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Nouvelle-Calédonie : la peur d’être noyé du peuple autochtone kanak

Une révision législative et constitutionnelle à Paris fait craindre aux Kanaks une érosion de leur pouvoir politique et, ultimement, de leurs droits sur leur territoire.

Des indépendantistes tiennent une banderole indiquant « jeunesse kanak, défendez votre liberté ».

Des indépendantistes manifestent contre l'élargissement du corps électoral pour les prochaines élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 13 avril 2024. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / THEO ROUBY / AFP

Qui sont les Kanaks, peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie, et pourquoi sont-ils révoltés par l'adoption d'un projet de loi à 17 000 km de chez eux?

Notre peuple a 3000 ans d’histoire ici, lance au bout du fil en plein milieu de la nuit, depuis la capitale Nouméa, Yvette Danguigny, militante des droits de la personne et indépendantiste kanake.

Quand la colonisation est arrivée, elle a tout détruit. Nos clans ont été déplacés, nos terres ont été prises. Notre peuple a beaucoup perdu, relate celle qui est à la tête d’une association ayant pour but de récupérer le savoir-faire kanak.

Les Kanaks sont issus d'une migration mélanésienne. La société kanake est structurée autour d’une organisation coutumière propre dont le clan est la base. Les clans se réunissent en tribus au sein de districts coutumiers qui sont eux-mêmes regroupés en aires coutumières. Il y en a huit.

Yvette Danguigny se tient debout avec une robe aux couleurs du drapeau kanaky.

Yvette Danguigny se dit inquiète, son pays étant dans une « turbulence grave ».

Photo : Gracieuseté : Yvette Danguigny

Bien que le Britannique James Cook ait été le premier Européen à mettre les pieds en Nouvelle-Calédonie, en 1774, c'est Napoléon III qui a proclamé l’archipel colonie française en 1853.

Après plus de 170 ans de colonisation, les Kanaks sont minoritaires chez eux : ils constituent 41 % de la population. La plupart d'entre eux sont indépendantistes. Le Front de libération nationale kanak et socialiste regroupe les partis politiques engagés dans la lutte pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et la reconnaissance des droits des Kanaks. Les partis ne s'entendent toutefois pas sur la forme d'indépendance qu'ils désirent.

Néanmoins, les indépendantistes veulent baptiser leur futur État Kanaky.

Ce peuple autochtone dispose aussi d'un Sénat coutumier, l'unique interlocuteur kanak institutionnel composé des différents conseils coutumiers du pays.

Déjà-vu

De la fumée noire s'élève d'une ville.

De la fumée s'élève lors de manifestations à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 15 mai 2024.

Photo : Associated Press / Nicolas Job

Les récents soulèvements qui font les manchettes, c'est l’histoire qui se répète, selon Yvette Danguigny.

Des centaines de blessés, des morts, imposition de l’état d’urgence et d'un couvre-feu décrétés… La Nouvelle-Calédonie n’a pas connu de telles violences depuis ce qui a été communément appelé les Événements de 1984-1988. Pour nous qui sommes d’un certain âge, qui avons vécu les événements de 1984-88, nous [voyons] les mêmes signes, dit la dame de 64 ans.

Dans les années 1980, les Kanaks n’étaient pas écoutés, le dialogue était inexistant avec l’État, explique Christine Demmer, anthropologue au Centre Norbert Elias affilié au Centre national de recherche scientifique, en France. Les choses ont changé depuis, nuance-t-elle, mais là, le fil est rompu.

En 1984-1988, les Événements ont abouti à une prise d’otages et à l’assaut de la grotte d’Ouvéa, qui marque le point culminant des violences. Quatre gendarmes, 19 militants indépendantistes et deux militaires ont été tués. À la suite de ce drame, les accords de Matignon puis celui de Nouméa, 10 ans plus tard, ont été signés.

Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, en 1853, elle s'approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d'Europe et d'Amérique, elle n'établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l'année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés, mais, de fait, des actes unilatéraux. Or, ce territoire n'était pas vide. La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés Kanaks.

Préambule de l’accord de Nouméa, 5 mai 1998

Vers la décolonisation

Le drapeau d'un parti indépendantiste kanak orne une statue traditionnelle.

Le drapeau d'un parti indépendantiste kanak orne une statue traditionnelle.

Photo : AFP/Getty Images / THEO ROUBY

Ces accords scellaient le début d'une réconciliation en proposant un rééquilibrage entre les Kanaks et les descendants de colons. Celui de Nouméa en particulier ouvrait la voie à une autonomie croissante pouvant déboucher sur l'indépendance du territoire grâce à trois référendums.

Il prévoyait également un gel du corps électoral à compter de 1998. Seules les populations présentes sur le territoire à ce moment-là et leurs enfants auraient le droit de vote.

Le gouvernement Macron veut maintenant donner le droit de vote aux élections provinciales aux personnes installées dans l’archipel depuis 10 ans. Selon le gouvernement, cela représenterait un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales générales.

Les indépendantistes ont peur de voir la population kanake disparaître ou être noyée parmi les autres groupes du pays. Ils craignent que les loyalistes, souvent les descendants des colons européens, qu’on appelle les Caldoches, parfois métissés, mais aussi des Français installés récemment, comme d’autres immigrants, deviennent majoritaires et ne leur laissent plus de place politiquement et socialement.

Nous n’aurons plus de droit particulier. Nous allons être des citoyens à part entière. On a peur de perdre notre identité, nos terres, le pouvoir politique. On sera minoritaire et il y aura des conséquences

Une citation de Yvette Danguigny, militante kanake

Les indépendantistes du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) dénoncent le passage en force de la réforme, mais ils n'appuient pas les manifestations violentes et appellent au calme.

Une relation fragile rompue

Personne n’est vraiment surpris de la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie. Après 20 ans de gestion consensuelle, la rupture du dialogue entre le gouvernement français et les indépendantistes est aujourd'hui une réalité, affirmait dans un communiqué le Sénat coutumier.

Depuis les défaites serrées des indépendantistes lors de trois référendums tenus entre 2018 et 2021, en vertu de l'accord de Nouméa, il n'y a plus de respect par l’État français dans le traitement du dossier calédonien, assure l’anthropologue Christine Demmer.

Jusque-là, l’État était plutôt dans la négociation. Maintenant, c’est une tentative de passage en force de la France de ses propres vues.

Une citation de Christine Demmer, anthropologue au Centre Norbert Elias

Depuis des mois, les indépendantistes ont tiré la sonnette d’alarme sur la sensibilité de ce sujet en organisant notamment des marches. Devant l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones en avril, Yvette Danguigny a averti que son pays traverse des turbulences graves au niveau politique et est au bord de rompre avec la paix retrouvée il y a 30 ans après les événements de 1984.

Trois personnes se tiennent debout en soutien d'une jeune femme au micro.

Yvette Danguigny (debout au milieu) était avec d'autres peuples autochtones de France à l'Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones à New York. Ceux de Guyane viennent d'ailleurs de « réitérer leur soutien au peuple kanak qui lutte pour sa liberté depuis 171 ans ».

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

L’enjeu des élections provinciales est important, car la distribution des sièges influence toute la politique. En 2021, Louis Mapou devient le premier indépendantiste à être élu président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sous le statut de l’accord de Nouméa.

Inégalités marquées

Malgré les accords et quelques avancées, les inégalités restent marquées, ce qui suscite frustration sociale et colère.

Les Provinces Nord et des îles Loyauté, qui comptent une population majoritairement kanake, sont les plus pauvres de l’archipel et bénéficient d’infrastructures moins développées. Selon une étude de 2013, les Kanaks occupent le plus souvent des emplois peu qualifiés et leur accession aux postes à responsabilité demeure limitée.

Une carte montrant deux des provinces de la Nouvelle-Calédonie.

Emplacement des provinces Nord et des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie.

Photo : Datawrapper

Le peuple kanak est comme tous les autres peuples colonisés, explique Yvette Danguigny. Nous avons tous les mêmes maladies que les autres peuples autochtones. On est en échec scolaire, l’abus d’alcool, les violences, et on n’a pas accès aux grands postes.

Elle rêve, outre de l’indépendance, que les Kanaks puissent avoir ces postes, créer des entreprises, que les langues soient enseignées dans les écoles, etc.

Il y a eu un certain rattrapage, mais beaucoup de choses restent à faire, renchérit Christine Demmer. Et donc là, la jeunesse rebondit, il y a beaucoup de frustrations et de craintes.

Selon elle, il est important de rappeler que le Front de libération nationale kanak et socialiste s’attache à une citoyenneté commune pour tous, Kanaks ou non.

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