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Dans les coulisses d’une candidature olympique

Candidature de Paris 2012

Paris candidate pour les JO de 2012

Photo : afp via getty images / ERIC FEFERBERG

Paris accueillera des athlètes et spectateurs du monde entier en juillet prochain pour les Jeux olympiques et fera rayonner la France. La candidature de la Ville Lumière pour l’obtention des JO a toutefois subi de nombreuses défaites avant de trouver le chemin de la victoire.

Le 6 juillet 2005, à Singapour, la délégation française, gonflée à bloc, est convaincue pour ne pas dire certaine de l’emporter et d'accueillir les Jeux olympiques de 2012.

Pour ce faire, elle a sorti les gros canons : des médaillés olympiques et champions du monde comme le judoka David Douillet, le canoéiste Tony Estanguet, le basketteur vedette de la NBA Tony Parker, la triple championne olympique Marie-José Pérec et l’un des meilleurs joueurs de soccer de la planète, Zinédine Zidane.

Quatre autres villes sont en lice pour la finale : Londres, Madrid, New York et Moscou. Les candidatures russes et américaines sont éliminées au premier tour.

Il faut quatre tours de scrutin pour départager les trois autres. Au dernier tour, il ne reste que Londres et Paris. C’est finalement la capitale anglaise qui l’emporte 54 voix contre 50.

Le premier ministre Tony Blair soutient la candidature olympique.

Candidature de Londres pour les JO de 2012

Photo : Getty Images / Graeme Robertson

La candidature parisienne subissait ainsi un autre échec cinglant, après celui des Jeux d’été de 1992 attribués à Barcelone et ceux de 2008, à Pékin. Presque 20 ans après ce troisième revers, Armand de Rendinger, qui était alors responsable des relations internationales de la candidature de Paris, revient sur cette déconfiture.

Je suis le coresponsable de l’échec de Paris 2012 avec Bertrand Delanoë, l’ancien maire de Paris, et Jacques Chirac, alors président de la République, déclare d’emblée celui qui avait le mandat de rencontrer l’intégralité des membres du Comité international olympique (CIO) afin qu’ils votent pour sa candidature.

La première question qu’il faut se poser, c’est : "Pourquoi veut-on les Jeux? Quel est l’objectif véritable que l’on veut atteindre? Pour le sport? Pour le prestige du pays? Pour la communication? Pour avoir un héritage?" Ensuite, on commence à remplir un dossier technique avec des critères fixés par le CIO et dont on ne peut pas déroger, explique le spécialiste.

La deuxième question, c’est : "Pourquoi allait-on attribuer les Jeux à Paris plutôt qu’à Londres ou qu'à Madrid?", poursuit Armand Rendinger. En quoi le CIO serait-il dans l’obligation d’accorder les Jeux à Paris? Parce que ce sont les Jeux du centenaire? Ou parce qu’on les a perdus à deux reprises? Ce sont les deux questions qui demandent une réponse : pourquoi on veut les Jeux, et pourquoi on nous les attribue. Dans le cas de la candidature de Paris pour 2012, on ne s’est pas posé la deuxième question. On était tellement certain des attraits de Paris, qui ne sont plus à présenter, que c’est ce qui a causé notre perte.

Les jeux de coulisses de l'attribution des Jeux

Pour la plupart des observateurs de l’époque, la France avait sans doute le meilleur cahier de charges, mais il fallait ensuite convaincre les membres votants du CIO d'appuyer la candidature parisienne. Toutefois, le critère le plus important pour la victoire, selon Armand de Rendinger, était le critère affectif.

"Tu me demandes, Armand de Rendinger, de voter pour toi? Mais quel est mon intérêt?" Et là, c’est la porte ouverte à beaucoup de choses. Par exemple, un membre qui vous dit : "Moi, j’adore Paris, mais j'aimerais que mes enfants aillent à la Sorbonne. Que vous aidiez mon comité national olympique à se développer…" Il va donc se passer des choses qui dérogent à l’éthique du CIO. Alors, même si on a le meilleur des dossiers et la meilleure stratégie, si on ne gagne pas sur le terrain affectif, on perd la partie.

Le premier crie et l'ancien président a l'air inquiet.

Bertrand Delanoë et Jacques Chirac

Photo : Getty Images / Andrew Wong

Armand de Rendinger explique que dans une équipe de candidature, il y a les permanents, il y a les politiques qui échangent avec les États, dont font partie les membres du CIO, et il y a tous les commanditaires qui contribuent au financement de la candidature et qui ont des intérêts dans certains pays. Il faut donc composer avec tous ces membres qui n’ont qu’un seul but : gagner à tout prix.

Certains diront que cela s’appelle acheter des voix et j’étais au courant que cette pratique existait, reconnaît Rendinger. J’ai participé à une douzaine de candidatures, dont 10 ont gagné. Et chaque fois, la question s’est posée : est-ce que l’on joue à ce jeu-là ou pas? La question se pose. Je l’ai posée au comité de candidature et le non a été catégorique. Je leur ai simplement répondu que c’était une saine position de ne pas offrir de l’argent, car si on le fait avec lui, qui vous garantit qu’il ne le fait pas avec d’autres? Par contre, l’aide au développement d’un pays, cela existe et cela contribue effectivement à faire basculer des voix.

De grandes trahisons

Lors du vote tenu à Singapour, à la surprise générale, Londres gagne. La réplique des perdants ne se fait pas attendre. À l’issue du vote favorable aux Anglais, le maire de Paris Bertrand Delanoë y va d’une réponse cinglante devant les médias.

On ne s’est pas battus avec les mêmes armes, affirme-t-il. Je veux être fair play… Mais Tony Blair [alors le premier ministre britannique, NDLR] la ramenait beaucoup et recevait des membres du CIO dans sa chambre d’hôtel, alors que c’est interdit. Je ne dis pas qu’ils ont flirté avec la ligne jaune, ils sont passés de l’autre côté de la ligne. Voilà pourquoi on a perdu.

La victoire s’est faite sur autre chose que l’olympisme.

Une citation de Bertrand Delanoë, ancien maire de Paris

Le responsable des relations internationales pour la candidature parisienne a rencontré individuellement 90 % des membres votants du CIO et avoue aujourd’hui que certains l’ont trahi.

Ce qui se passe dans les coulisses d’un vote pour l’attribution des Jeux ressemble étrangement à ce que l’on observait dans la Rome antique, et même aujourd’hui dans la curie romaine, quand il s’agit d’élire un pape, affirme Rendinger.

Tout au long du processus, vous estimez un peu les voix assurées et celles qu’il vous faut assurer. Trois mois avant, nous étions donnés largement favoris et, à partir de là, on a arrêté de travailler. "Laissons tranquilles ces membres du CIO, la victoire est acquise." Madrid et Londres ont sauté sur l'occasion pour redoubler d’ardeur. On a été trahis par sept voix. Après le vote, j’ai rencontré ces personnes et deux d'entre elles m’ont dit qu’elles avaient voté pour Paris durant les trois premiers tours et qu’au dernier, elles avaient changé leur vote, car elles ne voulaient pas que Londres soit humiliée.

L'ancien premier ministre anglais serre des mains à Singapour.

Tony Blair soutient la candidature de Londres 2012.

Photo : afp via getty images / SAEED KHAN

Armand de Rendinger accuse lui aussi Tony Blair d’avoir dérogé au code d’éthique du CIO.

Durant 72 heures, Tony Blair a reçu dans sa suite les trois quarts des membres du CIO, ce qu’aucune autre candidature n’a fait. Alors qu’est-ce qui s'est dit, je ne le sais pas, mais ils ne se sont certainement pas juste regardé dans le blanc des yeux. Alors, est-ce que des promesses ont été faites, peut-être? Mais de voir défiler tous ces membres votants de manière opaque, ce n’était sûrement pas pour rendre hommage au premier ministre qu’il était. C’est un peu fort de café!

La France artisane de son propre malheur

Presque 20 ans plus tard, Armand de Rendinger note que la défaite parisienne est due essentiellement aux caractères singuliers des Français.

Les Français ont une fâcheuse manière de se comporter en terrain conquis et de penser que tout leur est dû, parce que c’est Français, parce que c’est Paris, parce qu’il y a la tour Eiffel, parce qu’il y a le parfum et les jolies femmes, parce qu’il y a la bouffe. Donc, il y a une paresse qui s’instaure.

Un homme sourit en tenant dans sa main une multitude de billets.

Jean-Claude Killy et les billets des JO d'Albertville en 1992

Photo : afp via getty images / PASCAL GUYOT

Pour Armand de Rendinger, même si les règles d'attribution ont changé, car de nos jours une seule ville est choisie directement sans une véritable course, il est convaincu que le choix reste une question d’intérêts.

Des intérêts politiques, nationaux, personnels et même des intérêts de carrière, au CIO ou ailleurs. Les villes candidates amènent leur partition et si la musique vous plaît, vous votez pour ce programme. Ce n’est donc pas le meilleur qui gagne, affirme le spécialiste, qui conclut en parlant de l'avenir.

Mais attention, l’avenir pourrait être sombre, car des pays peu regardants sur les droits de la personne, comme le Qatar, l'Arabie saoudite, la Chine ou la Russie, sont en train de redistribuer les cartes du sport mondial, souligne-t-il. Et cette course à la meilleure candidature olympique risque de devenir obsolète.

Le 13 septembre 2017, lors de la 131e session du CIO, à Lima, au Pérou, les Jeux olympiques de 2024 ont été attribués à Paris. Il faut dire que la France n’a aucun adversaire, car pour une première fois dans l’histoire olympique, les Jeux sont directement attribués à une ville sans course préalable.

Dans ce contexte, l’écrivain français Alexandre Dumas s’est peut-être trompé quand il a écrit que, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Il faut croire que d’autres attraits sont à prendre en considération.

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