumer du crack.

Du matériel de consommation de drogue peut être trouvé sur le plancher devant la porte d'entrée de l'immeuble.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

Plusieurs autres résidents affirment également que des policiers ont indiqué que la situation était attribuable au fait de vivre au centre-ville, et qu’il fallait s’y accommoder. Contacté à ce propos, le Service de police de Sherbrooke (SPS) a refusé de répondre à ces allégations.

On est pris avec des gens qui font de la vente de drogue, déplore pour sa part Laurent, qui a aussi demandé l'anonymat par crainte qu'on ne s'en prenne à lui. Dans notre bloc, une personne s’est fait prendre avec 39 plants de pavot. [...] On est victime de violence. Les gens sont intimidés, se font bousculer ou se font dire que, la prochaine fois, ça va être leur tour.

L’intérieur de l’immeuble de 58 logements, construit en 2012, laisse par ailleurs à désirer. Plusieurs murs sont couverts de graffitis ou troués. Des rampes et des pancartes ont été arrachées. Des déchets, du matériel de consommation de drogue ou encore des mégots de cigarette jonchent les corridors, alors que l’immeuble est non-fumeur. Le bloc a d’ailleurs subi un dégât d’eau important à la suite du dernier déclenchement des gicleurs par la fumée d’un article de fumeur à la fin 2022. Le plafond du premier étage n’a toujours pas été réparé, et les moulures sont toujours manquantes. Au troisième étage, dans la cage d’escalier, une flaque d’urine a séché contre le mur.

Une flaque d'urine séchée sur le plancher.

Une flaque d'urine a séché dans la cage d'escalier de l'immeuble.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

Les gens se servent des aires communes, de l’ascenseur et des corridors comme des toilettes pour faire leurs besoins, déplore Hélène.

C’était un endroit où il faisait bon vivre avant, ajoute-t-elle. J’aimais ça, moi. C’était beau, c’était propre, propre, propre. Mais là, maintenant, non.

Un commerçant, qui a tenu à rester anonyme, affirme qu’il voit régulièrement des interventions des services d’urgence dans cet immeuble. Quant au SPS, il confirme simplement qu’il doit intervenir régulièrement dans ce secteur.

Des graffitis sur un mur fraîchement réparé.

Plusieurs murs montrent des signes de récentes réparations, mais une bonne proportion, particulièrement dans les cages d'escalier, sont troués ou vandalisés.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

Plus grand qu’un problème de voisinage 

Selon les résidents qui se sont confiés à Radio-Canada, les problèmes ont commencé à poindre il y a quatre ans et se sont accentués avec la pandémie.

[Il y a le] manque de logements, suggère Laurent. Les gens ont peut-être un manque de ressources pour avoir de l’aide. Et il y a des gens qui sont tellement pris dans l’engrenage [de la toxicomanie] que c’est la seule chose qu’ils connaissent, soit faire de la prostitution ou de la vente [de drogues].

Aux voisins difficiles s’ajoute également la problématique de l’itinérance qui grandit à Sherbrooke. Plusieurs personnes nous ont rapporté que, depuis la fermeture de l'hôtel Albert, il y a beaucoup plus de personnes itinérantes qui réussissent à rentrer dans l'immeuble et utilisent les lieux de façon inappropriée, confirme la directrice générale de l’OMH de Sherbrooke, Marie-Claude Bégin.

Ils réussissent à rentrer et frappent aux portes. On se fait réveiller à toute heure, ça sonne partout, puis ça demande de l'aide. [...] On se retrouve en chicane avec ces gens-là et on ne sait plus quoi faire. On n’est pas des thérapeutes, on est juste des locataires!

Une citation de Laurent, résident
L'hôtel Albert, sur la rue King Est.

L'hôtel Albert, un hôtel bon marché situé à quelques mètres de l'immeuble d'habitations, a fermé ses portes en raison de la dangerosité des lieux. Il accueillait généralement de 20 à 30 personnes vulnérables.

Photo : Radio-Canada / Jean Arel

Le coordonnateur à la Table itinérance de Sherbrooke, Gabriel Pallotta, rappelle que la problématique de la santé mentale et de la toxicomanie prend de l’ampleur à Sherbrooke. L’itinérance s’est accentuée avec les années, affirme-t-il. À l’hôtel Albert, il y avait une vingtaine de résidents, et c’est sûr que lorsque cela a fermé, cela a causé une problématique qui s’est accentuée assez rapidement. Beaucoup de suivis ont été effectués. Certains ont décidé d’intégrer les services du territoire, d’autres se sont retrouvés dans des campements. C’est difficile de faire la relation exacte, mais c’est sûr que cela a une influence.

Une situation « exceptionnelle »

Je suis sous le choc, admet la conseillère municipale du district du Pin-Solitaire, Hélène Dauphinais, après avoir écouté les résidents. C’est la première fois que je suis confrontée à cette situation.

Cette dernière avoue qu’elle se doutait que l’immeuble avait des problèmes à la suite de la saisie de plants de pavot. Elle craignait également les répercussions de la fermeture de l’hôtel Albert et que ça crée une onde dans le quartier, mais à l’intérieur des immeubles de logements, je ne pensais pas ça!

De son côté, la directrice générale de l’OMH, Marie-Claude Bégin, admet qu’elle était bien au fait de la situation du 33, rue Bowen, qu’elle qualifie d’exceptionnelle même si l'OMH a tendance à voir ce même type de situation dans les immeubles du centre-ville. Elle affirme cependant que l’organisme est déjà en action et que la sécurité des locataires les préoccupe beaucoup.

Des interventions ont été faites et il y a des interventions qui sont encore en cours, que ce soit par nous ou nos partenaires. On travaille en collaboration avec le milieu.

Un plafond nécessitant des réparations.

Les plafonds n'ont toujours pas été réparés depuis le dégât d'eau survenu à la fin 2022. Selon l'OMH, les délais sont cependant normaux, puisqu'il y a des démarches administratives à effectuer.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

Les résidents soutiennent pourtant qu’ils ont interpellé l’OMH à de multiples reprises, mais que celle-ci fait la sourde oreille. On m’a dit : "si vous n’êtes pas content monsieur, vous n’avez qu’à résilier votre bail", dénonce Laurent.

On rappelle tous les gens, rétorque Marie-Claude Bégin. Si les gens se plaignent des mêmes choses plusieurs fois, c’est là qu’on a tendance à moins rappeler. [...] Mais, il faut prioriser les interventions et il y en a en cours qui sont confidentielles.

La directrice explique, entre autres, que pour évincer un locataire ayant un comportement inapproprié, une preuve doit d’abord être accumulée, puis déposée au tribunal avec l’appui des locataires prêts à témoigner. Ça peut arriver que les délais prennent jusqu’à deux ans, explique-t-elle. 

Quant aux travaux qui tardent, la directrice explique que les délais sont habituels, puisqu’il faut aller en appel d’offres. Le minimum a été fait [pour le moment], affirme-t-elle.

Une approche multidisciplinaire

Mis au fait de la situation et devant l’ampleur des problèmes, le conseiller municipal et président de l’OMH, Raïs Kibonge, a discuté la semaine dernière avec Marie-Claude Bégin et le conseil municipal pour faire le point sur la situation. Ils veulent aussi définir des pistes de solutions à venir avec les différents intervenants du milieu, comme le SPS, la Table itinérance et le CIUSSS de l’Estrie - CHUS. Chose certaine : tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une situation complexe nécessitant une action concertée. 

On a à la fois une situation qui touche l'itinérance, qui touche le savoir-vivre, qui touche la sécurité des personnes. Ça prend plusieurs actions pour les adresser. [...] Mais l’ampleur de toute la problématique, concentrée en un seul endroit, ça m’a vraiment surpris.

Une citation de Raïs Kibonge, conseiller municipal et président de l'OMH
Des mégots de cigarettes sur le plancher et des graffitis sur les murs.

Des graffitis couvrent plusieurs murs de l'immeuble et des mégots de cigarette jonchent le sol, alors que l'endroit est non-fumeur.

Photo : Radio-Canada / Marie-Claude Lyonnais

C’est certain qu’on va se mettre en action pour les aider, pour faire changer les choses , martèle, pour sa part, sa collègue du conseil municipal, Hélène Dauphinais. 

Les solutions rapides sont toutefois rares, notent les élus, tout comme Gabriel Pallotta de la Table itinérance de Sherbrooke. La crise du logement n’aide vraiment pas, souligne-t-il. Le fait que sur le terrain actuellement, le marché de la drogue est vraiment terrible, on se retrouve avec des gens dont les problèmes sont accentués par la mauvaise qualité de ce qu’ils consomment. Il faut réussir à se parler entre les différents partenaires, à voir s’il y a des trous de service. Ce qu’on voit, pour le moment, c’est qu’il manque de ressources au total et ce n’est pas un service qui va régler le problème.

Il invite par ailleurs les résidents à continuer à porter plainte pour réussir à mener à bien des enquêtes, même si cela peut prendre des semaines. Il y a des processus super confidentiels, rappelle-t-il. 

Malheureusement, il faut s’armer de patience. [...] C’est un problème systémique.

Une citation de Gabriel Pallotta, coordonnateur de la Table itinérance de Sherbrooke

Quant aux locataires du 33, Bowen Sud, ils n’ont aucunement l’intention de déménager. Ils se disent fiers et satisfaits de leur logement, sans compter que les loyers abordables se font très rares à Sherbrooke. J’ai toujours voulu rester, et j’ai l’intention de rester. C’est ma place, martèle Laurent. Ces gens-là devraient comprendre qu’on veut simplement vivre en harmonie.

C’est un endroit que j’aime. Mais aussi, rendu à un certain âge, c’est difficile de déménager, de faire des boîtes, ajoute Hélène.

Ils espèrent néanmoins une intervention rapide, et que leur cause soit prise au sérieux avant que la situation ne se détériore davantage.

On pense tous qu’il y a quelque chose de dangereux qui va arriver éventuellement, craint Laurent. 

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