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Là où la conservation de la biodiversité repose sur les épaules du privé

Dans le sud de l'Ontario, la conservation des terres est assurée avant tout par des organismes à but non lucratif qui, malgré leurs efforts, peinent à protéger les grands espaces nécessaires à la survie de certaines espèces.

Robert Barnett pointe vers un arbre dans un terrain boisé de Caledon Est en Ontario.

Un promoteur immobilier a donné un terrain de quelques hectares à la Escarpement Biosphere Conservancy. Le terrain est l'une des 215 réserves que détient à ce jour l'organisme.

Photo : Radio-Canada / Yanick Lepage

Robert Barnett pointe en direction d'un volumineux tronc d'arbre qui obstrue le sentier d'un terrain boisé de Caledon Est, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Toronto.

Je vais devoir apporter ma scie à chaîne la prochaine fois que je viens, dit l'homme de 78 ans.

Les arbres récemment tombés se comptent assurément par centaines dans les 215 réserves naturelles d'Escarpment Biosphere Conservancy, dont M. Barnett est le directeur général.

L'organisme à but non lucratif (OBNL) fondé en 1997 protège 85 kilomètres carrés de terres aux abords de l'escarpement du Niagara, une crête de 725 kilomètres qui s’étend de l’île Manitoulin jusqu’aux chutes du Niagara. En raison de son importance écologique, l’escarpement est désigné comme une réserve de biosphère par les Nations Unies.

Robert Barnett pointe une grande carte.

Robert Barnett indique sur la carte des réserves d'Escarpment Biosphere Conservancy le terrain boisé de Caledon Est.

Photo : Radio-Canada / Yanick Lepage

Avec sa petite équipe, le septuagénaire achète des terres, négocie avec des propriétaires qui envisagent de donner leur terrain et signe des ententes de conservation avec ceux qui aimeraient préserver la biodiversité sur leur propriété.

L’organisme doit faire preuve de créativité et d’opportunisme pour protéger ces terres détenues presque exclusivement par des intérêts privés.

C'est le défi. Nous tentons de protéger ce territoire qui est extrêmement coûteux, souligne M. Barnett.

Selon Marie-Josée Fortin, professeure au Département d'écologie et de biologie évolutive de l'Université de Toronto, le sud de l’Ontario est le territoire le plus riche en biodiversité de la province. Malheureusement, c’est là où il y a le plus d’agriculture, de systèmes routiers et de densité de population, soutient l’écologiste.

Portrait de Marie-Josée Fortin.

Marie-Josée Fortin estime que la conservation des terres au Canada ne peut pas uniquement s'effectuer dans le nord du pays.

Photo : Radio-Canada / Vedran Lesic

Les tortues, les reptiles, les amphibiens : Mme Fortin évoque la longue liste d’espèces menacées par la disparition des milieux humides dans la région.

M. Barnett estime que la protection de cette biodiversité repose dorénavant sur les épaules des propriétaires privés et de la quarantaine d’OBNL ontariens qui œuvrent à la conservation des terres. On n'entend plus parler de nouveaux parcs provinciaux, spécialement dans le sud de l'Ontario, se désole-t-il.

Pourtant, une loi provinciale oblige le gouvernement à préserver l’escarpement du Niagara, une obligation que négligent les progressistes-conservateurs, selon un récent rapport de la vérificatrice générale de l’Ontario.

Plus aucune surveillance environnementale n’est exercée du fait de l’absence de personnel, de ressources ou de programmes [...] pour évaluer l’état de l’escarpement, peut-on lire dans le rapport. La vérificatrice générale ajoute que les effets cumulatifs des 12 000 permis d’aménagement délivrés dans la région depuis 1975 n’ont pas été évalués par la commission responsable de le faire.

Et si elle reconnaît certains bienfaits aux initiatives des organismes de conservation, Mme Fortin estime que de nombreuses espèces ne pourront survivre si seules de petites terres dispersées sont protégées.

Bâtir des corridors écologiques une parcelle à la fois

Cette situation n’est pas propre au sud de l’Ontario. Les terres privées sont prédominantes dans plusieurs régions du pays, ce qui complexifie les efforts de conservation des gouvernements.

Jensen Edwards, responsable des relations médias chez Conservation de la nature Canada (CNC), présente l’exemple de l'Île-du-Prince-Édouard, là où 90 % du territoire est privé. C'est mathématiquement impossible que le gouvernement protège [à lui seul] 30 % des terres d'ici 2030 sur l'Île-du-Prince-Édouard, souligne-t-il, évoquant la cible du gouvernement fédéral, et celle sur laquelle tentent de s’entendre près de 200 pays à l’occasion de la COP15.

Deux policiers marchent devant l'enseigne de la COP15 au Palais des congrès.

La COP15 se déroule à Montréal du 6 au 19 décembre 2022.

Photo : Reuters / CHRISTINNE MUSCHI

Ce sont ces régions que cible le plus important organisme de conservation au Canada. En 60 ans d’existence, CNC estime avoir contribué à la protection de 15 millions d’hectares au Canada, l’équivalent de trois fois la superficie de la Nouvelle-Écosse.

M. Edwards admet néanmoins que les espaces morcelés offrent un potentiel limité de préservation de la biodiversité. C’est pourquoi CNC dit prioriser les territoires qui peuvent former des corridors écologiques dans le choix de ses projets.

C’est également un objectif d’Escarpment Biosphere Conservancy. À plusieurs endroits, on fait rejoindre des parcs provinciaux et on lie des espaces protégés par d’autres organismes, explique M. Barnett.

Robert Barnett marche dans un sentier à Caledon Est en Ontario.

Les marches familiales de Robert Barnett dans le sentier Bruce l'ont incité à s'investir dans la conservation de la biodiversité de l'escarpement du Niagara.

Photo : Radio-Canada / Yanick Lepage

Il travaille actuellement sur une quarantaine de projets de conservation supplémentaires. Mais ce n’est pas un plan très réfléchi, précise le directeur général qui dit protéger le territoire sur lequel il peut mettre la main avec ses ressources limitées.

Pourtant, des efforts concertés de préservation s’imposent selon Mme Fortin. Son équipe analyse les déplacements des espèces pour identifier les territoires où la conservation serait la plus profitable à la biodiversité.

Marie-Josée Fortin présente un graphique dans un livre académique.

Marie-Josée Fortin et son équipe emploient une approche statistique pour analyser les déplacements des espèces et estimer les territoires dont la conservation est la plus critique pour la biodiversité.

Photo : Radio-Canada / Vedran Lesic

Elle avait notamment réalisé l’exercice pour la Ceinture de verdure en Ontario avant que le gouvernement provincial propose d’ouvrir certaines régions de ce territoire protégé au développement immobilier.

Un modèle privilégié par le gouvernement fédéral

À la fin de 2021, 13,5 % du territoire canadien était conservé, bien loin de l’objectif de 30 % d’ici 2030.

En réponse aux questions de Radio-Canada, le gouvernement fédéral n’a su dire quel pourcentage des terres qui devront être conservées pour atteindre les cibles seront le fruit du travail des OBNL.

L’approche de conservation des terres dépend beaucoup du contexte : dans le sud du Canada, la protection et la restauration des propriétés privées par les organismes de conservation et les municipalités sont prioritaires, a fait savoir par courriel Nicole Allen, une porte-parole d’Environnement et changement climatique Canada.

Le ministère considère accroître le financement de ses programmes visant à supporter les actions de protection des terres privées.

Depuis deux ans, Escarpment Biosphere Conservancy a reçu près de 9,5 millions de dollars d’Ottawa à travers ces programmes. L’organisme doit néanmoins égaler ces sommes par des contributions du secteur privé.

Si M. Barnett s’étonne de tout le territoire que sa petite équipe a pu conserver, il estime que le gouvernement n’est pas en voie d’atteindre ses objectifs. Ça nécessiterait tout un changement de méthode et de sources de financement, juge-t-il.

Il n’est pas pour autant prêt à abandonner l’effort, bien qu’il admette qu’à 78 ans, ce sera le défi d’une autre génération.

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