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Survivre à soi-même : l’histoire de Becks, la résiliente

Survivre à soi-même : l’histoire de Becks, la résiliente

Texte | Denis Chamberland - Photos | Lyssia Baldini

Publié le 27 avril 2020

Avertissement : certains détails sont susceptibles de choquer des personnes.

« Je suis intense – je souffre – je suis dans le besoin – je suis en amour »

Ces mots, Becks les a fait tatouer à l'endroit où, à 15 ans, elle s'est mis la corde au cou. Malgré les chapitres sombres, l'histoire de Becks Dudley est inspirante, empreinte d'espoir et de lumière. Becks a su puiser dans son lourd passé pour aider les personnes qui, comme elle, avaient atteint le fond, en leur offrant son hospitalité, son écoute et son amitié.

***

J’ai connu Becks juste avant qu’elle commence à marquer sur son corps l’histoire de sa vie. À l’époque, elle faisait partie de l’équipe provinciale de squash du Manitoba. C’était une jeune athlète surdouée.

Becks a remporté les championnats Open canadien et américain chez les moins de 15 ans en 2002-2003. Aux Jeux d’hiver du Canada de la même année, elle a obtenu la médaille de bronze avec l’équipe du Manitoba. Elle a terminé la saison par une victoire au Championnat national junior canadien. Elle était la plus jeune recrue de l’équipe junior du Canada.

Nous voici en septembre 2019. Je frappe à sa porte, à Medicine Hat, où elle vit en Alberta. La femme de 31 ans qui m’accueille a les yeux et le sourire de l’adolescente que j’ai connue.

Une femme, Becks Dudley, avec beaucoup de tatouages, est assise sur un divan
Assise au salon, Becks nous parle de ses tatouages qui ont tous à leur façon une histoire. Sur sa joue, le tatouage de sa main, parce qu’elle s’assoie souvent avec la main au visage.  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Les tatouages sur son visage et son corps, les brûlures de cigarettes et les zébrures sur ses bras racontent son histoire à la fois sombre et lumineuse.

La douleur physique et émotionnelle, côtoient la passion et l’amour sur ses bras tatoués, hachurés de coupures et de brûlures de cigarette. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

La championne se rebelle
La championne se rebelle

Becks est la plus jeune d’une famille de deux enfants. L’aînée, Alex, se souvient qu’enfant, sa sœur était une jeune fille remarquablement talentueuse et sociable.

Mitch Dorge, le batteur des Crash Test Dummies, en garde des souvenirs semblables. Passionné de squash, il a rencontré Becks quand elle avait 11 ans. Ils sont devenus rapidement bons amis et leur amitié perdure depuis 20 ans.

Alex Graham (Dudley) et Becks Dudley
Alex Graham (Dudley) à gauche et Becks Dudley Photo : Facebook

« Pendant les tournois, aussitôt qu’elle me voyait, elle se dépêchait de venir me voir et c’était : “Hé Mitch, quoi de neuf?” On parlait de squash et de musique, elle était toujours enjouée et amicale, très “joie de vivre” »

— Une citation de   Mitch Dorge
Mitch Dorge et Becks Dudley
Mitch Dorge et Becks Dudley en 2016.  Photo : Facebook

Mais à l’âge de 15 ans, Becks change : coupe mohawk, vêtements amples, chaînes au cou et cigarette au bec, rien ne l’arrête. Et elle boit. Beaucoup.

À la maison, la tension monte, et les altercations se multiplient, entre autres avec sa sœur. « Il y avait beaucoup de chicanes, dit Becks. Ils m’ont dit que j’avais besoin d’aide. »

Un soir, Becks se révolte et annonce à ses parents qu’elle ne jouera plus au squash.

Peu de temps après, elle planifie de s’enfuir à Ottawa avec une amie. Mais alors que sa mère et sa sœur veulent lui faire entendre raison, elle tente de commettre l'irréparable à l’école. Une enseignante arrive juste à temps pour la sauver.

« C’était ma première seconde chance. »

— Une citation de   Becks

La nouvelle de sa tentative de suicide ébranle la communauté du squash, comme le raconte son ami Mitch, qui l’apprend pendant qu’il est en tournée. « Sept ou huit personnes m’ont appelé pour me mettre au courant. Je pense que même son père m’a contacté. Les gens du centre sportif Winnipeg Winter Club m’ont téléphoné. »

Becks est hospitalisée avant de revenir chez ses parents. On lui diagnostique un trouble de la personnalité limite, une maladie mentale caractérisée par une instabilité émotionnelle.

« Pendant les six mois qui ont suivi, elle se sauvait et vivait dans la rue, raconte Alex. Nous étions souvent sans nouvelles. On la cherchait pour la ramener à la maison. Et un bon matin, elle est partie pour Ottawa. »

Sur les doigts de ses mains de droite à gauche on peut y lire le nom de Lady Gaga. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Devenir une jeune de la rue
Devenir une jeune de la rue

Becks vivra environ trois ans à Ottawa. En dépit des difficultés de la rue et de la violence qu’elle y côtoie, elle garde de bons souvenirs de cette époque où elle était entourée d’amis.

« Quand tu as 15 ans, c’est la liberté totale, tu peux faire ce que tu veux quand tu veux. »

— Une citation de   Becks

Elle dort sous les ponts, dans des cages d’escaliers ou des stationnements couverts, et partage avec deux autres personnes un sac de couchage. Parfois, elle va dans les refuges, quête pour boire et consommer.

« Je ne suis pas allée là-bas en pensant que je deviendrais une jeune de la rue, mais c’est arrivé. C’est un mode de vie que j’ai aimé. »

Si elle sent le jugement et le mépris de certains, elle croise aussi des personnes indulgentes et généreuses qui s’arrêtent pour lui offrir de la nourriture ou lui parler. Elle se considère alors comme une vraie personne, et ça lui est précieux.

Becks Ducley qui joue de la guitare assise sur un banc de parc
Becks aime jouer de la guitare au parc près de chez-elle, seule et entre amies. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI
Becks a fait tatouer le mot SAFE sur son corps la première fois qu’elle a arrêté de consommer de la drogue. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Revenir à la maison
Revenir à la maison

Sa sœur et sa mère gardent le contact et lui rendent visite à Ottawa, espérant toujours la convaincre de revenir. Pour elles, ce n’est pas facile d'accepter le mode de vie que Becks a choisi.

« Chaque fois que le téléphone sonnait, on se demandait si l’on allait apprendre qu’elle était morte d’une surdose ou d’autre chose », raconte Alex.

Et si cet appel n’est pas venu, une surdose lui vaudra quand même un séjour à l’hôpital au cours de ses années à Ottawa. Mais c’est finalement une peine d’amour, sur laquelle elle demeure évasive, qui l’incite à rentrer à la maison.

Son séjour au Manitoba est de courte durée. La coexistence de Becks avec sa famille n’est pas facile. Elle n’arrive pas à s’adapter à la vie de ses parents, et sa relation avec sa sœur continue d’être conflictuelle, et parfois violente.

« Cette période est celle où l’on a eu le plus de confrontations. À un moment donné, je suis allée vivre en résidence à l’université pour sortir de ces conflits », raconte Alex.

Le jour de son 19e anniversaire, Becks quitte Winnipeg, cette fois pour Vancouver, en Colombie-Britannique.

Afin de couvrir les hachures sur son bras Becks et de garder en mémoire un être cher, Becks s’est fait tatoué par un artiste local, le nom de sa chienne. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Le cul-de-sac de Vancouver
Le cul-de-sac de Vancouver

À Vancouver, comme la majorité des sans-abri de la ville, elle vit dans le quartier Downtown Eastside. Les lieux où elle habite sont insalubres, remplis de coquerelles. La réalité de la rue à Vancouver est encore plus implacable qu’à Ottawa. Elle se sent sombrer à nouveau.

Becks Dudley à l'âge de 21 ans.
Becks Dudley à Vancouver en 2009. Elle a 21 ans. Photo : Becks Dudley

Mais voilà qu’une amie lui envoie un jour un message sur sa page Facebook : « Hé Becks, appelle-moi, j’ai quelque chose pour toi! »

Ce quelque chose, c’est une chienne, un pitbull qui lui redonne un peu d’espoir.

« Personne ne voulait de Taffy, raconte-t-elle. Elle était la version canine de ma personne! Toutes les deux grosses, les seins tombant avec de mauvaises hanches. On avait l’air tough, mais on était loin de l’être. »

Becks avec son chien Taffy
Becks avec son chien Taffy Photo : Becks Dudley

Pour la première fois de sa vie, Becks est responsable d’un autre être vivant, qui l’aime inconditionnellement. C’est une prise de conscience : la vie peut être autre chose. Elle arrête de consommer, et des gens autour d’elle l’appuient dans sa démarche.

Yvette, travailleuse sociale du centre Outreach de Vancouver, a dessiné dans un calepin des femmes se tenant par la main. Becks les a fait tatouer sur sa jambe.

Tatouage sur la jambe de Becks Dudley
Dessins de son amie Yvette, travailleur sociale du centre Outreach de Vancouver.  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

« Je lui dois la vie : elle m’a sauvée plusieurs fois », dit-elle.

Une amie, Melanie, ancienne usagère de substances, l’aide à rester sobre : « Elle a eu une grande influence et m’a aidée. »

Puis, sa sœur, Alex, revient jouer un rôle dans sa vie. En 2010, les Jeux olympiques se tiennent à Vancouver, et les deux sœurs se croisent à nouveau. Becks participe aux manifestations entourant la tenue des Jeux. Alors que la ville fait le ménage dans le Eastside, elle tient à défendre les personnes du quartier.

« Des gens se faisaient arrêter ou perdaient leur logement parce que leurs propriétaires les louaient aux visiteurs », se souvient-elle.

Alex, qui est alors agente pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC), fait partie de l’équipe affectée au maintien de l’ordre pour la durée des Jeux.

Elles sont le yin et le yang. L’une fait respecter la loi, l’autre boit et trouble l’ordre public.

Toutefois, cette occasion leur permet de reprendre contact. Alex convainc Becks de venir habiter à Medicine Hat, où elle vit.

Becks se fait tatouer Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

La hobo house
La hobo house

Becks a enfin un vrai appartement. Alex lui trouve un 2 1/2 situé dans le sous-sol d’une maison du quartier South East Hill.

Ce logement, qu’elle occupe toujours aujourd’hui, deviendra la « Hobo house » ou la maison des sans domicile fixe. Au fil des années, elle y accueillera sporadiquement des centaines d’itinérants. De parfaits inconnus en transit cognent même à sa porte.

Une femme dans une chambre à coucher
Sur le mur, un poster qu’elle a créée avec une photo de sa chienne Taffy avec le message, Never give up, N’abandonne jamais. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

L’officier de la police municipale de Medicine Hat, Brian Harper, qui a eu affaire à Becks à quelques reprises, raconte : « Assez souvent, ces gens en provenance d’un peu partout au Canada la connaissent. J’en ai reconduit quelques-uns chez elle, c’est un refuge sécuritaire pour quelques nuits. »

Un policier devant un poste de police de Medicine Hat
Le constable Brian Harper du service de police de Medicine Hat en Alberta. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

« Il y a des étés où j’en ai accueilli pas loin d’une centaine, ajoute Becks. Ça a diminué avec le temps. »

Dans ses premières années à Medicine Hat, Becks n’est pas un ange. Elle ne consomme plus de drogue, mais boit encore beaucoup. C’est la fête perpétuelle. Tous les policiers de la région apprennent à connaître la sœur de l’agente Graham. Il arrive même aux deux sœurs de se croiser à la prison, l’une derrière les barreaux.

« Les gardes me disaient : “Hé Duds, ta sœur est dans la cellule 4.” [...] Je leur répondais qu’elle n’était pas ma prisonnière et que je ne voulais pas la voir. Et elle criait : “Pugs, Pugs!” Je répondais : “Je ne suis pas ici pour toi; laissez-la en prison”, et je partais avec mon prisonnier. »

— Une citation de   Alex Graham

Pour Brian Harper, cette fille n’est pas une criminelle.

Règlements à la Hobo House écrit sur un carton
À l’entrée de son logement un tableau avec les règles à suivre, pour les voyageurs itinérants qui s’arrêtent chez elle.  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Et maintenant qu’elle a mis de l’ordre dans sa vie, ses invités doivent respecter de nouveaux règlements, comme prendre une douche, ou encore enlever leurs souliers « au risque de se faire couper les pieds ». Ceux qui signent son livre de visite savent donc à quoi s’en tenir.

Becks est ainsi devenue une sorte de célébrité dans la communauté des sans-abri.

Becks s’est fait tatouer un coeur brisé à la suite d’une peine d’amour Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

La renaissance de Becks
La renaissance de Becks

Alors que la lumière pointe enfin à l’horizon pour Becks, sa chienne Taffy tombe malade et doit être euthanasiée. C’est un dur coup pour elle. Becks et sa chienne étaient inséparables. Il y a trois ans, au mariage de sa sœur, Taffy était même… demoiselle d’honneur.

Photo de mariage d’Alex et Holly Graham, avec leurs parents respectifs
Au mariage d’Alex et Holly Graham, avec leurs parents respectifs Photo : Alex Graham

« Cet animal lui a donné 100 % d’amour inconditionnel, quelque chose qu’elle n’avait eu de personne auparavant », dit sa sœur.

Après plusieurs mois difficiles, marquée par une autre hospitalisation, Becks devient très casanière. Elle socialise sur des sites de rencontre. C’est ainsi qu’elle s’éprend de Tylar, une femme habitant au Texas.

Urne funéraire avec une photo d'un chien
Devant un mur de photos en l’honneur de sa chienne Taffy, les cendres et la photo de celle qui lui a jadis, sauvé la vie.  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

« Elle était superbe et sobre et hors de ma portée; j’étais cette loser ivrogne qui ne quittait pas sa maison. Je voulais pouvoir la rencontrer un jour, et c’est ce qui m’a motivée à cesser de boire. J’ai perdu 10 livres le premier mois. »

Tatouage 11-12-17 sur une jambe
Sur son épaule, la date de sa rencontre avec Tylar. C’est un jour important, qui marque le début de la plus récente transformation de Becks. Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Son histoire d’amour texan n’a pas duré, mais comme elle le dit : « Cette fille de l’Internet, ça m’a donné l’énergie pour me prendre en main. » Elle commence alors à s’entraîner.

Or, il se trouve que le gym qu’elle fréquente a des terrains de squash. Ce qui réveille une passion. Dans la Becks de 29 ans, la championne de 14 ans n’est pas bien loin. Alex sourit quand elle pense aux réactions des premiers adversaires de Becks sur le terrain.

« Voici une fille de 250 livres, des tatouages plein la figure, une coupe mulet avec une queue de rat. Ses adversaires se disent : “Ça va être facile!” Mais Becks ne quitte pas le T et remporte haut la main trois parties de suite! »

Sur le terrain, Becks détonne, mais étonne. « Cet effet de surprise, dit-elle, ça m’a vraiment fait plaisir! » À Medicine Hat, il lui aura fallu sept ans pour se trouver enfin dans ce moment de sa vie où elle a pu se dire qu’elle était bien. « Redécouvrir le squash m’a donné une nouvelle raison de vivre. »

Becks en compagnie de deux enfants et deux adultes
De gauche à droite, Holly, Jackson, Alex, Nico et Becks  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

Maintenant, Becks peut pleinement prendre part à la vie de ses neveux, deux enfants trisomiques qu’Alex et sa femme, Holly, ont adoptés. « Je n’aurais jamais pensé qu’un jour quelqu’un me confierait ses enfants », raconte Becks avec humour. Les gens autour d’elle sont conscients de tout ce qu’elle a réussi.

Inspiré par la résilience de Becks, un policier lui a rendu hommage sur Facebook : « Tu as toutes les raisons d’être fière, ce que tu as accompli est hors de l’ordinaire. J’ai rencontré beaucoup de toxicomanes qui ne s’en sont jamais sortis, et beaucoup de gens qui utilisent toute leur vie leurs souffrances passées comme excuse pour ne pas s’en sortir. Tu as surmonté tellement d’épreuves, tu as tout mon respect. La vérité, c’est aussi que tu m’inspires. »

Son bon vieil ami Mitch n’en revient pas non plus de sa persévérance : « Si j’avais mené cette vie-là, je ne pense pas que je m’en serais sorti aussi bien. Ça a fait d’elle une personne incroyable, et elle a probablement plus d’influence que n’importe quel champion sportif. »

Une femme consulte son téléphone
Becks lit un message d’encouragement qu’elle a reçu d’un policier de Medicine Hat à la suite d’une peine d’amour qui l’a fortement ébranlée.  Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI
Chanson sans titre de Becks Dudley Photo : Radio-Canada / LYSSIA BALDINI

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