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Le chaloupier rassembleur

Le chaloupier rassembleur

Texte : Nadia Ross | Photos : Maxence Matteau

Publié le 22 juin 2021

Sans lui, une part de notre histoire serait partie à la dérive. Les chaloupes lui ont cependant chuchoté leurs secrets, gardant à flot notre patrimoine maritime. Daniel St-Pierre est l’un des derniers artisans chaloupiers du Québec. C’est aussi un amoureux du territoire et des gens qui l’habitent... et certainement le septuagénaire le moins conformiste qui m’ait été donné de rencontrer.

C’est l’endroit parfait pour naviguer! C’est tellement beau, lance Daniel St-Pierre, les deux pieds dans l’eau à l’endroit où la rivière du Bic rencontre le fleuve Saint-Laurent. Après avoir pris une petite gorgée d’eau dans le creux de sa main, il estime que la salinité est plus basse qu’au large. La chaloupe de style verchère qu’il a construite glisse doucement de sa remorque pour flotter sur une eau calme.

Daniel St-Pierre assis à bord d'une chaloupe.
Daniel St-Pierre à bord d’une chaloupe de type Verchères qu’il a construite dans son atelier. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Les nuages annoncent des averses, mais les anses protègent le havre du Bic du vent et des vagues. Que l'on regarde à l’ouest, vers le cap à l’Orignal, ou au nord, vers l’île au Massacre, on se sent dans une carte postale. Pas besoin d’aller dans le Sud avec une vue comme ça! dit le marin en rigolant entre deux coups de rame.

Charpentier de marine, Daniel St-Pierre est en quelque sorte l'infirmier des embarcations du coin. Au printemps, il est bien occupé à faire des réparations, ou des radoubs comme on dit dans le milieu maritime, sur les embarcations des pêcheurs et des plaisanciers qui trépignent d'impatience de pouvoir enfin prendre le large.

Toutefois, la réelle passion de cet homme à tout faire se cache dans son atelier, un lieu hors du temps où sont entreposées une dizaine d’embarcations en bois, principalement des chaloupes à rames.

Un ancien moulin servant d'atelier et des chaloupes entreposées à l'extérieur.
L’atelier du chaloupier est installé dans un ancien moulin au cœur du Bic. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Pour l’artisan, c’est le meilleur bateau pour fréquenter le fleuve : il est assez spacieux pour naviguer en famille, écologique, ludique et adapté au plan d’eau, mais surtout, la chaloupe est un accès direct au patrimoine maritime.

Au siècle dernier, le fleuve était peuplé de ces petites embarcations. Naviguer en chaloupe était une activité populaire, qui permettait de profiter du fleuve en explorant les rivages. Il n’est pas rare de tomber sur des images d’archives de Rimouski ou du Bic qui montrent une famille ou un couple se prélassant en mer à bord d’une chaloupe à rames.

Quand il vante les charmes de ce type d’embarcation, c'est le désir des gens d'être unis sur l'eau qui l'anime. Une chaloupe te permet de partir avec ton amoureux, tes enfants. Ce n’est pas une activité solitaire et individuelle. C’est un des phénomènes sociétaux aujourd'hui. Chacun dans sa petite affaire et on se fout du reste.

Il peste bien sûr contre les kayaks, qui sont selon lui des embarcations individualistes qui prennent beaucoup trop de place dans le havre. Il lève ensuite les yeux au ciel, puis observe les urubus en plein vol. Ce sont des oiseaux grégaires. Ils vivent en gang, lance-t-il admiratif.

Daniel St-Pierre dans sa chaloupe sur le havre du Bic, regardant légèrement vers le côté.
Daniel St-Pierre connaît bien la mer : il a été marin, gardien de phare sur l’île Bicquette puis charpentier de marine.  Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Avec ses yeux de vieux loup de mer, ses rames bien en mains, il regarde au loin et voit immédiatement que le temps va se gâter. Le ciel qui s'obscurcit au large et les petits moutons blancs qui commencent à se former sur l’eau lui indiquent que le vent a tourné.

Pas besoin d’outils pour comprendre la mer, selon Daniel. Il faut seulement prendre le temps d'observer et, avec l’expérience, on lit le fleuve comme un livre ouvert. C’est bon, la technologie, je n’ai rien contre ça, mais c’est important de savoir où tu es sur l’eau. Pas question pour lui de dépendre uniquement d’un GPS. Je fais toujours ma navigation avec des cartes et des règles parallèles.

Les mains de Daniel St-Pierre déposées sur une carte marine.
Malgré l’arrivée des GPS, le marin fait toujours sa navigation avec des cartes marines.  Photo : Radio-Canada / Nadia Ross

Son histoire d’amour avec la mer a commencé bien avant l’arrivée des applications mobiles et des outils de navigation électroniques. C’est avec son père et ses quatre frères qu’il a été initié à la navigation à bord d’un des premiers voiliers de plaisance à s’installer à Rimouski.

Au décès de ma mère, quand on était encore enfants, mon père a acheté un voilier pour souder sa famille. Toute la fratrie a d’ailleurs gardé un lien très fort avec le maritime. Daniel a pour sa part été marin et gardien de phare, puis il est maintenant chaloupier, des métiers dont il est témoin du déclin, et peut-être même de la disparition.

Une coque en bois nécessite beaucoup d’entretien. L’artisan s’assure que chaque bordé est étanche. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

L’amour du bois
L’amour du bois

Quand on entre dans l'atelier de Daniel St-Pierre, ça sent les solvants, la résine et surtout le bois. Le plancher craque sous les pas et on entend le grondement de la rivière. L’atelier est installé dans un ancien moulin, un premier indice de la richesse du patrimoine qui se cache au cœur de ce qu’on appelait autrefois le village du Bic.

Ici, le bois règne en maître.

« Le bois, c’est un matériau noble. Le bois, c’est là où tu vas ployer, tu vas aller chercher des lignes, tu vas aller chercher des formes qui sont naturelles, qui sont organiques. »

— Une citation de   Daniel St-Pierre

Cela dit, un bateau en bois nécessite énormément de soins et d’amour. Cette dévotion est actuellement dirigée vers la Cécile, une petite chaloupe de 12 pieds d’au moins 70 ans qu’il a entièrement remise à neuf et qu’il recouvre maintenant de résine pour augmenter sa longévité.

Daniel St-Pierre dans un atelier, des outils accrochés sur le mur derrière lui alors qu'il regarde une chaloupe.
Daniel St-Pierre a appris le métier de chaloupier en restaurant de vieilles embarcations.  Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Très attaché aux traditions, le chaloupier ne rejette pas les nouveaux matériaux. Il utilise fréquemment la fibre de verre et la résine pour recouvrir le bois, ce qui le rend plus résistant et surtout réduit de beaucoup son entretien. L’arrivée de ce genre de matériaux composites est assez récente dans la construction navale, mais elle est aujourd'hui très populaire.

Quand je demande à Daniel St-Pierre de nous parler de ce petit navire vert et blanc, son visage s’illumine. Il en parle comme d’une vieille conquête.

C’est la première que j’ai vue et désirée… J’avais 8 ans, lance-t-il les yeux brillants.

Cécile était la propriété de prêtres qui avaient une résidence dans la baie Hâtée, où Daniel et ses quatre frères passaient leurs étés dans les années 60. Au bord de l’eau, les petits St-Pierre vivaient au rythme de la mer, cueillant des moules à marée basse et rêvant de naviguer quand la marée remontait.

« Dès que la mer nous a rejeté ses premiers bouts de bois, j’ai voulu me construire des bateaux. »

— Une citation de   Daniel St-Pierre

Ne bénéficiant pas de l’enseignement d’un maître chaloupier, Daniel St-Pierre a dû développer lui-même ses connaissances par la restauration de vieilles chaloupes. En grattant une vieille laque, en retirant des pièces de bois grugées par la moisissure, la structure des embarcations et la façon de les assembler se sont révélées à lui.

Chaque fois que je travaille sur un bateau, je rencontre le constructeur qui l’a fait. Même s’il n’est plus là. L’aboutage d’une certaine chaloupe et la forme des bordées d’une autre lui ont permis de remonter dans le temps et de préserver un savoir qui allait se perdre.

Un canot qui allait devenir un bac à fleurs a été sauvé par les deux artisans. Photo : Nadia Ross Photo : Radio-Canada / Nadia Ross

« Pour apprendre à faire des bateaux, il n’y a rien de mieux que de les réparer! En enlevant des pièces qui ont pourri, avant de les démancher, je prends des gabarits, puis des mesures. J’ai appris le métier de même. »

— Une citation de   Daniel St-Pierre

Les bateaux ont aussi un lien étroit avec le territoire. À l’époque, les arbres qui servaient à construire une embarcation étaient coupés près du chantier naval.

Daniel St-Pierre fantasme lui-même à l’idée de marcher en forêt pour choisir l’arbre qui servira à fabriquer son prochain bateau. Il faudrait le couper, le sécher et le débiter; un projet qui prendrait au moins deux ans à réaliser. Cette rêverie prend fin rapidement quand il parle du temps qui lui file entre les doigts et de l’énergie qui n’est plus aussi abondante que dans son « jeune temps ».

On quitte Le Bic pour se rendre plus à l’est. La route 132 longe le fleuve, où l’on ne voit présentement que des navires marchands. Les bateaux de plaisance commencent tout juste à sortir de leur hivernage. Arrivé à la marina de Rimouski-Est, on en voit des dizaines qui sont toujours au repos sur leur ber.

Parmi eux, impossible de rater le Fistot, un cruiser de 36 pieds en bois. Sous la coque, Daniel St-Pierre s’arme de son couteau à étoupe. Entre chacune des planches de bois, l'étoupe, une sorte de laine de coton, est insérée pour assurer l'étanchéité de la coque. Dès qu’il sera à l’eau, le bois gonflera et l’étoupe bloquera les entrées d’eau.

C’est un travail ardu qui nécessite des outils et des matériaux de plus en plus difficiles à se procurer. Ici, Daniel pousse l’étoupe et scelle le joint avec un mastic élastomère, un scellant marin qui demeurera en place des années, alors qu’autrefois, ce travail était à refaire chaque printemps. La technologie lui donne un peu de répit.

Juste à penser à aller sous un bateau, j’ai mal partout! Mes épaules sont finies. Si je peux me sauver du trouble, je le fais, dit-il, un immense couteau à la main, pressé de remettre Fistot à l’eau. Un bateau, c’est fait pour être dans l’eau. Il dépérit quand il est en dehors trop longtemps.

Au printemps, le duo d’artisans est très occupé à réparer les bateaux qui attendent d’être mis à l’eau. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Transmettre sa passion
Transmettre sa passion

Le savoir que Daniel a acquis à la sueur de son front et aux callosités de ses mains, il le lègue maintenant à son apprenti, qui reprend déjà la majorité des activités de l’atelier. Il y a 14 ans, Pierre-Luc Morin est venu apprendre le travail du bois au Bic, après des études à l’École nationale du meuble et de l'ébénisterie de Victoriaville. Je pensais seulement passer un été ici, mais je ne suis jamais reparti! lance Pierre-Luc.

Le maître l’a hébergé et nourri. En plus de l’initier à son mode de vie et à ses valeurs de partage, il lui a transmis sa façon de travailler, qui implique l’observation, la réflexion et l’intuition. La charpenterie de marine, c’est très peu de suivre des plans. Il y a toujours l'adaptation au lieu, au plan d’eau. On est toujours dans la quête du meilleur compromis possible. Il n’y a pas une voie unique, résume Pierre-Luc.

Ce savoir est particulièrement précieux, car il est en voie de disparition. Il faut dire que le patrimoine maritime a la vie dure. Selon l’apprenti, les derniers charpentiers de marine ne souhaitaient pas transmettre leur savoir aux plus jeunes en voyant leur métier en perte de vitesse. En réaction à cette rupture de transmission, des résistants comme Daniel ont travaillé d'arrache-pied pour récolter le maximum d'informations directement sur les bateaux déjà construits.

Installé dehors, Pierre-Luc Morin dépose un ruban adhésif sur un canon en train de se faire restaurer.
Après 14 ans auprès de son maître, Pierre-Luc Morin dirige aujourd’hui la majorité des activités de l’atelier.  Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Cependant, les anciens bateaux de bois en bon état sont difficiles à trouver. Leur durée de vie est limitée, car ils ont été exposés à des intempéries, et après leur vie utile, ils sont souvent abandonnés hors de l’eau. Quand on met un bateau sur terre, des fois, on a l’impression qu’on va le protéger, qu’on lui offre une retraite bien méritée, mais c’est un peu un suicide assisté, illustre Pierre-Luc. Le jeune artisan croit aussi que ces bateaux de bois ont été délaissés, car ils étaient associés à des vies de durs labeurs. La vie en mer pour plusieurs a tellement été difficile que, des fois, on a peut-être voulu oublier ça.

Pas question toutefois pour les deux artisans de laisser filer ce pan de l’histoire. Le patrimoine, c’est notre âme! clame Daniel. C’est ce qui nous éloigne de la banalité, renchérit Pierre-Luc.

Le village du Bic est aujourd'hui une destination touristique très populaire chez les québécois et les touristes étrangers. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Quand le territoire raconte l’histoire
Quand le territoire raconte l’histoire

Son coin de paradis, Daniel St-Pierre le défend bec et ongles, à commencer par le moulin presque centenaire auquel il a redonné vie en y faisant son atelier en 1991. L’acquisition et l’aménagement du dernier des six moulins du Bic est sa façon à lui de sauver un petit bout de patrimoine au cœur d’un secteur riche en histoire.

Le Bic a jadis été une station pour les navigateurs du Saint-Laurent, un port commercial et l’hôte d’un chantier naval. Aujourd’hui, il n'en reste qu'un bout de remblais et une rampe de mise à l'eau, Le Bic étant devenu surtout une destination vacances reconnue comme l’un des plus beaux endroits pour observer les couchers de soleil.

Daniel St-Pierre de dos sur une passerelle en bois au dessus de la rivière du Bic.
Le moulin de Daniel St-Pierre est toujours habité par le grondement de la rivière du Bic sur laquelle il est construit. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Daniel ne se dit pas contre le développement domiciliaire, mais il est farouchement opposé à ce qu’il se fasse en détruisant des lieux naturels. En ville, ça ne me dérange pas, mais ici, dans un si beau territoire, ce serait triste de voir des maisons toutes pareilles. Si la colonisation avait été faite par lui, une grande bande de terre le long des rivages serait publique. Les gens pourraient s’y réunir pour faire un feu, partager un repas ou faire du camping. Pour lui, la nature devrait être conservée pour que tous puissent en profiter, et surtout le faire en communauté.

Il a d’ailleurs été l’un des premiers citoyens du Bic à s’opposer à un développement immobilier sur les crêtes qui surplombent de jolies petites plages encore sauvages. Ce mouvement de protestation a donné naissance au Comité du patrimoine naturel et culturel du Bic.

D’abord créé pour défendre le territoire, l’organisme fait aujourd’hui la promotion de la beauté et de l’histoire du village mythique. Ses activités se déroulent principalement dans l’ancienne boucherie du Bic, une bâtisse en bois qui pendant plusieurs années était sur le point de s'effondrer. Avec ses outils et ses connaissances du bois, Daniel est parvenu à redresser le bâtiment et à le rendre à nouveau accessible à la communauté. On y trouve aujourd’hui une exposition de photographies anciennes et des artéfacts de l’histoire du Bic.

Récemment, le comité a rédigé un guide racontant l’histoire maritime du Bic et Daniel St-Pierre y est mentionné à titre de gardien d’une tradition.

Daniel est celui qui fait revivre la tradition de la construction des chaloupes de façon traditionnelle. La valeur de ce savoir est un apport culturel important pour la communauté, atteste Jean Munro, un passionné d'histoire qui a travaillé à la rédaction du livre. Et ce qu'il y a d'intéressant, c'est que ça peut se poursuivre, soit en commandant une chaloupe ou en apprenant auprès de lui à en faire. Tout est possible avec Daniel!

Keith Kouna en prestation au Moulin en 2019. Photo : Gracieuseté de Françoise P. Cloutier

De la musique dans l’atelier
De la musique dans l’atelier

Je n’ai jamais commandé de chaloupe à Daniel St-Pierre, mais j’ai souvent visité son moulin. La première fois, c’était pour assister à une prestation du groupe The Blaze Velluto Collection. Nous étions une trentaine de personnes assises sur des bancs de bois, les pieds sur la terre battue et des guirlandes de lumières au-dessus de nos têtes. Le quatuor avait passé une semaine en résidence de création dans l’atelier du chaloupier avant de nous dévoiler quelques nouvelles pièces et nous faire chanter sur M. Coyote.

Dans les escaliers qui surplombent la scène, où l'ambiance était à la fête et à l’échange, Daniel St-Pierre était là, souriant. Il dégageait un réel bonheur et une fierté : il était l’hôte d’un rassemblement d’humains…

Depuis 2016, de pair avec l’organisme Les Résidences Musicales au Moulin, il a reçu des musiciens de la scène indépendante en résidence de création, quoique son adresse est bien connue dans le milieu depuis plus longtemps encore. Quand le plus vieux de ses deux fils était aux études, au début des années 2000, Daniel et lui offraient des résidences musicales au moulin à des collègues étudiants en jazz.

Mais tout ça vient vraiment de ma mère qui, avant de mourir à 42 ans, avait ouvert un restaurant de cuisine française et avait aussi une boîte à chansons, raconte Daniel. Il se souvient avoir vu défiler des Gilles Vigneault, Claude Léveillé et Claude Gauthier à sa table. À l’époque, les chansonniers n’avaient pas de gros cachets, alors ils mangeaient et couchaient chez nous.

C’est cet esprit de convivialité qui est reproduit quand, pendant une semaine, les artistes vivent au rythme de Daniel. Le but de ces résidences-là, c’est d'offrir un rapport vrai, un échange réel, explique Jean-Philippe Catellier, un des responsables des Résidences Musicales au Moulin. L’artiste va venir et se donner complètement, donner sa musique. En échange, Daniel va l'accueillir comme si c’était un membre de la famille.

Les artistes dorment et travaillent au-dessus de l’atelier, mangent à la table de l’artisan et parfois sortent tous ensemble ramer en mer. C’est un art de vivre axé sur le partage et l’accueil, et quand la porte s’ouvre, c’est toujours une bonne nouvelle. Bref, on entre chez Daniel comme on entre dans un moulin, littéralement!

Urbain des Bois et Daniel St-Pierre sourient en regardant la caméra et chacun pointe son doigt en direction de l'autre.
Urbain des Bois et Daniel St-Pierre lors du tournage du clip La Duchesse de Keith Kouna en 2020 Photo : Gracieuseté de Jean-Philippe Catellier

Plusieurs de ces rencontres organisées par les résidences se sont transformées en solides amitiés. Le musicien Urbain Desbois vient chercher chaque année sa dose de Daniel. L’auteur-compositeur-interprète Keith Kouna est aussi tombé sous le charme de celui qu’il nomme le sage du Bic.

On a beaucoup de points en commun. Son côté indépendant, artisan et un peu punk, ça a tout de suite cliqué, dit Keith Kouna. Celui-ci a composé La duchesse lors d'une résidence en 2019 et est revenu l'année suivante tourner le vidéoclip avec Daniel comme personnage principal. C’était comme une façon de boucler la boucle, illustre l’auteur-compositeur-interprète.

D’après Daniel, Le Bic est un lieu propice à la réflexion et à la créativité à cause de sa beauté. Je suis arrivé ici en 1971. Je commence à connaître pas mal tout le monde ici, dit-il au volant de sa camionnette en saluant deux femmes, puis en cédant le passage à une maman avec ses deux petits à vélo. Ce n’est-tu pas beau, ça? lance-t-il tout souriant. Il embrasse le village du Bic du regard, visiblement attaché à son territoire et à ceux qui l’habitent.

Avec Le Fistot, Daniel espère naviguer un peu plus loin sur le fleuve. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Du Bic à l’Abitibi
Du Bic à l’Abitibi

Tout récemment, le parc national Opémican, en Abitibi, a fait appel au savoir de Daniel et de son apprenti pour construire deux chaloupes : une partiellement construite, pour en dévoiler sa structure et son squelette, et une complète, sur laquelle les visiteurs pourront naviguer et ainsi s'immerger dans l'histoire des draveurs de la région.

Ce n’était pas évident de trouver un artisan capable d’interpréter les archives, parce qu’il n’y a rien d’officiel, pas de plans, rien! Mais Daniel et Pierre-Luc, avec leur expérience, je savais qu’ils pourraient faire revivre cette histoire-là, me raconte le designer Martin Imbeault de la Bande à Paul, une firme consacrée à la muséologie, qui a suggéré l’atelier du Bic aux gestionnaires d’Opémican.

Une chaloupe rouge installée sur une base en bois à l'extérieur.
La chaloupe de drave réalisée par Pierre-Luc Morin pour le parc Opémican est inspirée de bateaux traditionnels de travail avec une touche de modernité pour faciliter le transport de passagers. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Au bout du fil, il explique qu’il a découvert le travail de Daniel St-Pierre lors de ses vacances au Bas-Saint-Laurent quelques années plus tôt. En visitant son atelier, il avait été frappé par le savoir-faire unique du Bicois. Selon lui, il est primordial de préserver ce savoir, car il nous permet de connaître d'où on vient. Ce sont des savoirs qui sont en train de disparaître et, malheureusement, cette connaissance-là n’est pas appréciée à sa juste valeur.

C’est un petit pas vers l’idéal de Daniel St-Pierre, qui désire conscientiser les gens aux beautés et aux savoir-faire autour d’eux, leur permettre de réaliser qu’il y a en ce moment des bâtiments, des traditions et des paysages qui sont détruits pour laisser place à une modernité qui tend à tout uniformiser. Cependant, il se défend bien de vivre dans le passé. Je ne suis pas nostalgique, sauf pour les choses qui sont remplacées par des affaires inutiles.

Daniel St-Pierre dans une chaloupe beige sur le fleuve en train de ramer.
«Je suis devenu chaloupier parce que j’aime la mer», dit Daniel St-Pierre. Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau

Ce qu'il aimerait, c’est qu’on sauve ce qui a été fabriqué avec amour, que l’on consomme des produits locaux, qu’on encourage notre artisan du coin, etc. Car, mine de rien, quand je demande à Daniel qui achète ses chaloupes, il répond d'emblée en riant : Personne! Son rire est cependant teinté de déception.

Après quatre décennies à construire et à restaurer des chaloupes, il n’en a vendu que six.

Malgré tout, il continue, jour après jour, à sauver des bateaux de la disparition et à donner naissance à de nouvelles embarcations. Toujours, il les travaille avec patience, respect et amour, car elles le lui rendent bien. Et tant qu’il pourra le faire, il le fera, car son âme d’artisan ne veut jamais vraiment arrêter de travailler.

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