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Violences familiales : sécurisation culturelle et écoute des victimes à Lac-Simon

Le policier Sylvain Babin et la chercheuse de l'Université du Québec en Outaouais (UQO) Audrey Rousseau ont présenté le fruit de leur collaboration lors du 91e Congrès scientifique de I'Acfas, qui se déroule du 13 au 17 mai.

Le policier est en compagnie d'un de ses collègue.

Sylvain Babin est enquêteur spécialisé dans les violences entre partenaires intimes au sein de la communauté anishnabe de Lac-Simon.

Photo : Service de police de Lac-Simon

Documenter et changer les pratiques policières en matière de suivi des personnes victimes de violences entre partenaires intimes (VPI) en milieu autochtone, c’est l’objectif d’un projet pilote qui a vu le jour il y a près d’un an à Lac-Simon.

Le policier Sylvain Babin y est devenu la personne-ressource sur ces enjeux et travaille de concert avec une chercheuse afin que ce modèle d'intervention puisse améliorer la prise en charge des familles.

Sylvain Babin a grandi dans la petite communauté anishnabe de Lac-Simon, située à une trentaine de kilomètres de Val-d'Or, en Abitibi-Témiscamingue. Après plus de 10 ans au sein du corps policier de la communauté, le trentenaire a accepté, en janvier 2023, de troquer sa casquette de patrouilleur pour revêtir celle d'enquêteur spécialisé dans les dossiers de violences commises par des partenaires intimes.

Un poste créé sous l'impulsion du Plan d'action gouvernemental en matière de violence conjugale du Québec. Il y a quelques mois, l'Université du Québec en Outaouais (UQO) s'est greffée au projet afin de mieux documenter les violences familiales en contexte autochtone.

Dans le Service de police de Lac-Simon, seulement 5 policiers sur 24 sont autochtones. Je suis très fier d'avoir obtenu ce poste, car je suis de la communauté. Le lien de confiance avec les gens est déjà là, explique le policier. On aimerait aussi être un modèle positif pour les jeunes, ajoute-t-il.

En plus d’intervenir sur le terrain, Sylvain Babin a pour mandat d’accompagner les familles aux prises avec ces violences et de diriger les victimes d'une manière culturellement sécurisante vers les services les plus adaptés.

Avant que j’arrive [à ce poste], il n’y avait pas de suivi, pas d’information. Des policiers différents arrivaient sur les lieux des violences sans connaître les antécédents des personnes. S’ils n'arrêtaient pas le suspect, ils repartaient sans ouvrir de dossier. Maintenant, ça a changé.

Une citation de Sylvain Babin, enquêteur spécialisé en VPI

Le policier veille désormais à compiler les cas de VPI et à retranscrire les histoires recueillies. Il produit ensuite des statistiques destinées à l'usage de son service, des élus de Lac-Simon, mais aussi du centre de santé et des chercheurs.

L'affiche à l'entrée de la communauté de Lac-Simon.

L'affiche à l'entrée de la communauté de Lac-Simon.

Photo : Radio-Canada

Sylvain Babin est aussi devenu l’interlocuteur privilégié des instances judiciaires, des organismes communautaires et des intervenants de santé, tels que le réseau de Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) ou la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Ça leur facilite les procédures d’avoir une seule personne à contacter et qui suit les dossiers, précise-t-il.

D'autres communautés, telles qu'Obedjiwan, Pessamit ou encore Mashteuiatsh, ont des policiers spécialisés en prévention des violences conjugales, mais il y a encore peu de policiers autochtones ayant le statut d'enquêteur VPI comme Sylvain Babin.

Dans le cadre de ce projet pilote, le terme de violence conjugale n’est pas employé, car il ne reflète pas l'organisation spécifique des dynamiques familiales en milieu autochtone, selon les chercheurs. Les termes suivants sont préférés :

  • Violence familiale : appellation qui renvoie à l’histoire de la colonisation des Autochtones aux prises avec des politiques gouvernementales visant la désintégration des familles.
    Source : L'approche autochtone en violence familiale, Femmes autochtones du Québec, 2011
  • Violences entre partenaires intimes (VPI) : expression qui vise à décrire une forme répandue de violence fondée sur le sexe. Les VPI prennent en compte les violences psychologiques, physiques, financières et sexuelles. Elles impliquent plusieurs configurations de relations amoureuses, de couples, de parentalités, de fréquentations...
    Source : Enquête québécoise sur la violence commise par des partenaires intimes, Institut de la statistique du Québec, 2021

Cartographier

Ce projet veut ouvrir la voie à une version 2.0 d’un programme d’accompagnement des victimes de violence entre partenaires intimes qui respecte les besoins et visions des femmes et des filles anishnabeg.

Une citation de Audrey Rousseau, professeure au Département des sciences sociales de l’UQO

L'initiative locale de lutte contre les VPI s’inscrit dans un projet de recherche plus vaste de l'UQO, celui de cartographier le phénomène des femmes et filles autochtones disparues et assassinées au Québec, car les chiffres manquent dans la province, affirme Mme Rousseau, responsable de ce projet.

Lors de sa conférence au Congrès de l’Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (Acfas), lundi, la chercheuse a néanmoins rappelé que près des deux tiers des femmes autochtones au pays ont subi une forme ou une autre de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. C’est une proportion considérablement plus élevée que les femmes non autochtones, citant le plus récent rapport de Statistique Canada.

Audrey Rousseau, professeure au Département des sciences sociales de l’UQO.

Audrey Rousseau, professeure au Département des sciences sociales de l’UQO.

Photo : Université du Québec en Outaouais

De son côté, l'enquêteur Babin a présenté quelques données. Il a rapporté que, pour l’année 2023, plus de 3800 appels ont été faits au service de police de Lac-Simon pour des faits diversifiés et que 174 dossiers ont été ouverts pour des VPI. Pour une communauté qui compte moins de 3000 habitants, c’est énorme, a-t-il commenté.

Il a précisé qu’environ 85 % de la communauté de Lac-Simon vit avec le bien-être social. Les violences familiales y sont accrues et le sentiment d’insécurité, élevé, à l’instar de nombreuses autres communautés autochtones en raison des différents traumatismes liés à l’histoire coloniale et aux violences institutionnelles, a souligné la chercheuse de l’UQO.

Les intervenants ont tous deux mentionné l’importance de mettre en place des solutions venant des communautés autochtones elles-mêmes, rappelant ainsi les recommandations de la commission Viens sur la valorisation des services de police autochtone pour accroître la confiance et le sentiment de sécurité des populations face au service public.

Rester dans la communauté

Sylvain Babin est entouré de quatre autres policiers. Ils sourient.

Sylvain Babin (à droite) est enquêteur spécialisé dans les violences entre partenaires intimes au sein de la communauté anishnabe de Lac-Simon.

Photo : Service de police de Lac-Simon

Pour Sylvain Babin, avoir grandi sur le territoire et comprendre les différents enjeux auxquels sont confrontés les membres de sa communauté, c’est un grand avantage.

Ce sont souvent des gens que je connais, alors je vais essayer de parler le plus possible avec eux. La plupart du temps, les victimes se sentent à l’aise de me parler. Je suis là pour sécuriser la situation.

Une citation de Sylvain Babin

Lorsque le policier est confronté à des membres de sa propre famille – ce qui est déjà arrivé –, il explique qu’il demande à des collègues enquêteurs d’intervenir pour préserver la discrétion ou éviter le conflit d'intérêts. J'essaye d'être complètement transparent par rapport à ça, assure-t-il.

La priorité de l'enquêteur est de placer les victimes en lieu sûr et de s’assurer de la sécurité des enfants. Le problème reste qu’il n’y a pas de maison d’hébergement à Lac-Simon. Les personnes victimes, majoritairement des femmes, sont donc orientées vers des services à l'extérieur de la communauté, comme à Val-d’Or. Nous avons beaucoup de retrait de plaintes pour cette raison, explique le policier.

[Les victimes] retirent leur plainte parce qu’elles ne veulent pas être séparées des enfants ou se retrouver à l’extérieur de la communauté. J’essaye toujours de leur dire de conserver leur plainte et qu’il y a des solutions, mais ce n’est pas facile.

Une citation de Sylvain Babin

L'enquêteur précise toutefois que le nombre de retraits de plaintes a diminué depuis qu'il est en poste. Il favorise le déplacement des victimes chez des parents au sein dans la communauté.

Une maison d'hébergement près du poste de police de Lac-Simon devrait voir le jour dans les prochaines années, mais le projet est toujours en attente de financement.

Par ailleurs, il n’y a pas encore de ressources pour accompagner les agresseurs à Lac-Simon, comme c’est le cas pour la communauté atikamekw qui participe au Programme de mesures de rechange pour les adultes en milieu autochtone (PMRA).

Si le projet est entièrement financé par Québec jusqu’en 2027, il faudra attendre encore quelques mois pour dresser un tableau clair des besoins et des lacunes en matière d’intervention des VPI dans la communauté. Le policier espère la pérennité et le développement de ce projet collaboratif.

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