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Ramener les morts à la vie

Ramener les morts à la vie

Texte : Caroline Lévesque | Photographies : Antho Poulin et Steve Skafte

Publié le 1 décembre 2021

Steve Skafte a trouvé une manière de ressusciter les défunts – en quelque sorte. Il s’est donné comme mission de retrouver les cimetières abandonnés de la Nouvelle-Écosse, d'en redresser les tombes, et de les cartographier. Grâce à ce photographe solitaire devenu explorateur de lieux perdus, différentes générations peuvent renouer avec leurs racines, et ce, bien après que les pierres tombales ont disparu de la mémoire collective.

L’homme de 34 ans nous donne rendez-vous à l’hôtel de ville de Bridgetown. Il vaut mieux le suivre, car il nous amène dans un lieu difficile à localiser, même pour les gens de cette petite communauté rurale près de la baie de Fundy dans la vallée d’Annapolis, où Steve Skafte a habité toute sa vie. Direction Port Wade, à 30 minutes de là.

Nous nous dirigeons vers le cimetière abandonné Mariner's Section Burial Ground, qui avait d’abord été redécouvert dans les années 1990 par un groupe de citoyens qui s’étaient donné comme mission de l’entretenir… pour le laisser retomber aussi vite dans l’oubli. Seules des boîtes postales sur le bord de la route indiquent l’endroit où s’arrêter.

Un homme marche dans sentier boisé.
Entrée du cimetière abandonné Mariner's Section Burial Ground, à Port Wade, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

Dévoué, Steve Skafte a mis plusieurs jours au printemps dernier à dégager un chemin vers le cimetière dans la flore abondante, armé de ses pinces pour arracher les hautes herbes et les branches robustes.

Pendant qu’il marche vers les sépultures, il continue méticuleusement à élaguer ici et là quelques roses sauvages qui ont repoussé, même si elles ne sont pas encombrantes. En perfectionniste, il se donne cette responsabilité de rafraîchir son travail.

Cinq minutes de marche suffisent pour arriver là où une vingtaine de pierres tombales sont étalées sur un terrain partiellement dégagé qui longe le magnifique bassin d’Annapolis. À quelques mètres de là, on entend des bruits de construction sur un terrain voisin. La vie suit son cours, une nouvelle maison se construit tout près de ce lieu figé au 19e siècle, dont quelques monuments portent les noms notamment de fratries d’enfants.

Les enfants, c’est justement ce qui a motivé Steve à entamer des recherches plus approfondies dans les cimetières en 2019. Sur ses réseaux sociaux, il a eu ce désir de documenter le destin tragique d’enfants et d’adolescents, souvent emportés par des maladies infectieuses telles que la diphtérie, la scarlatine ou la rougeole, comme il arrivait souvent il y a environ 200 ans.

Personne ne se souvient des enfants, car c’est la branche généalogique qui se brise… il n’y a plus de descendants directs après eux, se désole-t-il. Et souvent, ils ne sont même pas dans les registres familiaux. Et ce bris, ce vide, c’est quelque chose qui le touche.

Les tombes qu'il trouve sont souvent celles de familles du 19e et du début du 20e siècle qui sont parties de la région, laissant derrière elles des souvenirs et des cimetières que le temps a fini par avaler. Steve Skafte met ces lieux secrets sur une carte en espérant les protéger, par exemple d’un entrepreneur qui voudrait passer son bulldozer sur l’un d’entre eux, mais aussi pour inviter les gens de sa communauté à aller s’y promener.

Chaque après-midi, il part avec son sécateur, son trépied et son appareil photo à la recherche de ces lieux abandonnés.

Pour l’aider dans sa quête, il s’appuie sur les souvenirs de gens des environs. On lui envoie régulièrement des indications sur sa page Facebook Abandoned Cemeteries of Nova Scotia, un groupe qu'il a créé il y a tout juste un an, mais qui rassemble une communauté de plus de 6200 membres.

Il a déjà découvert plus de 50 cimetières abandonnés, seulement dans le comté d’Annapolis.

Je pense que je les ai tous trouvés… mais on ne sait jamais, souligne-t-il.

Il admet que la période de pandémie a eu un impact dans ses recherches. Il y a eu des mois où je n’ai pas quitté mon comté. Un temps parfait pour découvrir de nouveaux secrets près de chez moi.

Steve Skafte au Mariner's Section Burial Ground, à Port Wade, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Gracieuseté/Steve Skafte

Hommage à ces vies oubliées
Hommage à ces vies oubliées

Steve nous a amené au cimetière Mariner's Section Burial Ground, croyant également qu’il pourrait trouver de nouvelles tombes inconnues. Un bout du terrain attire son attention. Il n’y a pas d’arbres qui y poussent, seulement de la broussaille. Regardez la disposition de la végétation; il y a [une grande probabilité] de trouver quelque chose en dessous.

Après avoir aplati un peu la terre avec ses pieds, puis l’avoir balayée de ses mains gantées, il ne trouve finalement rien. Mais l’homme est déterminé, obstiné. Si je reviens après une pluie, cela aura peut-être érodé encore un peu la terre, et je pourrai voir apparaître un petit bout de pierre.

Pour faire ses fouilles, il n’utilise que les éléments de la nature et essaie de laisser le moins possible son empreinte là où il passe. Il a même découvert qu'avec un certain type de neige particulièrement fine, des pierres tombales auparavant illisibles devenaient lisibles.

Même chose pour la pluie, qui nettoie les monuments.

Quand Steve Skafte a foulé le sol de cet endroit pour la première fois, en mars, celui-ci était complètement envahi par la végétation. Des pierres étaient endommagées, tombées, d’autres, enfouies de quelques pouces sous terre. Avec seulement une petite pelle, il a redressé ces stèles de calcaire ou de grès, les types de roche utilisés à l’époque pour fabriquer les monuments funéraires, et les a remises sur leur socle ou posées contre un arbre.

Il en a laissé d’autres sur le sol, trop fragiles ou même trop lourdes, après avoir enlevé la saleté de leur surface avec ses mains seulement.

Il se fie à la Loi sur la protection des cimetières et des monuments de la Nouvelle-Écosse, qui permet aux personnes d'entrer dans ces lieux et d'effectuer les travaux jugés nécessaires pour les préserver. Cette loi garantit un accès à tout le monde, même sans permission. Pour lui, c’est un laissez-passer vers l’histoire.

Tout au long de la fin de l'été et du début de l'automne, l’homme dévoué est retourné seul entretenir chacun des cimetières abandonnés découverts au cours de la dernière année, s’appropriant ces jardins secrets et leurs histoires gravées dans la pierre qui lui sont désormais familières.

Une pierre tombale dans un boisé.
Une pierre tombale au cimetière Mariner's Section Burial Ground, à Port Wade, en Nouvelle-Écosse. Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

Selon lui, le travail vaut la peine d’être fait pour rendre hommage à ces vies ordinaires dont plus personne aujourd’hui ne parle ou ne se souvient, même s’il sait que la nature reprendra ses droits dans quelques mois à peine s’il n’intervient plus dans ces lieux. Car comme le dit ce chercheur de tombes dans une vidéo mise en ligne sur ses réseaux sociaux l’an dernier : Les morts meurent deux fois; d'abord pour les vivants, puis encore dans l'oubli.

Mais voilà qu’il tient à leur donner un nouveau souffle, comme un dernier moment de grâce. Pour lui, l’action lente de désherber ces lieux perdus avec un minimum d’outils comporte des instants méditatifs, mais aussi émotifs. Quand je découvre quelque chose, mon cœur bat vite, à cause de l’activité physique que ça crée, mais aussi parce que je ressens une sorte de trépidation. C’est comme si on me disait un secret que personne ne savait.

Personnage débordant de romantisme, il descend un peu le collet de son t-shirt et montre une chaîne à laquelle est accroché son anneau de mariage. Dans ces moments-là, je peux sentir mon pouls avec l’anneau qui bat sur mon cou.

Steve Skafte qui photographie des pierres tombales abandonnées au cimetière Anderson Burial Ground, à Upper Granville, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

Cartographier la mort
Cartographier la mort

À presque 1800 kilomètres du comté d’Annapolis, à Windsor, en Ontario, un chercheur en généalogie, Christopher Bent, publie les trouvailles et les photos de Steve Skafte sur un site international comprenant des données de cimetières, Find a Grave.

Originaire de la Nouvelle-Écosse, Christopher Bent se donne comme mandat de corriger toutes les erreurs répertoriées pour ce comté sur le site web. Il a rapidement été impressionné par le travail de Steve, son exactitude dans les coordonnées de géolocalisation des pierres tombales.

Sa photographie est généralement bien supérieure à la plupart des photos typiques que les amateurs publient sur Find a Grave, laisse savoir M. Bent. Il fournit également d'excellentes indications pour que les autres puissent facilement trouver le cimetière.

L’an dernier, Steve Skafte est tombé sur les recherches d’un médecin, le Dr Allan E. Marble, qui avait entrepris dans les années 1960 et 1970 de recenser les pierres tombales du comté d'Annapolis.

Presque 1000 pages de transcriptions du travail de ce médecin avaient été publiées sur Internet à la fin des années 1990 par un groupe de bénévoles. Ses recherches ont été un point d’introduction pour moi afin de savoir s’il y avait un cimetière dans une communauté précise, laisse savoir Steve.

Christopher Bent
Le collaborateur de Steve Skafte, Christopher Bent, un chercheur en généalogie et résidant à Windsor, en Ontario.  Photo : Radio-Canada / Marine Lefevre

Mais les transcriptions avaient leurs limites. Selon Christopher Bent, qui travaille aussi à partir des données du Dr Marble, les noms des cimetières étaient souvent incorrects, parfois, l'emplacement de la communauté était erroné, il n'y avait pas de coordonnées géographiques précises ni de photos, et des erreurs avaient même été commises dans les noms et les dates.

Et surtout, il y a de petits cimetières que le Dr Marble n'a jamais réussi à trouver.

Le nombre de cimetières que j’ai trouvés dans la dernière année, ça a pris au Dr Marble environ 10 ans [pour l’atteindre], soutient Steve Skafte. Il n’y avait pas d’Internet ni de gens pour l’aider à trouver des indices. J’ai eu un raccourci.

Depuis presque un an, la collaboration entre le chercheur de tombes néo-écossais et le généalogiste ontarien est fructueuse. Ce dernier passe plus de la moitié de son temps de recherche à traiter ce que Steve Skafte lui envoie.

Christopher Bent décrit Steve Skafte comme un homme méticuleux, précis et passionné par la préservation de l'histoire que les cimetières peuvent révéler. L'hiver dernier, il était dehors tous les jours, quelle que soit la météo, souligne-t-il avec admiration.

Steve Skafte au cimetière Mariner's Section Burial Ground, à Port Wade, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

Une âme d’aventurier
Une âme d’aventurier

Dans la vie de tous les jours, Steve Skafte est photographe de mariage – un choix professionnel un peu surprenant, lui qui a toujours été un grand solitaire.

Lors de notre rencontre, il nous a avoué que cela faisait des semaines qu’il n’avait pas été en contact avec d’autres personnes.

Assez volubile, malgré sa nature introvertie, l’homme, du haut de ses 6 pieds 4 pouces, maîtrise vraisemblablement l’art de la parole. Car dans sa manière de se raconter le monde, de parler de ses recherches, il y a une poésie évidente, due à une grande sensibilité envers ce qui l’entoure.

C’est un conteur dans l'âme et il aime partager avec les autres tout ce qu'il trouve et apprend en cours de route, témoigne Susy, sa femme, une infirmière passionnée de poésie avec qui il entretient une relation à distance de Chicago. Il aime voir les vieilles choses avec un regard neuf.

Steve Skafte avec son trépied de caméra sur l'épaule.
Le Néo-Écossais Steve Skafte a toujours son trépied et sa caméra avec lui lorsqu’il part à la recherche de pierres tombales abandonnées. Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

En grandissant, Steve Skafte n’avait pas beaucoup d’amis. Je n’en ai pas vraiment plus maintenant, avoue-t-il, avec un rire étouffé. Dans sa jeunesse, il préférait passer du temps à discuter avec des personnes âgées de sa communauté, trouvant les discussions plus riches qu’avec les enfants de son âge. Quand j’étais enfant, j’étais déjà vieux.

Il adorait également à cette époque les histoires d’exploration ou d’archéologie, comme celles d’Indiana Jones ou même de Marco Polo. J’ai été déçu quand je me suis aperçu qu’il était trop tard pour trouver une nouvelle île. Ce n’est pas à propos de la colonisation... c’est simplement l’aventure de trouver un endroit, se remémore-t-il.

Il s’est demandé un jour comment il pouvait parvenir à établir des liens avec les gens autrement que dans les activités sociales, lui qui a vécu plusieurs épisodes d’anxiété au cours de sa vie.

Comme les cinéastes ou les auteurs-compositeurs que j’aime, j’ai décidé que je voulais raconter des histoires aux gens, que ce soit en écrivant un poème, en prenant des photos ou en cherchant des lieux abandonnés… Ma façon de créer des connexions et de rencontrer les gens vient de mon art.

Il a donc décidé d’imaginer, à sa façon, sa propre carte, avec photos à l’appui, de sa région gorgée d’histoire. Il vit à quelques kilomètres d’Annapolis Royal, autrefois nommée Port-Royal, établissement de la première colonie française en Amérique du Nord, en 1605.

Ici dans la région, on s’est beaucoup concentré sur l’histoire la plus ancienne, constate Steve Skafte. Mais pas sur l'entre-deux du 18e et 19e siècle. On dirait que si ça ne part pas du début, ça n’a pas d’importance.

Steve Skafte contemple le bassin d’Annapolis depuis le cimetière abandonné Mariner's Section Burial Ground, à Port Wade, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Gracieuseté/Steve Skafte

Le déni de la mort
Le déni de la mort

De l’autre côté de la route où se trouve le cimetière Mariner's Section Burial Ground, Steve Skafte nous fait monter une colline particulièrement abrupte. Cela nous prend à peine une minute de marche parmi les arbres et leurs branches basses pour nous retrouver devant une dizaine de tombes.

Cet autre cimetière abandonné se nomme Covert, du nom de famille d’une personne qui y est enterrée. L’endroit porte ironiquement bien son nom, qui veut dire « secret » en anglais. Une clôture sépare l’un des terrains voisins de cet espace figé au 19e siècle, sorte de rempart symbolique.

Les gens ne veulent pas être confrontés à la mort, ils ne veulent pas la voir, se désole l'homme au regard profond.

Le cimetière de Covert.
Steve Skafte a trouvé et entretenu des pierres tombales du petit cimetière Covert, situé à Port Wade, en Nouvelle-Écosse. Photo : Gracieuseté/Steve Skafte

La question du déni de la mort dans les sociétés modernes est un constat qui a été observé maintes fois au siècle dernier. La mort est escamotée parce qu’on veut aller vers le futur et l’avenir, avance Magali Uhl, professeure titulaire au Département de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, qui s’intéresse à la mort et aux rites entourant celle-ci.

D’autant plus qu’aujourd’hui, le cimetière est de moins en moins le lieu de recueillement privilégié. Les jeunes, par exemple, préfèrent commémorer un défunt avec des objets lui appartenant plutôt qu’avec des lieux, soutient Mme Uhl.

En cherchant des traces du passé et en les publiant sur les réseaux, comme le fait Steve Skafte, cela permettrait aux communautés de perdurer, de se souder et se donner du sens, selon la professeure. C’est un moyen de se remémorer un monde [qui n’existe plus] et de transmettre celui-ci aux autres. C’est une volonté de perpétuer le lien entre les générations. Et ça devient alors significatif pour tous, observe-t-elle.

Monument au cimetière Anderson, à Upper Granville, en Nouvelle-Écosse.  Photo : Gracieuseté/Steve Skafte

Déterrer des souvenirs
Déterrer des souvenirs

Se remémorer un monde qui n’existe plus… C’est exactement l’expérience vécue par Maynard Jodrey, un citoyen qui habite toujours la région. Quand Steve Skafte a fait un appel à tous l’an dernier sur sa page Abandoned Cemeteries of Nova Scotia pour obtenir des informations concernant un cimetière portant le nom de famille Anderson, selon des données imprécises du Dr Marble, de lointains souvenirs de jeunesse ont surgi dans la mémoire de M. Jodrey.

J’avais complètement oublié tout à propos de cela, témoigne celui qui avait marché dans ce cimetière lorsqu’il était enfant, dans les années 1970.

Il a donc écrit au chercheur de tombes pour lui indiquer approximativement où se situait le cimetière, selon ses vagues souvenirs d’enfance, et lui a proposé de l’aider dans sa recherche. Nous avons dû chercher quand même un peu. Je ne savais plus où c'était exactement après une quarantaine d'années.

Maynard Jodrey a aidé Steve à déterrer, puis à redresser des pierres tombales. J’ai trouvé le processus fascinant, et j’aimerais voir de vieux endroits comme celui-ci plus souvent entretenus, car ils ne devraient pas être oubliés.

Nous nous garons encore une fois devant des boîtes aux lettres avant de nous frayer un chemin à travers un immense champ, pour ensuite nous glisser facilement dans un boisé loin des regards.

Le petit cimetière Anderson Burial Ground se dévoile à nous, avec sa dizaine de pierres tombales. Les rayons de soleil de la fin de la journée sont encore chauds et font baigner dans une lumière dorée certaines tombes couchées au sol, recouvertes par les feuilles mortes et les fruits des nombreux pommiers autour.

Un lieu significatif pour Herb Anderson, un citoyen de la région dont les ancêtres étaient des loyalistes de la Nouvelle-Angleterre venus se réfugier en Nouvelle-Écosse pendant la révolution américaine. Sa femme, Cheryl Anderson, est passionnée par la recherche généalogique depuis sa retraite de l’enseignement et elle élabore depuis des années l’arbre familial de son mari. Une recherche complexe et sérieuse : le couple avait notamment déjà fait un voyage jusqu’à New York, au cimetière de la famille Anderson, pour trouver des informations.

Tout comme Steve Skafte, Mme Anderson s’était basée sur les données du Dr Marble pour avancer ses recherches dans la vallée d’Annapolis. La découverte du cimetière « Anderson Burial Ground » par le photographe était en quelque sorte la pièce qui manquait au casse-tête.

Herb et Cheryl Anderson ont pu étendre l’arbre généalogique familial et retrouver plus d’ancêtres à cet endroit qu’ils ne le croyaient.

Le couple se dit extrêmement reconnaissant à Steve pour son travail, pour avoir redressé certaines pierres tombales dans ce cimetière qui leur est cher, et ce, sans les endommager. Je dois dire que j’apprécie que Steve Skafte soit soucieux de préserver une histoire qui n’avait, dans certains cas, pas été découverte, admet Mme Anderson. D’ailleurs, le couple compte aller visiter cet endroit dans les prochains mois; une sorte de pèlerinage familial.

Steve Skafte regarde une pierre tombale qu’il a restaurée au cimetière Mariner's Section Burial Ground.  Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

S’imprégner de l’histoire des autres
S’imprégner de l’histoire des autres

Le mois dernier, une femme a contacté Steve Skafte sur son groupe Facebook pour lui raconter qu’elle n'était encore jamais parvenue à retrouver des informations sur l’un de ses ancêtres. Découragée, elle a tenté une dernière recherche sur le site Find A Grave. Elle est alors tombée sur une photo d’une pierre tombale d’un des cimetières abandonnés trouvés par le trentenaire. Je crois qu’elle appartient à ma famille. Je sens que c’est une réponse à toutes mes prières et mes frustrations, lui a-t-elle écrit, en le remerciant.

Recevoir un message comme celui-ci est particulièrement gratifiant pour le chasseur de tombes. Mon objectif principal est d’émouvoir les gens artistiquement, à travers des mots et des images, exprime-t-il. Mais quelque chose comme ça, où j’ai la chance d'être utile, signifie tellement. C’est inattendu et ça me rend vraiment heureux.

Ce qui est intrigant chez Steve Skafte, c'est que malgré sa dévotion à retracer les histoires familiales des autres, il n'a jamais entrepris sa propre recherche généalogique. Il fait partie d’une première génération en Nouvelle-Écosse : sa famille est venue de l'Ontario dans la province il y a une trentaine d’années, tandis que ses ancêtres proviennent surtout du Danemark.

Mais la vallée d'Annapolis est sa demeure, et il ressent pour ce territoire un lien extrêmement fort.

Peu avant de quitter le cimetière Mariner's Section Burial Ground, Steve est revenu régulièrement vers une pierre tombale qui le fascinait, et dont il s’est, d’une certaine manière, approprié l’histoire en la redressant. C’est la seule en dessous de laquelle il n’y a pas de cercueil. Elle avait été érigée en mémoire d’une certaine Jane McFarlane et de ses trois plus jeunes enfants, morts noyés alors qu’ils faisaient la traversée de l’Atlantique par bateau de l’Écosse à Saint John, au Nouveau-Brunswick. La femme avait 41 ans.

Steve Skafte regarde une pierre tombale.
Steve Skafte regarde une tombe qui le touche particulièrement au cimetière Mariner's Section Burial Ground, la seule en dessous de laquelle il n’y a pas de cercueil.  Photo : Radio-Canada / Antho Poulin

Steve Skafte dépose doucement sa main sur la tombe. Cela aurait pu être mon arrière-grand-mère. Elle est arrivée seule du Danemark dans les années 1920, sur un bateau qui est arrivé dans le même port. Si son bateau avait coulé comme celui-ci, j'aurais pu ne jamais exister.

Si Steve Skafte est devenu il y a quelques années photographe de mariage, c’est pour célébrer la vie. Entretenir et photographier des cimetières engloutis par les époques, c’est aussi une ode aux histoires des gens et à leur vie.

Mais s’il le fait, c’est aussi parce qu’il a un profond désir qu’on se souvienne de lui, et particulièrement dans des lieux auxquels il se sent très attaché. C’est sa façon de laisser une trace dans sa communauté : déterrer des histoires oubliées, pour ne pas l’être à son tour.

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